Bolsonaro rétropédale : la fin des préoccupations environnementales ?

 | Par Marion Daugeard

Les sorties du candidat d’extrême-droite, Jair Bolsonaro, élu le 28 octobre 2018 nouveau président du Brésil, ont été largement commentées et relayées ces dernières semaines. On pense notamment à ses propos chocs et stigmatisants envers les populations pauvres, ses propos machistes ou encore son agressive stratégie consistant à désigner un ennemi national : « les rouges ».

Alors qu’il communique peu à peu la composition de son futur gouvernement, et seulement deux jours après son élection, son équipe annonce au sortir d’une réunion le mardi 30 octobre, le maintien « comme prévu au départ » de la fusion du Ministère de l’Environnement et de l’Agriculture, avant que le nouveau Président lui-même ne se rétracte deux jours plus tard, le 1er novembre, au cours d’une intervention sur une télévision catholique en ligne. Retour sur une semaine mouvementée.

« Il ne fera pas tout ce qu’il a dit »

On a pu être marqué, pendant l’entre-deux tours, par l’auto-conviction de certains électeurs de Bolsonaro prétextant que le candidat n’irait « pas mettre en application tout ce qu’il a dit ». Au lendemain de son élection, difficile de faire le tri entre ce qui relève de la phrase choc et ce qui relève du programme.

Pourtant, en matière d’environnement, peu de place au doute. Le candidat qui a félicité le président des États-Unis pour être sorti de l’Accord de Paris, a non seulement déclaré qu’il en ferait de même, mais également annoncé le rattachement du Ministère de l’Environnement à celui de l’Agriculture, dans un pays qui compte 12% des réserves d’eau douce mondiales et plus de 60% de la forêt amazonienne. Devant sa progression dans les sondages, le candidat Fernando Haddad a fait part de ses inquiétudes sur ce dossier en expliquant que l’élection de son rival signifierait probablement « la fin de l’Amazonie », et une manifestation a réunit une centaine de personnes le 19 octobre devant le Ministère de l’Environnement (MMA). La polémique allant croissant, et prenant une dimension internationale, Bolsonaro a finalement annoncé le 24 octobre sur son compte facebook qu’il était prêt à « négocier » la fusion des deux ministères ; un « recul » qui, loin de convaincre les défenseurs de l’environnement, a sans doute permis de renforcer l’idée, pour un certain nombre d’électeurs, que Bolsonaro ne ferait « pas tout ce qu’il a dit ».

Manifestation des fonctionnaires du Ministère de l’Environnement (MMA) à Brasília le 19 octobre 2018, lors de l’entre-deux tours des élections. © Ed Alves/CB/D.A Press. Photo obtenue à l’adresse : https://www.correiobraziliense.com.br/app/noticia/politica/2018/10/19/interna_politica,713784/servi Manifestation des fonctionnaires du Ministère de l’Environnement (MMA) à Brasília le 19 octobre 2018, lors de l’entre-deux tours des élections. © Ed Alves/CB/D.A Press. Photo obtenue à l’adresse : https://www.correiobraziliense.com.br/app/noticia/politica/2018/10/19/interna_politica,713784/servi
Une annonce hâtive au regard des enjeux

Pourtant, deux jours après son élection, le mardi 30 octobre, le député Onyx Lorenzoni indiqué au poste de ministre de la Maison Civile (Casa Civil) du prochain gouvernement, annonce à la sortie d’une réunion que « le Président n’a fait aucun recul », laissant entendre la poursuite du projet de fusion. Plus qu’une fusion, c’est bien l’avenir de l’agenda environnemental qui est remis en question, dans la mesure où la subordination du Ministère de l’Environnement (MMA) au Ministère de l’Agriculture (MAPA) pourrait bien en réalité signifier une « extinction » du premier. La mise à exécution des menaces proférées ces dernières semaines envers les institutions environnementales (MMA en tête, mais aussi IBAMA1 et ICMBio2) constitue ainsi pour l’Observatoire du Climat un premier pas vers leur probable « démantèlement », alors que la législation environnementale est protégée par la Constitution de 1988 (notamment son article 225).

L’annonce est pourtant loin de constituer une surprise, bien que la précipitation du calendrier interpelle. Elle place en tout cas immédiatement le pays à rebours de la tendance internationale, alors même que le Brésil avait fait montre d’une diplomatie active sur la question de la préservation de l’environnement. Il faut à ce sujet rappeler que le Brésil est au départ assez pionnier : il créé dès 1973 son premier organisme spécifique lié à la question environnementale (le Secrétariat Spécial de l’Environnement – SEMA), adopte en 1981 sa Politique de l’Environnement (faisant force de loi), organise en 1992 le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro et créé cette même année le Ministère de l’Environnement. Le Brésil, est aussi à l’initiative d’une vaste politique de lutte contre la déforestation engagée depuis les années 1990 (époque à laquelle les taux de déforestation atteignaient des pics exceptionnels), d’une législation environnementale rigide, et d’opérations de contrôle parfois spectaculaires menées par sa police environnementale, l’IBAMA. Le Brésil, est également l’organisateur de la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable (appelée Rio+20) en 2012, vingt ans après que le consensus international autour du changement climatique y ait vu le jour. Le pays a d’ailleurs proposé en 2015 une contribution nationale ambitieuse et annoncé par exemple le reboisement de 12 millions d’hectares de terres dégradées, l’arrêt des déboisements d’ici à 2030 ainsi qu’un certain nombre de mesures censées limiter les émissions de gaz à effet de serre et engager les secteurs agricole et industriel vers des modèles plus durables. En septembre 2016, malgré la destitution de Dilma Rousseff (en août), le président par intérim Michel Temer, avait ratifié l’Accord de Paris.

