L’AMAZONIE SANS LOI - interview avec Dário Kopenawa

 | Par José Cícero da Silva

Dário Kopenawa : “ Ils sont 20 milles orpailleurs à exploiter chez nous “.
“Bien que nous les dénoncions sans cesse, les orpailleurs restent là”, dit Dário Kopenawa, fils du chef historique yanomami Davi Kopenawa.

La tribu yanomami dénonce la recherche illégale d’or, les menaces et les dommages environnementaux sur le territoire du Roraima ; le gouvernement Bolsonaro prétend légaliser l’exploitation de l’or sur les terres indigènes.

  • Traduction de Pascale VIGIER pour Autres Brésils
  • Relecture : Tina MAURY

“Il [Bolsonaro] ne porte pas préjudice aux seuls Yanomami, il crée des problèmes pour l’État brésilien”, critique le jeune vice-président de l’association Hutukara Yanomami, dans le Roraima.

Actuellement, plus de 15 mille orpailleurs illégaux exploitent l’or sur la plus vaste terre indigène du Brésil. En 2019, selon un reportage de la BBC Brésil, l’or est devenu le second produit d’exportation du Roraima sans qu’une seule mine ne fonctionne légalement dans l’État. Dário demande le retrait immédiat des orpailleurs illégaux : “Mais comme le gouvernement Bolsonaro est favorable [à l’exploitation], c’est très difficile. Or seul le gouvernement peut inverser cette intrusion”, ajoute-t-il.

Ce n’est pas la première fois que les orpailleurs envahissent le territoire. En 1986, ils étaient 40 mille en terre indigène. Un reportage du journal O Globo a révélé à quel point cette nouvelle ruée vers l’or dans la région laisse une trainée de “tensions, violence, conflits et destruction de l’environnement” - actuellement, environ 23 mille Yanomami vivent dans les états de Roraima et d’Amazonas. “Je tiens à ce qu’il soit bien clair que les dirigeants qui dénoncent cela courent un risque. Les orpailleurs nous menacent : si tu continues à dénoncer, on va t’attraper, te frapper, te tuer. C’est le genre de message qu’’ils laissent à leurs comparses pour information de ceux qui dénoncent » révèle-t-il.

Actuellement, le gouvernement Bolsonaro prépare un projet de légalisation de l’exploitation minière en terre indigène, qui peut affecter un tiers de ces terres indigènes dans le pays. Prévue dans la Constitution de 1988, l’activité sur ces territoires n’a jamais été réglementée et reste un objet de discussion au Congrès.

A lire, ci-dessous les principaux extraits de son interview.

[Dário est vice-président de l’association Hutukara Yanomami]

Votre père, David Kopenawa, dénonce depuis de nombreuses années l’orpaillage illégal, et vous continuez à le faire. Comment vous sentez-vous ?

Quand j’étais enfant, mon père se battait déjà beaucoup. Dans les années 80, quand un grand nombre d’orpailleurs illégaux sont entrés en terre Yanomami, ils étaient 40 mille, il a énormément lutté. Il y avait beaucoup d’irrégularités et il a dénoncé beaucoup de gens. À cette époque, notre territoire n’était pas délimité. Mon père a 40 ans de lutte à son actif. À dénoncer l’orpaillage. À expliciter ses conséquences, de la fragilité du territoire Yanomami.

Mais à présent, le gouvernement brésilien doit assumer son rôle pour dans le retrait des orpailleurs. Quand on a délimité la terre Yanomami en 1992, le gouvernement fédéral en a retiré tous les orpailleurs. Maintenant, il faut agir avec force pour en retirer les orpailleurs immédiatement. Or comme le gouvernement Bolsonaro est favorable [à l’exploitation], c’est très difficile. Car seul le gouvernement est habilité pour inverser cette intrusion. Il va falloir plus de 300 hommes pour chasser ces orpailleurs de la terre Yanomami. Il faut que ce soit une opération de grande envergure. Les faire partir de là est du devoir de l’État, en respect au droit des peuples indigènes ; c’est dans la constitution de 1988, article 231. Il est clair que le président doit accomplir son devoir qu’il néglige, selon moi, puisque 20 mille orpailleurs se trouvent sur les terres Yanomami et qu’il est impossible de cacher 20 mille personnes.

