IIe Conférence internationale de la FAO sur la Réforme agraire et le Développement rural : le silence médiatique autour d’un événement historique (1)

A moins d’être « du milieu » et de préférence lusophone, vous n’aurez probablement pas su qu’au début de ce mois de mars 2006 s’est tenu au Brésil un événement que l’on peut qualifier, somme toute, d’historique : la IIe Conférence internationale de la FAO sur la réforme agraire et le développement rural (CIRADR). Historique à plusieurs titres. La précédente conférence (la première) remontait à 1979, soit il y a 27 ans. Elle s’était tenue à Rome. C’était du temps d’avant l’avènement sur la scène mondiale de ce qu’on appelle aujourd’hui la « mondialisation néolibérale ». Plinio Arruda Sampaio [1], figure de référence sur les questions agraires au Brésil, le résume ainsi : « J’ai travaillé pendant dix ans à la FAO, et à l’époque, on avait régulièrement des réunions internationales pour évaluer les avancées de la réforme agraire dans le monde. Ces réunions faisaient l’objet de rapports importants. Avec la victoire du néolibéralisme de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, les pays développés ont fait pression sur la FAO pour qu’elle arrête de faire cela, et elle a cédé à ces pressions. C’est donc de bon augure que le débat revienne sur la table aujourd’hui... »[2].

Après 27 ans de silence : où en est-on ?

La FAO est l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization). Comme bon nombre d’autres organisations des Nations unies, elle a perdu bien de son prestige et de son influence depuis 1979, d’autres organisations ayant fait leur apparition, telle que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), fille du GATT, créée en 1995, en dehors des Nations unies et qui pourtant régule les échanges commerciaux mondiaux y compris en matière d’alimentation et d’agriculture. On comprend donc que l’un des chevaux de bataille de mouvements sociaux tels que La Via Campesina soit, légitimement, le transfert d’un certain nombre de compétences de l’OMC vers la FAO dans ce domaine, ou du moins une place plus importante dans les questions y ayant trait.

En 1979 donc - soit 21 ans avant le Sommet du Millénaire de l’ONU - la FAO avait alerté le monde sur le drame de la faim et de la pauvreté en milieu rural, et insisté - déjà - sur la réforme agraire comme solution pour éradiquer ces deux fléaux au niveau mondial. La conférence d’alors avait réuni des représentants de 145 pays, 4 chefs d’Etat et 89 ministres, et adopté une déclaration de principe et un programme d’actions connus sous le nom de « Charte des paysans » [3]. L’un des principes de base de cette charte affirmait : « L’objectif principal de la réforme agraire et du développement rural doit être l’amélioration de la qualité de vie de tous, notamment celle des pauvres qui vivent en zones rurales. Le développement économique en soi ne suffit pas, car il doit se baser sur des principes de justice et se faire avec la participation des communautés ».

Vingt-sept ans après, force est de constater que ces belles intentions ne sont pas sorties du papier, et que la situation des populations rurales ne s’est pas améliorée. Pire encore : elle s’est aggravée. Et pas que pour elles : l’exode rural, la surpopulation dans les mégalopoles du Sud et la violence urbaine qu’elle engendre, la disparition de la biodiversité, la dégradation des sols, la pollution de l’air, de l’eau... sont autant de questions étroitement liées à la question de l’utilisation et de la répartition de la terre et des ressources de manière générale, qui - curieusement ? - ne mobilisent pas les foules diplomatiques ni médiatiques.

La IIe CIRADR, qui s’est tenue à Porto Alegre du 7 au 10 mars derniers, a accueilli des représentants de 96 pays, quelques ministres - dont Miguel Rossetto, le ministre brésilien du Développement agraire (MDA) - mais aucun chef d’Etat. Même le président brésilien, hôte et pourtant instigateur de la rencontre, se trouvait à Londres ces jours-là, alors que sa présence aux débats avait initialement été annoncée.

Pourtant, comme le souligne Sampaio, par la tenue de la CIRADR, « la FAO [et donc ses pays membres] reconnaît que le chemin pris dans les années 80 et 90 sous la pression des pays qui la financent était une voie sans issue, et reprend aujourd’hui un travail de promotion de la réforme agraire » [4]. Que le Brésil décide d’organiser et d’accueillir cette rencontre est un signe positif ; que le président Lula n’y participe pas souligne toutes les contradictions de son gouvernement, qui dispose de deux ministères distincts pour les questions agraires, l’un s’occupant de l’agriculture familiale et du développement agricole (le MDA), l’autre au service de l’agrobusiness, puissant politiquement et économiquement... A l’image du débat qui traverse le monde, finalement.

Synergie entre société civile et gouvernements

Une autre caractéristique historique de la rencontre aura été l’apport et la participation de la société civile internationale (mouvements sociaux, ONG, chercheurs, experts) aux débats. Pour la première fois, la FAO a ouvert les portes de ses plénières et de ses groupes de travail à des délégués non gouvernementaux. « Les organisations de la société civile et les mouvements sociaux ont joué un rôle fondamental dans la Conférence en réclamant de nouvelles modalités de concertation avec les gouvernements », peut-on lire sur le site web de la conférence [5]. C’est aussi ce que reconnaît Flavio Pérri, le représentant permanent du Brésil à la FAO : « La société civile a ses propres impressions du quotidien, de son processus social. Souvent les gouvernements, et c’est naturel dans n’importe quel pays, peuvent ne pas avoir toutes ces perceptions. (...) C’est de cette synergie que peuvent émerger des actions plus lucides. La FAO, avec cette nouvelle ouverture, et en cela il y a eu un mouvement significatif au cours de cette conférence, est en train de s’ouvrir pour permettre cette collaboration avec la société civile. » [6] La déclaration finale, disponible en anglais sur le site, reflète bien cette collaboration et cette synergie. Bien sûr, tout comme en 1979, il ne s’agit que de principes, qui n’ont absolument pas valeur de loi, mais qui serviront de recommandations lors des prochaines réunions des Nations unies. C’est un début. Une renaissance, pourrait-on dire.

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Notes :

[1] Il fut responsable du programme de réforme agraire sous le gouvernement progressiste de João Goulard en 1963 - avant le coup d’Etat militaire -, et l’instigateur du II Plan national de réforme agraire du gouvernement Lula en 2003. Entre les deux, il a aussi été rapporteur des Nations unies sur la question de la réforme agraire.

[2] Correio do Brasil, 5 mars 2006, « Brasil não faz reforma agraria, denuncia Arruda Sampaio »

[3] La charte des paysans

[4] Correio do Brasil, idem.

[5] http://www.icarrd.org/fr/index.html

[6] Agencia Carta Maior, entretien avec Flavio Perri, 13/03/06, "Sentido humano da reforma agraria foi reforçado, diz embaixador do Brasil na FAO"

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