L’entreprise Syngenta condamnée pour le meurtre d’un dirigeant du Mouvement des Sans Terre

En 2015, la multinationale avait déjà été tenue responsable de la mort de Valmir Mota de Oliveira, connu sous le nom de « Keno ». En novembre 2018, la cour de justice de l’État du Paraná condamne l’entreprise Syngenta pour le meurtre d’un dirigeant du Mouvement des Sans Terre.

Traduction Anne-Laure Bonvalot pour Autres Brésils
Relecture Sarah Laisse

Fonds Mouvement des Sans Terre – Paraná
Valmir Mota de Oliveira, connu sous le nom de « Keno ».

Article rédigé par le Mouvement des Sans Terre (MST)
Ednubia Ghisi et Franciele Petry

Le jeudi 29 novembre 2018, dans l’après-midi, la multinationale suisse Syngenta S.A a été condamnée par la cour de justice de l’État du Paraná pour le meurtre de l’agriculteur Sans Terre Valmir Mota de Oliveira, plus connu sous le nom de Keno, ainsi que pour tentative de meurtre sur l’agricultrice Isabel Nascimento de Souza. La décision des juges de la 9ème Chambre du Tribunal de l’État du Paraná a confirmé le jugement de première instance rendu en 2015, lorsque le premier Barreau Civil de la région de Cascavel avait confirmé la responsabilité de l’entreprise dans le meurtre, la condamnant à verser à la famille des victimes des dommages et intérêts.

Keno, membre du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST), a été assassiné par balle le 21 octobre 2007, à l’âge de 34 ans, laissant derrière lui sa femme Íris Maracaípe Oliveira et ses trois fils, Juan, Keno Jr et Carlos Eduardo. « Justice a été faite. Aujourd’hui, l’entreprise Syngenta est reconnue coupable. Je suis très émue [...] », a déclaré la veuve de l’agriculteur en apprenant la condamnation en seconde instance. « Je remercie Dieu, car je n’ai jamais perdu espoir que l’entreprise Syngenta soit un jour condamnée pour cette tragédie. Je préférerais mille fois que mon mari soit ici avec moi, mais je suis sûre que, où qu’il soit, il est heureux à présent », a ajouté Íris.

Le meurtre a eu lieu dans un champ où l’entreprise Syngenta procédait à des expérimentations illégales d’OGM, dans la ville de Santa Tereza, dans l’Ouest du Paraná, aux abords du Parc National d’Iguaçu. La zone en question était occupée par près de 150 membres de la Via Campesina – association de différents mouvements sociaux ruraux du monde entier, dont le MST fait partie –, qui dénonçaient le caractère illégal des recherches réalisées par la multinationale, géant du secteur des semences OGM et des pesticides.

Les militants ont été victimes d’une fusillade menée par environ quarante agents de la NF Segurança, une entreprise de sécurité privée embauchée par Syngenta. Outre le meurtre de Keno, Isabel a également été touchée et a perdu la vision de l’œil droit. On l’a fait mettre à genoux en vue de son exécution, mais, au moment fatidique, elle a relevé la tête et a été atteinte au niveau de l’œil. Trois autres agriculteurs occupants ont également été blessés.

Responsabiisation

La décision de la cour de justice est intervenue après une procédure d’appel lancée par l’entreprise, qui contestait la décision de première instance. Le juge rapporteur, José Augusto Aniceto, a écarté la thèse de la responsabilité passive de Syngenta, puisqu’un contrat formel a été conclu avec l’entreprise de sécurité privée qui s’en est pris au mouvement social. « Les patrons sont responsables des actes de leurs employés », a-t-il souligné.

Malgré ce, la majorité des juges a considéré que les occupants avaient leur part de responsabilité dans les faits – au motif qu’ils prenaient un risque en occupant ladite zone – et ont donc réduit le montant de l’indemnisation qui leur serait versée.

Dans son verdict, le juge Wellington Emanuel Coimbra de Moura a écarté une telle interprétation, et a attribué à l’entreprise toute la responsabilité des faits. D’après lui, la NF Segurança était déjà au courant plusieurs heures avant les faits qu’une occupation de la Via Campesina était en cours. Quand elle s’est rendue sur le campement, « ce n’était pour faire aux occupants une visite de courtoisie », a-t-il précisé. « L’entreprise a agi sans recourir au Pouvoir Judiciaire », a-t-il observé.

Une note accompagnait la décision de première instance, lorsque le juge Pedro Ivo Moreiro avait condamné les actions de Syngenta : « Aussi répréhensible et illégitime que soit la violation de propriété, il n’est pas question d’agir par ses propres moyens, en imposant la peine de mort aux occupants, mais bien de chercher par la voix légale une solution au conflit. En effet, aux yeux de la loi, le fait de se rendre arbitrairement justice soi-même est considéré comme un délit », a-t-il précisé lors du rendu de la sentence.