La suite d’une série noire pour l’environnement

Les menaces envers l’environnement ne sont portant pas nouvelles. Les successifs gouvernements du Parti des Travailleurs (PT) ont à ce titre fait l’objet de nombreuses critiques ; on se rappelle notamment du lancement de la construction si controversée du barrage de Belo Monte en Amazonie (État du Pará) par la présidente de l’époque Dilma Rousseff, vécu comme une trahison par les mouvements environnementalistes. Les deux années de gouvernement de Michel Temer ont engagé une nouvelle période de fragilisation de la législation environnementale. De nombreux projets de loi ont circulé et nombre sont encore en cours, que ce soit à la chambre des députés ou au Sénat. On pense notamment au projet de loi du « venin » (PL do Veneno) qui vise à faciliter l’usage des pesticides ou encore à la PEC 215 concernant la démarcation et la reconnaissance des terres indigènes (PEC 215).

Ainsi, l’annonce de la fusion des deux ministères peut donc être interprétée comme une nouvelle étape, cette fois-ci radicale, d’un processus déjà engagé en amont. Une décision qui envoie un signal favorable à la bancada ruralista [3], puissant lobby au sein du Congrès National, qui a largement soutenu la candidature du nouveau président. En tout cas, cette annonce semble cohérente au regard des déclarations du candidat Bolsonaro cherchant à en finir avec ce qu’il considère comme une forme de diktat international (Accord de Paris, lutte contre la déforestation etc.).

Une vague de réactions

Sans surprise, elle déclenche à partir du mardi 30 octobre une foule de réactions ; une pétition circule et recueille en moins de trois jours plus de 700 000 signatures. Des personnalités montent au créneau, telles que Marina Silva, candidate du parti Vert (Rede) à la présidentielle et ex-ministre de l’environnement, qui parle de « désastre ». Les ONG environnementalistes, particulièrement visées par les propos de Jair Bolsonaro, lors de sa campagne et bien avant même qu’il ne soit candidat, se positionnent dès l’entre-deux tour à travers la publication d’un manifeste. Dès le début de la semaine, un certain nombre d’institutions de la société civile (voir WWF et Greenpeace) publient sur leurs sites respectifs leur positionnement soulignant le retour en arrière qu’impliquerait la concrétisation d’une telle annonce.

Le lendemain, le 31 octobre, lors d’une conférence de presse à la Chambre des Députés, le porte-parole du Front Parlementaire Environnementaliste, Alessandro Molon, aux côtés de sénateurs et de l’ancien ministre de l’environnement Sarney Filho expriment leur opposition à la fusion, et appellent le futur gouvernement Bolsonaro à abandonner cette idée, au nom de la lutte contre le changement climatique, de la biodiversité et des générations futures.

Conférence de presse du Front Parlementaire Environnementaliste donnée à 17h le mercredi 31 octobre, Chambre des députés (Brasília). © Sérgio Francês. En accès public sur Flickr Conférence de presse du Front Parlementaire Environnementaliste donnée à 17h le mercredi 31 octobre, Chambre des députés (Brasília). © Sérgio Francês. En accès public sur Flickr

Une question qui divise jusque dans les rangs du secteur agricole

Si la mesure constitue un geste clair envers l’agrobusiness, la possible création de ce « super-ministère » met mal à l’aise certains. C’est le cas de l’actuel ministre de l’Agriculture particulièrement pro-agrobusiness et connu pour avoir reçu – lorsqu’il était gouverneur de l’État du Mato Grosso - dans les années 2000, la « tronçonneuse d’or » par l’ONG Greenpeace. Il déclare en effet dans un entretien à Globo Rural trois jours avant le second tour, que la sortie de l’Accord de Paris serait un « traumatisme » pour le Brésil et que la fusion des deux ministères ne serait « pas une bonne chose » mettant en avant l’importance de l’environnement pour le secteur agricole ainsi que pour l’image internationale du Brésil. Intéressante à plus d’un titre, cette déclaration révèle une certaine division du secteur agricole sur ces questions, même si les représentants du secteur qui composent la bancada ruralista à la Chambre des Députés, sont en général systématiquement opposés aux mesures environnementales, qu’ils considèrent encore largement comme une entrave au développement agricole (ce qui est d’ailleurs également le cas de Blairo Maggi, même si ses propos cherchent à démontrer à une certaine ouverture). En tout cas, le président de la puissante Association des Producteurs de Soja et de Maïs de l’État du Mato Grosso (Aprosoja) y voit de son côté une réponse positive pour le secteur, qui devrait apporter des « bénéfices » et casser une certaine « idéologie [...] qui gêne notre travail ».

