Brésil : la démocratie assassinée - Chronique d’un coup d’État.

 | Par João Sette Whitaker Ferreira

L’incarcération de Lula, décrétée le jeudi 5 avril 2018 marque l’apothéose d’un coup d’État minutieusement préparé et mis en route depuis 2014. Les versions des grands médias en Europe ne font que reproduire celles de quelques 5 ou 6 grands groupes de communication brésiliens, dans les mains de grandes familles de l’élite, impliquées dans le coup d’État. Voici une chronologie explicative des événements. Merci de la faire circuler de toute urgence. La situation au Brésil est des plus graves et appelle à la solidarité internationale.

Acte 1 - renverser un gouvernement légitimement élu

1) Dans un premier temps, la stratégie est de faire tomber un gouvernement légitimement élu. Aecio Neves, le candidat du PSDB (droite) vaincu par Dilma Roussef aux présidentielles de décembre 2014 (aujourd’hui en disgrâce à cause de multiples accusations de corruption), donne le ton dès le mois de juillet 2015. La stratégie du coup d’État se profile, alors que la présidente Dilma n’avait aucune accusation de corruption contre elle. Le candidat annonce que « nous n’avons pas perdu l’élection pour un parti politique, mais pour une organisation criminelle ». Pour conclure sur la « fin de son gouvernement » : « je ne sais pas quand cela arrivera, mais probablement plus vite que certains ne l´imaginent, les Brésiliens seront devenus plus pauvres ». Ce climat de confrontation était posé dès le premier jour de mandat de la présidente, puisque la Chambre des Députés, où elle n’avait plus la majorité, l’empêchait de gouverner, obstruant n’importe quel nouveau projet envoyé au Parlement.

2) Eduardo Cunha, député et président du Congrès National, homme politique submergé d’accusations de corruption (aujourd’hui en prison, depuis près de deux ans), se déclare ennemi mortel de la présidente, qui se refusait d’entrer dans ses schémas corrompus. Il déclarait publiquement qu´il la fera tomber. Excellente opportunité pour les barons de la politique et de l’économie brésilienne, associés aux grands médias et à Aecio Neves. Elle permet de laisser faire et de créer l’instabilité politique nécessaire. Eduardo Cunha ne sera jugé pour corruption, et condamné, qu’après l’empeachment de la présidente, c’est à dire trop tard.

Sans parvenir à réunir des preuves des fraudes de Dilma (qui, au contraire, ne recevait plus les députés dans son cabinet, à cause des problèmes de clientélisme que cela impliquait), le Congrès décide de déclarer illégale une opération comptable-fiscale que pratiquent pourtant l’ensemble des 26 États brésiliens, de nombreuses municipalités et beaucoup d’autres pays dans le monde. Elle consiste à s’avancer dès les mois de novembre-décembre sur le budget de l’année suivante, en obtenant des prêts auprès des banques de l’État, pour ne pas interrompre les payements de projets sociaux comme la « bolsa familia » destinée aux Brésiliens les plus pauvres. Non seulement l’opération a été rendue illégale, mais elle a été qualifié de « crime de responsabilité », le seul type de crime qui peut provoquer une demande d’impeachment par le Congrès.

La grande presse réutilise la même formule pour nommer cette infraction, comme du marketing politique, lui donnant un nom plus assimilable par la population : les « pédalages fiscaux ». Dès lors, n’importe quel chauffeur de taxi au Brésil devenait capable de discourir pendant des heures sur la gravité du crime et le niveau de corruption de Dilma.

Après une série de manœuvres, certaines illégales mais faites avec l’appui déclaré du pouvoir judiciaire (comme des écoutes inconstitutionnelles placées par la police dans la résidence de la présidente, ou l’interdiction de nommer Lula ministre de Dilma, en raison du procès en cours sur ses activités, alors qu’aucune raison ne l’en empêchait), le Congrès vote la destitution de la Présidente. Les Sénateurs, devant aussi voter, sont publiquement « achetés » par le vice-président (et futur président) avec des postes importants pour leurs alliés dans la nouvelle administration.

Il faut noter également que Lula et Dilma, mais aussi Cardoso, leur prédécesseur du PSDB, avaient comme vice-président des gens du parti le plus corrompu, le PMDB, toujours proche du pouvoir malgré les alternances. Ayant un grand nombre de députés, leur appui était nécessaire pour n’importe qui voulant avoir une majorité au Parlement. Mais Dilma a été trahie par son vice-président, devenu par la suite le président-usurpateur, Michel Temer, lui même mêlé à plusieurs cas de corruption.

