Avec Maud Chirio, historienne, maître de conférences à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, Silvia Capanema, maître de conférences en civilisation brésilienne à l’université Paris-XIII, Anaïs Fléchet, maître de conférences en histoire à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et Laurent Péréa, membre du conseil national du PCF, responsable adjoint des relations internationales en charge de l’Amérique latine.
Photo : Mídia NINJA
Ato Ditadura Nunca Mais MASP • 10/10/2018 • São Paulo (SP)
Rappel des faits. Après l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du plus grand pays d’Amérique latine, la situation politique est lourde de risques et de dangers.
Vers une révolution fascisante par Maud Chirio, historienne, maître de conférences à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée
La rapidité avec laquelle le Brésil entre dans une réalité dystopique est époustouflante. Adhésion à un néopentecôtisme médiéval, abandon de toute préoccupation environnementale, exaltation de la violence policière, appel à dénoncer les professeurs « communistes », entraves à la liberté de la presse, éloges de la dictature, militarisation de l’exécutif, criminalisation des mouvements sociaux.
La liste est glaçante, et indique sans doute possible que le Brésil se prépare à une révolution fascisante, colorée de talibanisme évangéliste et de néolibéralisme de la terre brûlée. Sur ce constat, il existe un consensus dans les médias occidentaux. C’est l’insertion de cette victoire électorale dans un processus de destruction judiciaire de la démocratie brésilienne qui est moins bien comprise.
La réélection de Dilma Rousseff en 2014 n’a été acceptée par ni la droite, ni par la bourgeoisie brésilienne. Le ralentissement de l’économie a attisé le ressentiment des élites à l’égard de l’ascension sociale, par la consommation et par les études, de millions de Brésiliens auparavant misérables. Dans un pays encore marqué par l’esclavage et très inégalitaire, le dégoût face aux femmes de ménage dans les avions, et leurs enfants dans les universités, a généré une rage à l’égard du Parti des travailleurs (PT).
En 2015, le sentiment devient urgence : il faut éloigner, pour longtemps, le PT du pouvoir. L’arme sera le pouvoir judiciaire, récemment engagé dans une entreprise de limitation des pratiques illicites en politique. Les enquêtes se concentrent sur le financement privé des campagnes électorales, pratique généralisée puisqu’il n’existe pas de financement public. Bien que tous les partis l’utilisent, et bien que les cas d’enrichissement personnel soient bien moins nombreux à gauche qu’à droite, l’enquête Lava Jato donne aux médias ce discours en pâture : le PT est une organisation criminelle, qui vide les caisses de l’État à son propre profit. Pendant quatre ans, la presse conservatrice martèle cette idée. Elle fait croître un antipétisme où l’antipolitisme est un terreau fertile pour le rejet des politiques sociales, des mesures d’inclusion, de la protection des richesses naturelles, d’une diplomatie multilatérale. Le juge Sergio Moro est le héros de cette croisade, qui vise à mettre à mort politiquement la gauche au nom de la lutte anticorruption.