Autrice de Lugar de fala (trad. française La place de la parole noire, Anacaona, 2019), de Pequeno manual antirracista (Petit manuel antiraciste et féministe, Anacaona, 2020) et de Quem tem medo de Feminismo negro (Chroniques sur le féminisme noir, Anacaona, 2019), Djamila coordonne également la plate-forme Feminismos Pluraís [3], et a déjà été considérée comme une des 100 femmes les plus influentes du monde par la BBC britannique. Elle a parlé durant une heure, répondu à des questions, chanté Racionaís MCs [4] et a posé de nombreuses questions. Djamila Ribeiro a introduit dans le débat la pensée de Lélia Gonzales [5], Conceição Evaristo [6], Lima Barreto [7], Machado de Assis [8] et aussi l’importance des Orixás du panthéon des divinités africaines.
Pour Djamila Ribeiro, les défis de la diversité linguistique du portugais révèlent les difficultés inhérentes au processus de colonisation apparues lorsque cette langue a été imposée aux peuples autochtones : « Examiner la Langue portugaise du Brésil, probablement, c’est observer un acte de résistance ; ce portugais, le nôtre, avec des mots africains et autochtones est le visage de notre persévérance, nous finissons par influer sur cette langue qui nous a été imposée », dit l’activiste.
Pour le public portugais (néanmoins avec une importante participation brésilienne), elle explique la conception du Pretuguês, développée par Lélia Gonzales, et met en évidence la valorisation de la Langue portugaise parlée :
« La société élitiste se moque du peuple noir quand nous disons framengo, mais elle ne connaît pas les variations linguistiques de l’Afrique où, pour de nombreux locuteurs, le L n’existe pas et je me demande : finalement, qui est l’ignorant ? » ironise-t-elle.
Effectivement, beaucoup de gens rient de cette manière de parler la langue portugaise et oublient que la population noire a été exclue du programme d’éducation officielle dans le pays. La première Constitution du Brésil, érigée en 1824, établissait que seuls les citoyens nés libres pouvaient fréquenter les écoles, or, à cette époque, les personnes noires étaient encore esclavagisées : les peuples noirs n’avaient manifestement pas le droit d’apprendre la langue parlée dans leur propre pays.
« Les personnes se moquent, pourtant elles devraient comprendre que ce procédé est une violence qui éliminait des populations définies de l’accès à l’éducation ; la non-reconnaissance de notre Portugais avec ses influences autochtones et africaines est une violence de l’eurocentrisme », condamne Djamila Ribeiro.
L’écrivaine angolaise Yara Nakahanda Monteiro demande ce qu’a fait le Brésil pour ne pas perpétuer ce colonialisme linguistique et Djamila Ribeiro répond que « durant les quatre années passées, rien, bien au contraire ». Mais « à présent que nous sommes revenus respirer la démocratie dans le pays », elle place des espérances dans des initiatives comme la loi 10 639 qui établit l’obligation d’enseigner l’histoire et la culture afro-brésilienne au sein des écoles brésiliennes. Cette loi a modifié la Loi des Orientations et Bases de l’Éducation nationale, qui définit les contenus obligatoires devant être développés pour les élèves. Cette loi a été élaborée lors du premier gouvernement Lula et était une revendication ancienne des mouvements noirs, toujours très difficile à faire appliquer en pratique.
Djamila Ribeiro a conclu la session en évoquant la Langue de Santo [9], qu’elle a apprise avec sa grand-mère Antônia, guérisseuse à Piracicaba [10], à qui elle a dédié son livre le plus récent Cartas para a minha avó (non traduit). Elle explique que cette langue vient du Candomblé et de toutes les religions afro-brésiliennes, et que ce fut dans cet espace qu’elle a appris de nouveaux mots : « Je remercie avec Adúpe et salue avec Motumbá. Mes mots préférés sont les salutations avec les Orixás, et, en tant que fille de Oxóssi, j’ai une préférence pour le Okê Arô ! Il est plaisant de voir que les salutations ont des sonorités qui s’accordent entre elles : par exemple, pour Oxum, qui est la Reine de l’eau douce, la maîtresse des fleuves et des torrents, la salutation semble presque une onde… Ora Ie Iê Ô ! À travers ces paroles nous honorons toute une culture. »
Suivant l’opinion de Djamila Ribeiro, ces religions ont occupé un espace linguistique qui leur restitue une humanité, parce que lorsque le peuple noir va à l’école, là on ne raconte rien de son histoire, on ne parle que de l’esclavage. Cependant, il existe, dans un terreiro [11], un panthéon de divinités, de dieux et de déesses, avec de nombreux mots nouveaux et des nouvelles acceptions de tant d’autres, attribuant de nouveaux sens à ceux que nous connaissons dans le monde.
Elle voit le monde verbal à travers le Candomblé, selon une logique anticolonialiste, avec ces Orixás qui dansent en cercle dans le jeu. La danse se fait dans l’ordre, d’abord vient Exu, Oxalá vient en dernier et ils apparaissent tous quand ils sont chantés : « Ce qui est beau, c’est que tous les orixás diffèrent entre eux, mais ils dansent tous ensemble, même ceux qui ne s’entendent pas ; Obá ne s’entend pas avec Oxum et vice-versa cependant ils dansent en harmonie dans l’ensemble et je pense que les gens ont beaucoup à apprendre de cela, malgré nos différences linguistiques. Pour moi le Portugais est semblable à un grand Xirê [12], parce que nous avons nos variantes, mais nous dansons toujours ensemble. Si les gens commencent à voir ces différences d’un regard circulaire, qui est bien meilleur que l’insistance sur la logique de l’imposition, ils pourront mieux danser. »