Montrant à quel point tout cela était une farce, le Congrès décide de destituer Dilma en lui laissant comme « prix de consolation » ses droits politiques. C’est une aberration en matière de droit constitutionnel puisque ll’impeachment devrait lever les droits politiques pour 8 ans. Mais à ce moment, la Constitution brésilienne ne valait déjà plus rien. La Cour Suprême, manifestant pour la première fois son allégeance envers les pouvoirs dominants, préside cet opéra d’inconstitutionnalité en lui donnant des airs de légalité.

Des milliers de personnes vêtues avec le maillot jaune de la « seleção » vont dans les rues demander et appuyer la chute de Dilma. Ils sont sollicités par des campagnes massives dans la presse, de grands magasins et de banques qui financent des publicités milliardaires dans les médias avec pour slogans : « descends dans la rue toi aussi », « le Brésil se réveille », etc... C’est elle qui reproduit les photos de ces manifestations, qui feront le tour du monde. On parle d’un « printemps arabe » brésilien contre la présidente Dilma.

Ce que la presse ne montrait pas, et que les Français n’ont probablement pas vu, c´est qu’à chaque manifestation de ce type, une autre, trois fois plus grande, réunissait des centaines de milliers de partisans de Dilma et de Lula dans les rues. La manière dont ces photos sont escamotées par les médias mériterait des thèses en journalisme. Heureusement, les réseaux sociaux ont pu attester de la force des manifestations en faveur de Lula et Dilma.

Eduardo Cunha, devenu inutile, a eu un procès « exemplaire » et a été envoyé en prison. Plusieurs scandales dans la presse montrent qu´il reçoit probablement des payements élevés pour maintenir son silence. Le président Temer lui-même est enregistré par la police - un enregistrement légal, celui-ci. Il révèle une discussion avec un grand industriel sur des payements délivrés à Eduardo Cunha « à maintenir tous les mois, à tout prix ». Mais, dans ce cas, rien de cela n’intéresse la justice.

La classe moyenne brésilienne, celle qui justement avait le plus bénéficié de la croissance économique sous Lula, démontra tous ses préjugés envers les plus pauvres. Un président ouvrier et n’ayant pas fait d’études ne pouvait qu’être un bon à rien, il ne pouvait être là que pour voler. La présidente qu´il avait mis à sa place ne pouvait être qu´une voleuse et une incapable. En fin de compte, elle était une femme et de plus parrainée par un analphabète. Si l’on va au-delà de l’image positive renvoyée à international, on se rend très vite compte que le Brésil est encore un pays raciste, machiste et profondément élitiste qui n’a pas réussi à surmonter son héritage esclavagiste. Ce discours sournois gagne de la force avec la participation des médias, qui bénéficient de financements importants. Malgré sa popularité auprès des plus pauvres (qui pour la première fois, grâce aux politiques de Lula, commençaient à avoir accès aux universités) et des secteurs intellectualisés, Lula perd l’appui des classes moyennes et le Brésil se divise.

En même temps, face à la popularité de Lula et de Dilma, la droite et le PSDB avaient, comme dernier recours lors des élections présidentielles de 2010 (quand Lula a réussi à faire élire Dilma pour la première fois), ouvert la porte à l’extrême droite. José Serra, le candidat d’alors, avait invité les secteurs de l’extrême droite à prendre une part active à sa campagne. Sans succès. Mais le mal était fait. Les discours de haine, de racisme, anti-populaires et sexistes se libéraient et se généralisaient, de plus en plus visibles. Depuis l’incarcération de Lula, ils reviennent fréquemment dans la presse. Un journaliste radio disait ces jours-ci que « l’on reconnait les sympathisants de Lula par leur apparence ». Ce discours participe d’un processus de décrédibilisation de toutes les politiques de Lula et Dilma envers les plus pauvres et les minorités.

3) À peine six mois après l’empêchement de Dilma, le Congrès National acte et valide la légalité des « pédalages fiscaux ». Tout revient dans l’ordre, et le nouveau président, Temer, s’avance en décembre 2016 sur le budget de 2017 pour un montant deux fois plus élevé que Dilma ne l’avait fait. C’est de nouveau légal.