Depuis plus d’une dizaine d’années pourtant, un certain nombre de mesures ont été prises (sous la pression internationale et notamment européenne) pour obliger le secteur agricole à fournir les preuves de sa conformité environnementale. Des initiatives comme le Moratoire du Soja en 2006 ou encore du Moratoire de la Viande en 2009 ont vu le jour, et si leurs effets ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions, elles ont en tout cas fait prendre un tournant décisif dans les relations commerciales du Brésil avec ses partenaires. À tel point qu’un manque de crédibilité sur le plan environnemental pourrait considérablement porter préjudice à ses relations commerciales. Cela explique que certains décisionnaires voient dans la fusion une erreur stratégique, au moins d’un point de vue symbolique. Le mercredi 31 octobre, c’était au tour de l’actuel Ministre de l’Environnement, Edson Duarte, d’exprimer ses inquiétudes quant aux conséquences possiblement négatives pour les deux agendas (agricole et environnemental).

Un appel à faire barrage

Dans ce contexte, les membres du Front Parlementaire Environnementaliste, soutenus par les ONG, ont ouvertement appelé, dans leur conférence de presse mercredi, à une « mobilisation » citoyenne, à une « résistance » face à la « menace ». Ils ont entre autres annoncé la volonté de « construire un front au-dessus des partis » afin de faire barrage aussi bien au projet de fusion, qu’à toutes les mesures à venir dans les prochains mois, comme celles concernant la flexibilisation de l’obtention des licences environnementales, ou encore la possible extinction à venir de la Réserve Nationale de Cuivre et Associés (Renca) entre l’État du Pará et celui de l’Amapá, mesure contre laquelle ils s’opposent depuis des mois, et contre laquelle ils avaient déjà manifesté la veille.

Les menaces portent en effet sur de multiples agendas, alors que Bolsonaro a évoqué, lors de sa campagne, son souhait de désarmer la police environnementale (IBAMA), même s’il soutient dans le même temps l’autorisation du port d’armes pour les citoyens. De plus, la destructuration des services environnementaux pourrait avoir des répercussions sur bien d’autres agendas comme celui du Code Forestier, réformé en 2012 et dont la mise en application est déjà difficile et a pris du retard.

Nouveau rétropédalage

Après avoir annoncé le rattachement du Ministère de l’Environnement à celui de l’Agriculture en un "super-ministère" pendant sa campagne et l’avoir inscrit à son programme, Bolsonaro s’était dit prêt à "négocier" sur cette question le 24 octobre, un espoir balayé par la déclaration d’un membre fraîchement nommé à son gouvernement le 30 octobre. Coup de théâtre, le jeudi 1er novembre : au cours d’une série de questions sur la chaîne de télévision TV Católicas, le nouveau Président précise finalement que « tout indique » que les deux ministères seront « distincts » ; un nouveau rétropédalage qui prend de court tout le monde, alors que des dizaines d’institutions continuent à rendre publique leur opposition au projet de fusion.

Quel sens donner cette nouvelle déclaration ? Doit-on l’attribuer au positionnement public de certaines personnalités, au mouvement de grogne en passe de se structurer, à la répercussion internationale, aux discussions avec des membres du secteur agricole, comme par exemple avec Luiz Antônio Nabhan Garcia, président de l’Union Démocratique Ruraliste (UDR) rencontré la veille ? Cette déclaration doit-elle être prise au sérieux (nouveau rétropédalage à venir ?) ou est-elle un moyen de détourner l’attention et de saper les possibilités pour l’opposition de se rassembler autour d’un enjeu thématique ?

Cette situation ajoute en tout cas de la confusion à la confusion : outre l’incertitude qui découle des mots utilisés, la forme interpelle dans la mesure où la déclaration est effectuée dans le cadre d’un canal de télévision catholique, en marge des médias traditionnels et dans un cadre non protocolaire (ce qui ne change pas d’ailleurs de la manière dont il a conduit sa campagne présidentielle). Après être passé rapidement sur la question de la fusion, le nouveau Président, en a profité pour éclaircir sa position : « Le Brésil est le pays qui protège le plus l’environnement. Nous avons l’intention de protéger l’environnement, mais sans que cela n’entrave notre progrès ». Il est également revenu sur la volonté de son gouvernement à en finir avec les délais interminables pour obtenir des licences environnementales. Des déclarations qui restent cohérentes avec ses propos sur le sujet ces dernières semaines.

Le jeu politique et stratégique suit son cours. Bolsonaro pourrait bien maintenir la structure environnementale en apparence et opérer un démantèlement de l’intérieur. Difficile de savoir à ce stade. De nouveaux rebondissements devraient encore rythmer les prochaines semaines et mois à venir. Dans tous les cas, les préoccupations environnementales persistent.

Voir en ligne : Blog de Marion Daugeard

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