La procédure pénale qui établissait la responsabilité des hommes de main de la NF, du propriétaire de l’entreprise, Nerci de Freitas, et du fazendeiro [1]. Alessandro Meneghel a été classée en 2017. Comme l’indique le juge des affaires pénales de Cascavel, plus de dix ans s’étant écoulés depuis les faits, le pouvoir judiciaire ne pouvait plus condamner les auteurs du meurtre de Keno. Dans le domaine du pénal, il n’y aura donc pas de verdict statuant sur la responsabilité de l’entreprise de sécurité.

Victoire des mouvements sociaux

L’affaire a connu un fort retentissement, aussi bien sur le plan national qu’international. En 2008, en Suisse, en face du siège de l’entreprise, des membres de la Via Campesina ont manifesté pour protester contre la mort de Keno. La même année, l’Ambassadeur suisse Rudolf Bärfuss a présenté ses excuses à la veuve de l’agriculteur au nom du gouvernement du pays.

Manoel Caetano Ferreira Filho, l’avocat en charge du procès, a déclaré que la décision du tribunal est une grande victoire pour les mouvements sociaux, car elle reconnaît la responsabilité de Syngenta. « S’agissant d’une entreprise d’une telle envergure, le fait que tribunal ait prononcé une sentence favorable aux parties les plus faibles, qui ont été victimes de violence, est capital », souligne-t-il.

Pour Celso Ribeiro Barbosa, membre de la coordination fédérale du MST et de la Via Campesina, une telle décision est essentielle parce qu’elle permet de prouver que Syngenta a recours à des milices armées. « Nous savons que cela ne va pas nous ramener notre camarade, mais cela va au moins réparer les torts faits à la famille de Keno et à Isabel, qui ont été les plus affectées. C’est pourquoi nous sommes très contents, c’est une victoire pour notre classe sociale. Cela nous encourage à continuer le combat », affirme le militant, qui vit sur l’assentamento [2] Sepé Tiaraju, à Santa Tereza, et qui avait participé à l’occupation et assisté à l’assaut de la milice.

D’après Fernando Prioste, avocat de l’association Terre de Droits et chargé de l’affaire, la condamnation de l’entreprise est une décision importante dans un contexte national de progression du modèle conservateur où « le président élu menace d’armer les fazendeiros contre les mouvements sociaux ». « Le Tribunal a établi, et il ne pouvait pas en être autrement, qu’un assaut armé mené par une milice est illégal. Celui qui fait usage de la violence et de l’intolérance doit répondre de ses actes », précise-t-il.

Les plaintes de la da Via Campesina ont été confirmées

En mars 2006, l’Institut Brésilien de l’Environnement, l’IBAMA, avait condamné l’entreprise Syngenta à verser une amende d’un million de Reais pour avoir illégalement cultivé du soja transgénique aux abords du Parc d’Iguaçu, sur la commune de Santa Tereza. La plainte émanait de l’organisation Terre de Droits.

Comme il s’agit de zones environnementales protégées, le Parc a établi un plan de gestion qui définit l’existence d’une zone tampon de dix kilomètres, c’est-à-dire une zone protégée où toute manipulation d’OGM est formellement interdite. Or, l’entreprise a planté 123 hectares de semences transgéniques dans la zone tampon du Parc – un hectare équivalant à la surface d’un terrain de football.

Le 14 mars 2006, la zone a été occupée pour la première fois par des familles liées à la Via Campesina, au moment où se tenait à Curitiba la Convention sur la Diversité Biologique (COP8/MOP3). L’objectif était de dénoncer les assauts répétés de l’entreprise contre la biodiversité. Les agriculteurs ont été chassés, mais sont retournés occuper la zone. C’est dans ce contexte que le meurtre de Keno a eu lieu, lors de la seconde vague d’occupations, en octobre 2007.

En décembre de la même année, moins de deux mois après le meurtre, une décision de Justice de l’État du Paraná a confirmé l’illégalité des recherches menées par l’entreprise Syngenta aux abords du Parc National d’Iguaçu.

Le lieu où Keno a été assassiné abrite aujourd’hui le Centre de Recherches en Agro-écologie Valmir Mota de Oliveira. Il compte 123 hectares et est administré depuis 2009 par l’Institut Environnemental du Paraná (IAPAR).

Voir en ligne : Site du Mouvement des Sans Terre

[1Propriétaire de fazenda, grand propriétaire terrien

[2Territoire issu de la réforme agraire, où vit et cultive une communauté de travailleurs ruraux. L’assentamento a généralement été légalisé suite à une occupation de la zone (acampamento) par le Mouvement des Sans Terre ou autre mouvement social au motif que le territoire était improductif (en friche, non cultivé) ou hors la loi.

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