Depuis, une série de scandales se succèdent (pas forcément dans cet ordre chronologique) : des assistants très proches du président sont surpris avec des valises bourrées d’argent, une écoute (autorisée) de la police fédérale surprend des dialogues du président visant à étouffer des témoignages qui peuvent l’impliquer, le candidat vaincu par Dilma, Aecio Neves, est lui aussi accablé d’accusations de tous types. Il tombe en disgrâce politique mais ne reçoit jusqu’à aujourd’hui aucune menace d’incarcération. L’hélicoptère d’un sénateur de son parti est arrêté et fait l’objet d’une perquisition. Il transportait 500 kg de cocaïne. Il ne sera pas inquiété. Un autre sénateur du même parti déclare, sous écoute, lors du début des enquêtes contre la corruption : « il faut en finir avec cette hémorragie, il faut en finir avec cette opération ». Rien de tout cela n’a eu de conséquences.

Dans une série télévisée produite par Netflix ce dernier mois, ayant comme thème ces supposées opérations de « justice » contre la corruption au Brésil, dirigée par le polémique metteur en scène de la série Narcos, cette phrase, exactement la même, ne sera pas dite par un sénateur corrompu du nouveau gouvernement, mais par un personnage à la barbe blanche, ex-président, qui rappelle en tout point Lula. La vérité est constamment manipulée et tous les moyens sont bons pour faire de Lula la figure de la corruption au Brésil. Or, Lula dans son discours, devenu historique, a été clair : « Je ne suis pas contre l’opération anti-corruption, elle est nécessaire pour le Brésil. Je suis contre son instrumentalisation, qui en fait un instrument de persécution en accusant sans preuves ».

En même temps, le nouveau « président » met en route un processus de destruction systématique de toutes les conquêtes sociales obtenues depuis la Constitution de 1988 et sous le gouvernement Lula : révision du code du travail, révision de la retraite, réduction des terres indigènes, fin du programme de logements sociaux, et ainsi de suite. Le plus poignant est de voir la réaction haineuse des classes moyennes. Il est par exemple déclaré sur la loi du travail que « l’on doit en finir avec les politiques pour les fainéants créées par Lula » alors que ce sera sur eux que tomberont, dans le futur, les effets irréparables de ce retour en arrière.

Acte 2 - détruire le Parti des Travailleurs (PT) et son leader, Lula

Le problème est qu’avec tout cela, Lula, prédécesseur de Dilma, président responsable de la plus forte croissance économique au Brésil des derniers 30 années et leader populaire incontesté se voyait catapulté en première place de tous les sondages présidentiels, place qu´il n’a plus jamais quitté. Il n´était plus suffisant de destituer la présidente, il fallait à tout prix briser ce mouvement et la force de Lula.

1) Sergio Moro, un juge de première instance, jusque là insignifiant, se voit devenir célèbre en prenant la direction de l’opération anti-corruption, appelée « Lavage Express » (Lava Jato). Il siège au Forum Judiciaire de la ville de Curitiba, dans le Sud du Brésil, où le mouvement anti-Lula est très fort. Il existe aussi un mouvement qui aspire à la séparation « Brésil pauvre (et non blanc) du Nord » avec le Sud. Dans le cadre de cette opération, Moro décide d’ouvrir un procès pour corruption contre l’ancien président.

Moro a quelques caractéristiques qui ne peuvent être ignorées : il est le fils d’un homme politique du PSDB, le parti d’opposition qui a mené l’empêchement de Dilma, son épouse est elle même un cadre du parti dans son État (le Paraná). Moro est connu pour sa haine contre Lula, qu’il distille depuis longtemps, sur les réseaux sociaux. Il est connu pour appeler l’ex-président de « nine fingers », une allusion au fait que Lula a perdu un doigt dans un accident de travail quand il était ouvrier. Moro reçoit aussi un super-salaire, pourtant inconstitutionnel. Certains mois, il atteint 30 mille euros grâce à des « aides » que les juges s’auto-accordent et légalisent. Sauf qu’il est interdit au Brésil de recevoir un salaire supérieur au plafond établi par celui du Président. Les salaires des juges sont bien plus élevés. Il s’agit de corruption "officialisée, puisque des fonds publics sont utilisés à leurs intérêts personnels. C’est Sergio Moro qui est en charge de combattre la corruption, pourtant, il l’a dans le sang. C’est un membre typique de l’élite brésilienne, qui déteste les pauvres, et donc Lula.