Avez-vous formulé de nouvelles dénonciations en ce qui concerne l’exploitation de l’or sur le territoire ?

Des dénonciations, on en fait toujours. Il y a une pile, une tonne de dénonciations. La Funai [Fondation Nationale de l’Indien] ne les résout pas, ni le Ministère public fédéral, ni la Police fédérale ou l’Armée. Le mois dernier, nous avons fait de graves dénonciations auprès d’organismes publics. Nous sommes allés à la Funai, au ministère de la Justice, au ministère de la Défense et chez le Procureur général de la République. Nous continuons de dénoncer, mais les orpailleurs continuent de rester là.

Où en est l’exploitation du territoire ?

Vingt mille orpailleurs travaillent aujourd’hui en terre Yanomami. C’est une multitude d’hommes exploitant notre chez nous. Or il ne s’agit pas d’exploitation minière, c’est de l’orpaillage illégal en terre Yanomami. L’exploitation minière n’est pas encore arrivée, pourtant elle porte déjà préjudice à notre territoire. C’est dans la région du fleuve Uraricoera que c’est le plus grave. Là-bas des communautés courent des risques.

Comment êtes-vous sûrs qu’il y a 20 mille orpailleurs ? Comment êtes-vous parvenus à ce nombre ?

Nous recevons des informations à travers les dénonciations des communautés. Chaque communauté effectue un comptage “approximatif ”. Impossible d’y aller là [à l’orpaillage] et de compter les orpailleurs un par un, non. Si on y va, on est mort. Il y a aussi les données de la Police fédérale et de l’Armée qui arrivent à ce nombre. Il augmente depuis 2011. Mais en 2019, c’est énorme. On est à 20 mille orpailleurs.

Vous recevez des menaces ?

Là où il y a des orpailleurs, c’est courant. Ils menacent les femmes, les enfants et les adultes. Ils ont des armes à feu. Oui, la menace existe. Je tiens à ce qu’il soit bien clair que les dirigeants qui dénoncent cela courent un risque. Ils s’entendent dire : “si tu continues à dénoncer, on t’attrapera, on te frappera, on te tuera”. C’est le genre de message que les orpailleurs diffusent entre comparses pour qu’il arrive jusqu’à ceux qui dénoncent l’orpaillage. Pourtant, il faut dénoncer parce que l’orpaillage se trouve sur notre territoire. Or, notre terre est délimitée. Les orpailleurs sont présents sur le territoire Yanomami. Ils sont à proximité des communautés. Certains se trouvent à cinq kilomètres. L’orpaillage court autour des communautés.

Comment sont organisés l’orpaillage et les campements d’orpailleurs ?

Les orpailleurs habitent des baraquements. Chaque orpaillage apporte son matériel. Hamac, aliments, barque, machines, combustible, ils apportent tout. Pour l’équipement, ils sont appuyés par des entrepreneurs, ils financent tout. Les moteurs et les barques sont financés par les entreprises.

Et comment accèdent-ils à la terre indigène ?

Ils ont trois possibilités : remonter en bateau, affréter illégalement un avion privé ou un hélicoptère. Pour arriver sur place, ils ont des pistes clandestine. Ils ont un radiotéléphone. Ils ont la wi-fi, l’internet. Les orpailleurs sont équipés.

Quelle est la région qui pose le plus problème ?

Aujourd’hui, la partie haute du fleuve Uraricoera et le fleuve Mucajaí sont les plus problématiques. Ce sont les principales régions. Ils montent jusqu’aux igarapés où habitent les Yanomami. Là, ils ont des pistes clandestines qu’ils font eux-mêmes.

Comment vivent les gens qui viennent à l’orpaillage pour trouver de l’or ?

Ils n’étaient pas censés y vivre. Ils pratiquent une activité d’orpaillage illégal, en retournant le lit des fleuves avec une machinerie lourde. Ils introduisent des tuyaux dans les fleuves pour en pomper l’eau. Ils ravagent la terre, polluent les fleuves avec du mercure. Ils recourent à la prostitution et à l’alcool. A la corruption des Yanomami. Ils ont à manger, la radio, la télévision. Ils arrivent dans la communauté Yanomami et promettent beaucoup. Ils donnent du riz, de la cachaça, de la nourriture, des fusils, des cartouches. Ils disent [aux indigènes] être de bons orpailleurs. La majorité des Yanomami est contre et une minorité tombe dans le piège.

