« Il faut bien comprendre le pouvoir symbolique du funk » dit Ivana Bentes.

 | Par Ivan Longo

Source : Revista Fórum, 11/02/2015
Traduction pour Autres Brésils : Caroline SORDIA (Relecture : Sifa LONGOMBA)

La secrétaire à la citoyenneté et à la diversité culturelle du Ministère brésilien de la Culture, Ivana Bentes, a été l’invitée mardi 10 février de "Cadeira Elétrica" [la chaise électrique], événement hebdomadaire organisé par la Ligue du Funk [1] et lors duquel de jeunes MC échangent avec une personnalité autour de sujets liés à ce mouvement et à la question des banlieues. La participation d’Ivana s’inscrit dans le parcours de la caravane "Cultura Viva" [Culture Vivante], du Ministère de la Culture, projet qui vise à débattre avec la société civile des formes de promotion et d’appui aux productions culturelles. Le programme Cultura Viva [2], permet alors de débureaucratiser les démarches administratives des Pontos de Cultura [3] et des différents acteurs de la culture.

Avant l’événement, la secrétaire a fait un passage par Capão Redondo, district de la périphérie sud de São Paulo, où elle a rencontré des collectifs culturels locaux. Elle a ensuite participé à la discussion avec les funkeiros dans les locaux d’Ação Educativa [ONG brésilienne d’éducation populaire], en centre-ville. Au cours de cette Cadeira Elétrica, Ivana qui possède un doctorat en communication et a dirigé par le passé l’École de communication de l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), a été extrêmement applaudie. « J’ai suivi toute l’histoire du mouvement au Brésil. En 2010, nous avons organisé à l’UFRJ une leçon inaugurale en présence de Deize Tigrona [célèbre artiste brésilienne de funk]. Un véritable choc culturel ! Je suis une grande admiratrice du funk féminin. Ces filles sont en train d’opérer une révolution sexuelle qui vient des banlieues », a-t-elle estimé.

Programme Cultura Viva et funk, une construction commune
Ivana a évoqué l’importance du mouvement funk et de politiques publiques dédiées à ce public à traves le programme Cultura Viva. « Il est crucial que nous commencions à penser à donner de la visibilité à ce style musical. Le funk produit des langages, des modes, des comportements. Une bonne partie de la culture brésilienne aujourd’hui se nourrit du funk. La classe moyenne blanche imite les funkeiros [artistes de funk]. Cela n’est pas médiatisé, y compris du point de vue économique. Nous devons pouvoir retracer et comprendre le pouvoir symbolique du funk. Nous devons dresser un état des lieux pour évaluer l’ampleur de ce mouvement : qui, combien, où sont-ils ? Cet état des lieux est indispensable pour pouvoir élaborer des politiques publiques », a-t-elle affirmé.

En accord avec la secrétaire du Ministère de la Culture, les groupes de funk pourront s’enregistrer comme Ponto de Cultura. Avec la règlementation du programme Cultura Viva, les démarches administratives seront simplifiées, une demande historique des collectifs culturels. « Nous lançons une campagne de déclaration. L’idée est d’aller se déclarer et se faire enregistrer auprès de l’État comme Ponto de cultura, et à partir de là, il s’agira de construire ensemble une politique spécifique au funk. Occupez la scène de la culture vivante ! », a-t-elle ajouté.

Ivana a ensuite nuancé son propos en soulignant qu’il était nécessaire de renverser la logique demande contre réponse dans la mesure où les acteurs culturels des banlieues créent et diffusent eux-mêmes leurs productions. « Il est temps de nous mettre à une forme de gestion qui porte l’empreinte d’un travail collectif. Sortir de la seule logique de la demande, dans laquelle vous demandez et l’État répond. Ce type de rencontre peut être démultiplié. Vous devez l’exiger. Quand on n’aime pas la politique, on risque de finir dirigé par ceux qui l’aiment », a-t-elle analysé, complétant l’appel aux funkeiros lancé quelques minutes plus tôt : « Nous comptons d’ores et déjà sur vous en tant que co-gestionnaires d’une possible politique publique du funk ».

Ivana a également proposé que l’État cesse de financer le seul produit final et s’attache plutôt à soutenir l’ensemble du processus de production culturelle. « Le financement doit concerner l’ensemble du processus. C’est beaucoup plus intelligent et cela permet de générer encore plus de productions », a-t-elle affirmé, ce à quoi l’un des funkeiros a promptement réagi : « Valoriser l’ensemble du chemin, pas seulement la ligne d’arrivée ».

Le funk et les femmes : une révolution
À la question de savoir si le mouvement funkeiro ne serait pas machiste, Ivana a répondu que le fait que les femmes funkeiras puissent exprimer librement leur sexualité constituait à son sens une « révolution », bien qu’elle soit contestée par certaines branches du mouvement féministe.

« Il y a des préjugés à l’encontre des funkeiras. Pour la première fois de l’histoire, nous voyons des Brésiliennes parler explicitement de sexe. Auparavant, elles n’en avaient pas le droit, en particulier dans l’espace public. J’en ai déjà pris plein la figure de la part des féministes qui m’accusaient de défendre la “femme-objet”. Je suis en désaccord total avec leur position. S’il y a un espace dans la culture brésilienne qui permette aux femmes de s’exprimer librement sur la sexualité, c’est bien le funk », a-t-elle observé, en profitant par ailleurs pour faire la critique de ceux qui estiment que le funk devrait être plus « politisé ».

« À mon sens, le fait que les femmes osent parler de sexe sur la place publique est extrêmement politique. C’est une révolution féministe brésilienne venue des banlieues », a-t-elle conclu.

Notes de la traduction :
[1] En savoir plus sur le funk au Brésil : Le Funk Carioca à Rio de Janeiro : de la répression à la promotion (article publié en 2012 par Autres Brésils)
[2] Créé en 2004, Cultura Viva est un programme du Ministère de la Culture brésilien qui s’appuie sur des structurelles culturelles déjà existantes sur tout le territoire. Objectifs : démocratiser l’accès aux moyens de formation, création, diffusion et production culturels sur le plan local, promouvoir de la diversité culturelle et ainsi favoriser l’inclusion sociale et la citoyenneté.
[3] Pontos da cultura ou points de culture : relais culturels polyvalents agréés par le Ministère de la Culture. Les Points de culture signent une convention avec le Ministère de la Culture et reçoivent une aide financière pour la mise en place de leurs activités d’intérêt public. Tenus de justifier de la bonne utilisation de ces ressources, ils s’engagent à produire des bilans financiers complets (prestação de contas).

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