Sergio Moro va persécuter Lula à partir de la construction d´une fable pittoresque. Une grande entreprise de bâtiment appelée OAS aurait offert à Lula un appartement triplex à la plage (de près de 250 m²) en échange de faveurs de celui-ci pour des contrats avec Petrobras, le géant pétrolier brésilien. C’est Lula qui avait fait peser l’entreprise publique sur le marché mondial grâce à la découverte des réserves sous-marines de « Pre-Sel ». Le coté le plus rocambolesque de cette histoire est que Lula aurait fait du blanchissement d’argent a travers l’achat de cet appartement de moins de 300m². Quelque chose cloche entre le montant d’un éventuel détournement de fonds des contrats de l’entreprise pétrolière et celui d’un appartement comme celui-là. Mais personne n’a l’air de prendre en compte l’incohérence des accusations. La presse, qui construit soigneusement avec Moro les étapes de ce plan, crie au scandale.

Il se trouve que la femme de Lula avait en effet demandé à ACHETER cet appartement, en 2007, mais Lula n’avait pas donné suite à l’achat. Il n´y a mis les pieds qu´une seule fois dans sa vie, et l’appartement, en construction jusqu’à il y a quelques mois, n’a jamais été à son nom ni à celui de sa femme. Il est toujours au nom de l’OAS. Les huit premiers témoins ont innocenté Lula en raison des liens faibles avec cet appartement. Lors de son jugement, Lula n’a cessé de répéter auprès du Juge Moro : « Mr. le Juge, s’il vous plait, montrez moi les preuves que je suis le propriétaire de cet appartement, et je me présenterai immédiatement pour être emprisonné volontairement ». Moro ne les a jamais présentées. Il n’a pas non plus réussi à apporter de preuve sur le véritable propriétaire de l’appartement, ni sur la théorie du blanchissement d’argent.

2) Devant trouver des preuves, l’action suivante a été d’alimenter les récits qui avançaient que cet appartement n’était que le haut de l’iceberg. Il révèle un réseau de crimes et de corruption avec Lula à sa tête. Les acteurs principaux seraient les entreprises de construction du pays qui, parce que c´était légal, finançaient TOUTES les campagnes électorales (celles du PSDB aussi - c´est Dilma, justement, qui a approuvé la loi interdisant le financement des campagnes par les entreprises privées au Brésil). La question est de réussir à prouver à quel point un président sait et contrôle toutes ces magouilles, et à quel point il doit en être responsabilisé. Ce serait bien utile et intéressant que cette discussion soit menée, mais dans le cadre de la loi. Avec des enquêtes sérieuses, des preuves et toutes les échéances et appels garantis. Au Brésil, cela a été utilisé comme une arme de persécution politique. Sans apporter de preuves concrètes.

Il faut savoir que si le gouvernement précédent, celui de Cardoso (PSDB), avait en huit ans donné l’ordre à la Police Fédérale de lancer 48 opérations anti-corruption, Lula et Dilma, en 12 ans, en ont ordonné 2.226 ! En outre, c´est Lula qui a restructuré la Police Fédérale pour améliorer sa capacité à enquêter sur la corruption. Le plus insolite, cependant, est la démesure de l´accusation. Dans un pays ou les propriétaires des chaines de télé et les grands milliardaires possèdent - illégalement - des îles entières, avec des villas non autorisées de quelques milliers de m² et de quelques millions de dollars, Moro et sa troupe d´accusateurs font passer l’idée que Lula accepterait de se corrompre avec les contrats du géant pétrolier contre un appartement de moins de 300 m² dans une plage de classe moyenne du littoral de São Paulo. L’acceptation de la crédibilité de cette accusation par une partie de la société n’a d’explication que dans les préjugés existants au Brésil envers les plus pauvres : « Lula ne sait même pas être corrompu, Lula négocie ce qui est à sa hauteur, le monde des villas et des millions n’est pas pour lui ».

Le plus impressionnant est qu´une simple recherche sur Google montre que Cardoso, ancien président du PSDB (avant Lula) a eu une ferme reconstruite par une de ces entreprises (Camargo Correa), qui a même construit dans les terres voisines une....piste d’atterrissage permettant de recevoir....des Boeings ! Cardoso est aussi impliqué dans des affaires de corruption. Il aurait acheté un appartement dans le quartier le plus cher de São Paulo à un prix presque dix fois inférieur aux prix du marché, et d’en avoir un « prêté par un ami » avenue Foch, à Paris. Rien de tout cela, cependant, n’est motif d’enquêtes ou de procès.

