L’adieu à la vie de bandit (1)

 | Par Dayse Lara

<img438|left> Chacun a ses motifs. Ça peut être la pression familiale, l’appel de Jésus ou la peur de mourir. Qui mène une vie de bandit peut soudainement éprouver l’envie de retourner sa veste. Mais si rester dans le movimento (le mouvement, le trafic de drogue) est difficile, en sortir l’est encore plus. Surtout si on ne bénéficie d’aucune aide. Pourtant, nombreux sont ceux qui réussissent à contourner les difficultés et à s’en sortir. Et ils garantissent qu’il est possible de vivre sans trafiquer, il suffit d’avoir une bonne raison pour changer de vie.

Dans le cas de Ronaldo Rangel Flores, 32 ans, le premier motif a été un commencement d’"overdose" qui lui a fait arrêter la cocaïne. Le second motif a été son épouse actuelle. « Comme son frère était trafiquant et ne voulait pas que sa sœur sorte avec un bandit, j’ai voulu prouver que je pouvais changer. J’ai décidé d’arrêter une fois pour toutes. » Et il a réussi.

Au départ, c’étaient des petits boulots : peintre, jardinier, ouvrier de chantier. « J’ai même fait du rap, comme MC Tico ». Il y a trois ans, Ronaldo a trouvé un emploi dans la Fundação Parques Jardins (Fondation Parcs et Jardins) où il travaille jusqu’à maintenant. Et il a pu se marier. La vie se passe bien. Mais il a gardé des séquelles. « Depuis le début de l’"overdose", mon cœur n’est plus le même. J’ai aussi perdu du cartilage au nez et je ne perçois presque plus les odeurs. Mais ça n’a aucune importance si aujourd’hui je peux dormir tranquille ».

Il sniffait son salaire en une heure

Comme tant de jeunes pauvres sans alternatives professionnelles, Ronaldo a commencé a trafiquer encore adolescent, à 19 ans. C’était sa forme d’assouvir sa dépendance à la cocaïne. Il gagnait, en moyenne, 250 reais (environ 96 euros) par jour, qui disparaissaient dans la drogue. Certains jours, il sniffait son salaire hebdomadaire en à peine une heure.

« J’ai abandonné le trafic de drogue parce que j’allais finir par être pris à la gorge », raconte Ronaldo . Et il a des raisons d’en être convaincu. Le jour où il a pris sa décision et a été parler au chef du gang, il a eu droit a une réponse brève et directe . « Il m’a dit qu’il était soulagé. Ça en faisait un de moins qu’il aurait à tuer. C’est qu’en étant aussi drogué, je commençait à faire n’importe quoi », se rappelle-t-il. Cela c’est passé il y a plus de six ans.

La violence faisait partie de la routine. Il est arrivé que Ronaldo participe à des lynchages. Il dormait mal et sursautait même lorsqu’un chat passait. « Dans le trafic tout est risqué. Si tu laisses faire, les mecs qui se disent tes amis, te tendront un piège pour te prendre ta "boca de fumo" (QG des narcotrafiquants dans la favela) ».

Il y avait pourtant un aspect séduisant : des femmes « à toute heure », de la drogue tous les jours : « Je me réveillais avec une paille à la main et un joint à l’oreille. Je vivais dans un monde de fous », se rappelle-t-il.

Comme André Luiz Silva, 23 ans, membre de la coopérative Boca de Filmes (jeu de mots avec boca de fumo). Il est devenu un modèle pour beaucoup de jeunes à la Cidade de Deus. « Ils sont déjà pleins à vouloir participer au prochain groupe du Cinema Maneiro ». Il affirme que Boca de Filmes lui « donne des forces pour tout affronter ».

Il s’agit d’une grande responsabilité : « les commerçants croient en nous et aident la coopérative. Si je me trompe, je ruinerai tout le travail » reconnaît André. Un soutien financier de la LAMSA (Linha Amarela, Ligne Jaune) va garantir une aide aux membres de Boca de Filmes pendant les deux prochaines années.

Le changement de vie est pourtant loin d’avoir été facile. Quand il a décidé d’abandonner le trafic de drogue, André avait déjà un long parcours derrière lui. « J’étais "vaporzinho" (jeunes qui livrent la drogue aux clients) puis j’ai été invité à gérer la boca. Je semais la terreur. Beaucoup n’osaient même pas s’approcher de moi. J’avais la physionomie d’un délinquant ».

Ce n’est pas sans raison que le jeune homme a mis du temps à se débarrasser des stigmates du trafic, après trois mois passés en prison. Même après avoir été jugé et acquitté. Par chance, il a eu l’opportunité d’entrer à Boca de Filmes une fois sorti de prison. Ce qui l’a aidé à sortir du movimento et à se débarrasser de sa mauvaise image.

Licencié pour avoir fait de la prison

André savait qu’il devait aller jusqu’au bout de sa décision : "Il y avait encore des gens qui m’appelaient pour que je revienne dans le trafic. Mais je ne pouvais prendre les choses à la légère, arrêter, reprendre. Celui qui arrête, doit le faire vraiment". Il a arrêté de fréquenter ses anciens amis et de participer à des affaires malhonnêtes. Etre connu de la police qui patrouille dans la communauté était un souci supplémentaire. "C’était un problème. Quand j’allais jusqu’à l’Apé (zone de la Cidade de Deus), rendre visite à un ami, les policiers qui me croisaient m’appelaient par mon surnom de trafiquant. J’étais terrorisé à l’idée qu’un trafiquant du coin me confonde avec un X-9 (sorte d’espions de la police) », raconte André. Il a également senti les conséquences de son choix au niveau financier. Il est passé de l’argent facilement gagné à un revenu précaire qu’il touchait grâce à de petits boulots, comme ouvrier sur un chantier. "Je courais après mais c’était difficile. J’ai trouvé un emploi chez Carrefour mais lorsqu’ils ont su que j’étais un ancien détenu, ils m’ont renvoyé". Malgré ça il n’a pas voulu revenir sur sa décision. « Avec le trafic, l’argent est facilement amassé mais il repart rapidement aussi. Je préfère ma tranquillité d’aujourd’hui ».

Dans le cas de Jonata Luís Soares, 22 ans, cousin d’André, c’est aussi l’opportunité de faire du cinéma qui lui a permis de s’en sortir. Sa chance a tourné lorsque le projet Cine Maneiro est apparu, en 2002, proposant des cours de cinéma. Le jeune homme n’a pas voulu laisser passer cette opportunité. Il avait abandonné les "missions" de trafiquant depuis un an.

"Au départ c’est merveilleux : l’argent, les femmes, la vie facile. Après tu commences à voir beaucoup de gens mourir". A partir de là, Jonata commença à vivre de petits boulots. "Quand ce projet est apparu, j’ai couru après le mec qui coordonnait tout et je lui ai raconté mon histoire, mon passé de narcotrafiquant". A l’époque, quelques jeunes de la Cidade de Deus avaient déjà participé au film (La Cité de Dieu de Fernando Meirelles, tourné dans cette favela). Tout ce que Jonata voulait c’était essayer. "J’ai demandé à ce qu’on m’offre ma chance" dit-il. Et il l’a obtenue. Après le cours il est rentré dans une association formée par d’anciens élèves, Boca de Filmes.

Doué, il a aujourd’hui une autre source de revenus ; il dessine des paysages pour des azulejos. Ça l’aide à se maintenir écarté du trafic.

Par Dayse Lara, de la Cidade de Deus

Source : Viva Favela - 01/03/2006

Traduction : Livia Honsel pour Autres Brésils

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