Savez-vous ce qu’il advient de l’or qui sort de la terre Yanomami ?

L’or extrait de chez nous, ils l’emportent à Boa Vista [capitale de l’état de Roraima]. Là il est lessivé et expédié vers d’autres états puis en Europe. De nombreux entrepreneurs achètent l’or, mais nous ne les connaissons pas, nous n’y avons pas accès. Il y a trois ou quatre ans, ici à Boa Vista, la Police fédérale a enquêté sur certains entrepreneurs. Selon elle, l’or qui sort de la terre Yanomami est acheminé vers Boa Vista, puis vers Manaus, Maranhão et du Maranhão à São Paulo. L’or Yanomami suit ces chemins.

L’un des objectifs du gouvernement est de libérer l’exploitation minière sur les terres indigènes. Cette position du gouvernement favorise-t-elle l’augmentation d’orpailleurs sur le territoire ?

Quand il [Jaír Bolsonaro] s’est déclaré candidat, il a aussitôt annoncé vouloir négocier avec le gouvernement américain la légalisation de l’exploitation minière sur les terres indigènes. Il l’a déjà annoncé. En réalité, ce qui l’intéresse, c’est l’exploitation minière, pas l’orpaillage. L’orpaillage est inconsistant et désormais l’intérêt du gouvernement Bolsonaro est là où se trouvent les minerais. Ce faisant, il crée aussi beaucoup de problèmes à l’État brésilien. Il ne respecte pas les structures. Il ne porte pas seulement préjudice aux Yanomami, mais il est en train de créer des problèmes pour l’État brésilien.

Le projet de loi qui doit permettre l’exploitation minière en terre indigène exige une autorisation préalable de la part des indigènes de ce territoire. Comment les Yanomami l’envisagent-ils ?

De manière générale, les peuples autochtones du Brésil sont contre l’exploitation minière en terres indigènes. Parce que la politique indigène n’est pas en faveur de l’exploitation minière. Une minorité, dont certains parents proches, se sont compromis avec les politiciens. Ils sont manipulés par des politiciens.

La justice a décidé que la Funai devait ouvrir les aires de protection ethno-environnementale dans le territoire. Avez-vous participé à la réouverture ?

Le programme d’ouverture comprend trois aires [dans le territoire]. Nous avons poursuivi l’État en justice et obtenu des moyens pour la réactivation des aires où pénètrent les orpailleurs. Nous devons bloquer l’entrée des orpailleurs par barque. La Funai s’organise pour la réinstallation. Cela devait être fait l’an dernier, mais cela n’a pas marché, parce que - je ne sais pas si la Funai va le dire comme cela, mais moi je le dis, nous avons obtenu grâce aux poursuites judiciaires les réactivations des aires et la permanence des gens qui y seront.

Selon la coordonnatrice régionale de la Funai du Roraima, ils s’apprêtent à réouvrir leurs installations. C’est sous la responsabilité de la Funai. Ils n’ont pas fixé de date officielle, mais je pense qu’ils vont réouvrir dans 90 jours. Ils sont en train de mettre leur structure en place pour tenir ce délai-là.

Quel est votre rôle dans l’association ?

Je travaille depuis le début avec [l’Association] Hutukara qui a été mise en place en 2004 par les Yanomami. Voilà 15 ans que je lutte et dénonce l’exploitation minière sur notre territoire. Nous œuvrons également dans les domaines de la santé et de l’éducation de notre peuple. Actuellement, je suis vice-président de l’association Hutukara Yanomami et porte-parole du peuple.

(L’interview fait partie du projet de l’Agência Pública Amazonie sans Loi, qui enquête sur la violence relative à la régularisation foncière, à la délimitation des terres et à la réforme agraire dans l’Amazonie juridique)

José Cicero da Silva
Photographe et vidéaste, a travaillé en free-lance pour des organes de communication qui traitent des violations de droits de l’homme.
Il a apporté des contributions à Carta Capital, Rede Brasil Atual et Outras Palavras. En plus de l’Agência Pública, il participe au DiCampana Foto Coletivo.

Voir en ligne : A Publica

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