Il faut bien comprendre qu’en 14 ans au pouvoir, le PT a commis beaucoup d’erreurs et s’est probablement impliqué dans plus d’une affaire douteuse. La corruption est endémique au Brésil. Elle dure depuis 500 ans et ce n´est pas un gouvernement qui, d’un seul coup, l’arrêtera. Le PT lui non plus n’est pas exempté d’avoir fait de mauvais choix et d’être entré bien des fois dans la logique de la politique historique brésilienne (mais quand même beaucoup moins que les autres partis, étant encore le seul à être tourné vers les intérêts des plus pauvres). Mais il ne faut pas confondre les choses : sous l’excuse d’une fausse lutte contra la corruption, ce que les élites brésiliennes et la Justice contrôlent et ont mises en place est en fait une persécution qui met en échec toute la démocratie.

Pour obtenir des « preuves », quelles que soient-elles, Moro innove juridiquement. Il fait valider par la Cour Suprême la transformation de la garde à vue en durée de prison indéterminée. C’est là sa deuxième action en faveur du coup d’État.
En 2016, après la sortie de Dilma, la Cour Suprême prend une décision encore plus polémique : par 6 voix à 5, elle décide d’interpréter un texte de la Constitution, selon lequel au Brésil une personne ne peut être emprisonnée qu’après avoir épuisé tous les recours et appels possibles. C’est à dire en quatrième ou cinquième instance. La Cour Suprême décide alors qu’après la deuxième instance une personne peut être emprisonnée, alors que les appels sont encore possibles aux instances supérieures.

Cette décision est importante pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui avec l’incarcération de Lula.

Ces deux décisions de la Cours Suprême permettent au juge Moro de mettre en place une méthode de chantage juridique : il envoie en prison des personnes ayant une relation quelconque avec Lula et promet leur libération s’ils acceptent de faire des délations. La presse laisse échapper que dans l’un des cas, la demande fut encore plus spécifique, notamment avec le cadre de l’entreprise OAS et la propriétaire de l’appartement : « je vous laisse sortir si vous me présentez des accusations CONTRE LULA ». C´est de là qu’est venue « l’accusation de l’appartement triplex ».

Mais lorsque l’un des délateurs avoue que le Juge Moro aurait lui même demandé 2 millions de Reais pour permettre sa libération, elle est vite oubliée par la presse.

Le procès suit son cours, tandis qu’une campagne de diffamation à l’encontre de Lula et Dilma inonde la population. Il est de plus en plus difficile de suivre les méandres juridiques de l’affaire. La classe moyenne fête la « fin de la corruption » alors que le gouvernement en place est probablement l’un des plus corrompus de l’histoire du Brésil.

Il n´y avait pas d’autre issue possible. Alors qu´un procès au Brésil dure des années à cause de l’inertie du pouvoir judiciaire, celui de Lula sous le juge Moro est conclu en un temps record. La justice au Brésil n’est pas inerte. Elle l’est quand elle le veut. Sans preuves, Moro condamne l’ex président à 9 ans de prison, alors qu’il est toujours loin devant dans les sondages de l’élection présidentielle.

Un livre signé par plus de 100 juristes brésiliens est publié, sans aucune couverture médiatique. Ils y dénoncent l’inconsistance du jugement de Lula sur une affaire sans preuves concrètes. Les arguments du Juge Moro sont si peu solides que lui même entre en contradiction plusieurs fois et assume le fait de ne pas avoir de preuves. Les promoteurs de l’accusation disent qu’ils n’ont pas de preuves, mais qu’ils sont « convaincus » de la culpabilité de Lula. Au Brésil, vous pouvez vous faire incarcérer lors d’une garde à vue suite à une simple « croyance » du juge. C’est ce qu’ils vont faire, d’ailleurs, en poursuivant 5 Présidents des plus grandes Universités Fédérales du pays, les emmenant en prison dans des opérations policières avec mitraillettes et camions blindés (alors que la loi prévoit avant toute chose une résolution à l’ amiable devant le juge) pour des affaires insensées comme « des erreurs de note à l’achat de machines photocopieuses ». L’objectif de tout cela ? Montrer à la population que les universités fédérales, objet d’une des politiques les plus impressionnantes du gouvernement Lula, avec la création d’une centaine de campus partout au Brésil, n’est en fait qu’une antre de corruption de la « machine criminelle » du PT. L´un des recteurs, trop humilié par ces événements, s’est suicidé. Mais cela n’a semblé déranger personne, la communauté de gauche regroupée sur les réseaux sociaux mise à part.

