Brésil : nous sommes tous en danger

La victoire du candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, à la présidence du Brésil, ne laisse d’inquiéter tous les démocrates brésiliens et évidemment bien au-delà. Jean Tible, professeur de sciences politiques à l’Université de Sao Paulo (Brésil), rappelle le contexte politique de cette élection et les différentes et dangereuses positions de Bolsonaro.

La victoire, le 28 octobre 2018, d’un candidat qui pendant la campagne électorale a défendu ouvertement la persécution, la torture, la prison, la mort et l’exil des opposants, est une tragédie pour le Brésil et pour le monde. Vincent Bevins, journaliste connaisseur du Brésil et de l’Indonésie, en a conclu que les discours de Bolsonaro et ses positions politiques sont plus extrémistes que celles du président philippin, Rodrigo Duterte. Mon impression personnelle, après avoir écouté le discours qu’il a prononcé pour ses coreligionnaires le dimanche précédant l’élection, est qu’il a parlé comme un Augusto Pinochet sans autocensure, enivré par son propre autoritarisme.

Et tout cela avec la légitimité que lui ont donné les urnes, avec une large victoire – 55 % des suffrages contre 45 % à Fernando Haddad. Il est vrai que la confrontation n’a pas été équitable, puisque le candidat favori, Luiz Inacio Lula da Silva, a été envoyé en prison après un procès kafkaïen, l’ayant exclu de la compétition électorale. Qui plus est, le Tribunal supérieur électoral a censuré un entretien accordé par Lula, et la justice électorale a ordonné de retirer les affiches appelant à se mobiliser contre le fascisme, collées sur les murs de plusieurs universités. Il ne faut pas oublier non plus que la campagne a été marquée par les coups bas de la part du camp vainqueur, avec notamment la diffusion massive de fausses nouvelles via Whatsapp.

Le premier défi est de comprendre toutes les dimensions de ce funeste événement dans toutes ses dimensions. L’une d’entre elles est la pulsion de mort. En 2007, un film a provoqué un grand enthousiasme. Il s’agit de « Troupe d’élite », de José Padilha, avec le personnage du capitaine Nascimento et sa main de fer. Le capitaine Bolsonaro a joué sur ce fil répressif (présent en continuité dans l’histoire du Brésil). Au cours d’une de ses rares apparitions publiques de campagne avant le deuxième tour, visitant le Bataillon des opérations spéciales (Bope), et après avoir affirmé que l’un de ses membres serait président, il a terminé son discours par un : « Crâne de mort ! », rappelant en écho la sinistre phrase des fascistes espagnols : « Viva la Muerte ! ».

Une autre dimension à prendre en compte est la sédimentation des discours de haine contre la corruption (en fait contre le Parti des travailleurs, PT), dynamisé par l’opération Lava Jato (Lavage express) – Jair Bolsonaro souhaite d’ailleurs que le juge qui a impulsé cette opération, Sergio Moro, soit son ministre de la Justice –, auxquels il faut ajouter ceux qui s’opposant à « l’idéologie du genre » et à la défense de « l’école sans parti », et qui considère l’éducateur Paulo Freire comme un ennemi à éliminer.

Autre élément à considérer, la rébellion contre le système, en réaction à la succession de crises (politique, économique, sociale). En 2014, 70 % des Brésiliens souhaitaient des changements, mais c’est le statu quo qui a prévalu : l’opposant Aecio Neves n’a pas convaincu et Dilma Rousseff a été réélue. Tout cela permet de comprendre comment un député qui a 30 ans de mandats derrière lui a réussi à se faire passer pour un antisystème.

La gauche n’a pas su profiter de la brèche provoquée par les manifestations de 2013. L’opération « lavage express » a détruit le système politique et a tenté de briser le PT. L’attentat contre Bolsonaro, début septembre 2018, a été décisif, lui permettant d’échapper aux débats – dans les premiers, ses prestations avaient été très mauvaises – et en apparaissant comme une victime – alors qu’il se présentait en bourreau. Depuis qu’il a retrouvé la santé, Bolsonaro a refusé de participer à des débats et a pu ainsi centrer les polémiques électorales sur le terrain de la morale. Celui qui a été ainsi élu est le candidat dont les propositions radicalisent les politiques du très impopulaire (président) Michel Temer (austérité, privatisations, répression). Le chômage qui affecte 13 millions de Brésiliens n’a pas été un thème de campagne.

Facteur important de cette élection : le PT avait déjà utilisé l’argument de la peur pendant la campagne précédente. La réélection de Dilma Rousseff avait en partie été due à la peur du retour des politiques néolibérales des « toucans » (le PSDB, Parti de la social-démocratie brésilienne), mais une fois élue, elle a gouverné dans leur direction. Ce qui a coûté cher au PT et au Brésil. Les avertissements du PT (en 2018) sur les dangers de l’autoritarisme ont eu peu d’écho et Haddad n’a pas réussi à constituer un front démocratique entre les deux tours. Le candidat arrivé troisième, Ciro Gomes, a préféré partir se reposer en Europe, les démocrates de droite et de centre droit se sont révélés peu nombreux. Bolsonaro a été « normalisé ». Ces élections, pour certains, opposaient deux extrémistes. D’autres spéculent sur les prochaines élections. Comble de la situation, le quotidien Folha de Sao Paulo a refusé d’étiqueter Bolsonaro d’extrême droite. Ce qui n’empêche pas celui-ci aujourd’hui d’attaquer violemment le quotidien qui a révélé un scandale le concernant (le Zapgate).

Voir en ligne : Fondation Jean Jaurès

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