Les avocats de Lula font appel à la deuxième instance, un jugement fait par un collège de trois juges. Encore une fois, une procédure qui dure plus de deux ans pour les gens communs. Pour Lula, elle ne dure que quelques mois. Le président de ce jury fait passer le procès de Lula devant 257 dossiers en attente. Pire, il annonce sur les réseaux sociaux que le procès de Lula « est juridiquement impeccable » alors qu’il n’était pas sensé l’avoir reçu, étant encore sous la tutelle de Moro ! Ce jury fait un jugement éclair, avec des arguments semblables, alors que les votes sont sensés être indépendants. Ils augmentent la peine de Lula à 12 ans et 2 mois. Pourquoi cette précision ? Car le « crime » non prouvé de l’appartement remontant à plus de dix ans, en dessous de cette peine Lula aurait le droit de la purger en liberté. Et, donc, d’être candidat. Oui, les méandres du coup d’État sont plein de petits détails sournois.

Acte 3- Les militaires entrent dans le match. La Cour Suprême sous chantage. Lula en prison.

Reste que la Cour Suprême avait, rappelez-vous, acté pour l’emprisonnement en deuxième instance. Lula pouvait donc être incarcéré. Mais ses avocats, invoquant la Constitution qui avait été changée de manière opportuniste, demandent une révision de cette décision. En même temps, ils demandent à la Cour Suprême un Habeas Corpus pour que Lula ne soit pas emprisonné.

Les rites habituels de la Cour suprême suggèrent qu´elle juge tout d’abord l’inconstitutionnalité de la décision sur la prison en deuxième instance, en respectant l’ordre chronologique des événements. Cependant, Carmen Lucia, la présidente de la Cour, sait que probablement ce vote mettra en péril la polémique décision antérieure. Un des juges avait annoncé avoir changé d’avis, ce qui pourrait revenir sur la peine de prison de Lula, de tous les condamnés en deuxième instance éventuellement emprisonnés et le besoin même de l´Habeas Corpus demandé. Elle inverse donc l’ordre, et décide de juger d’abord l’Habeas corpus de Lula. Ainsi, même si la Cour revient sur sa décision, Lula aura déjà été emprisonné. C’est ce qui a été fait.

La veille du jugement final, ce 4 avril dernier, la mobilisation de la droite pour faire pression pour l’incarcération Lula est extrême. Les casseroles retentissent dans les vérandas des riches bourgeois. Les médias convoquent à des manifestations jaunes et vertes en faveur de la prison. Un géant de la communication du pays, l’entreprise SKY, émet un courriel à ses employés les incitant à participer aux manifestations anti-Lula, leur promettant ne pas suspendre leur salaire pour la journée.

Ce même jour, un général à la retraite annonce clairement dans une entrevue : « Si la Cour Suprême ne vote pas la prison de Lula, l’armée interviendra ». Quelques heures après, le commandant de l’État Major des armées lui même émet un Twitt. Sortant de ses attributions constitutionnelles, qui lui interdisent de se prononcer sur des questions politiques, il écrit : "l’armée se solidarise avec les désirs de tous les citoyens « de bien » de condamner l’impunité", et « se maintient attentive à ses missions institutionnelles ». Le message ne pourrait être plus clair.

Bien que l’aéronautique ait, quant à elle, fait un communiqué bien plus rassurant, et contraire aux dires du commandant en chef (montrant que même dans les armées les avis sont partagés), l’action de ce dernier a eu l’effet souhaité. Une des juges de la Cour Suprême change d’avis, répétant le résultat du contre Lula, de 6 voix contre 5 en faveur de l’incarcération. Un vote tellement bizarre que cette Juge dit textuellement qu´elle fait un vote qu´elle considère elle même anticonstitutionnel. La peur des militaires ?

La Cour Suprême annonce donc que Lula peut être emprisonné « une fois épuisés tous les appels en deuxième instance », ce qui pourrait encore durer 15 jours, étant donné que des appels étaient encore possibles et légalement déposables. Mais le droit de se défendre et la présomption d’innocence sont des valeurs juridiques qui sont devenues obsolètes, en tout cas pour Lula, et sûrement pour les sympathisants du PT. En moins de 24 heures, encore une fois de manière illégale, Moro donne l’ordre de l’envoyer en prison. Et encore une fois, l’un des juges de la Cour Suprême, qui avait voté pour l’emprisonnement, donne son appui « légal » à la décision de Moro.

Lula part donc au siège du syndicat des métallos de São Bernardo, berceau de sa carrière politique. Moro lui a accordé la « faveur » de l’inviter à se présenter à la police le jour suivant avant 17 heures, lui faisant un geste dû à la « dignité de son poste de Président » : ne pas exiger des menottes. Que la police vienne le chercher, alors que l’immeuble est entouré de milliers de militants, accompagnés de sénateurs, de gouverneurs, des candidats de gauche aux présidentielles, de leaders religieux en une prise de position œcuménique, de chanteurs et d’artistes. La police, impuissante, négocie. Lula dit qu’il se rendra, mais le lendemain, après une fête pour les 68 ans que sa femme aurait ce jour là. Alors que Moro voulait l’humilier, Lula obtient une scène privilégiée pour faire le plus intense et émouvant discours de sa carrière politique. Avec la couverture médiatique de toutes les télés qui le persécutent et des médias du monde entier, l’abîme qui sépare le génie politique de Lula et le manque d’habilité de Moro est évident.

Comme l’observe un jeune sur les réseaux sociaux, ceux-ci « fêtent » la prison de Lula avec (comme les brésiliens sont blagueurs) un grand nombre de messages d’ironie. Dans ce cas, elles se moquent de son niveau de scolarité, de son doigt en moins, des homosexuels qui « devront maintenant quitter le pays », de « l’intelligence » de Dilma (une femme), des pauvres, des sans-terre, des noirs, qui maintenant seront « obligés de travailler au lieu de vivre aux dépens du gouvernement », sur la « mort de la gauche ». La corruption n’est jamais citée. C’est le portrait du Brésil qui émerge des décombres d’une démocratie ravagée.

Accusant la presse et la justice de persécution, Lula a réaffirmé son innocence et rejeté encore une fois les fausses preuves concernant la supposée possession de l’appartement. Il a surtout passé un message puissant : « ils veulent m’arrêter, et je vais l’accepter, car ils n’ont pas compris qu’ils ne m’arrêteront plus. Car je ne suis plus un être humain. Je suis une idée. Une idée du Brésil qui est en vous. Vous êtes tous Lula dorénavant, et à chaque jour passé en prison, plus de Lulas surgiront dans les rues. » Moro a essayé de l’humilier, Lula en est ressorti encore plus grand. Les jours à venir vont être chauds.

Que doit-on attendre maintenant ? Le PT a une stratégie bien définie. Il ne retirera pas Lula de la liste des candidats. Si quelqu’un doit le faire, que ce soit la justice, qui payera le prix car cela démontre clairement la persécution à l’oeuvre. Jusque là, Lula continue de grimper dans les sondages. Au dernier moment, quand le Tribunal Électoral interdira sa candidature, Lula lui même indiquera celui qui le remplacera. Beaucoup de noms possibles, mais celui de l’ex-Maire de São Paulo, Fernando Haddad, est le plus probable.

D’ici là il est possible que Lula sorte de prison. D’abord parce que la prison en deuxième instance n’a pas encore été validée par la Cour Suprême (qui a juste jugé l’Habeas Corpus de Lula), et elle devra le faire. Il y a de fortes chances que la décision soit contraire à la prison. De plus, le procès de Lula doit passer la Cour Suprême.

Le fait est que la droite brésilienne a joué toutes ses fiches, mais elles ont l’air d’être épuisées. Même si cela peut paraître contradictoire avec Lula en prison, c’est lui qui mène le jeu. Avec beaucoup de force, entre autre grâce au geste précipité de Moro. Cela est devenu trop évident que sa la persécution acharnée menée contre Lula passe au dessus des lois et de la Constitution. Le pays est déchiré, mais jamais la gauche ne s’est si fortement réunie. Le problème n’est plus de défendre la candidature de Lula, mais de défendre notre démocratie.

Tout dépend de combien la Cour Suprême jouera son rôle ou sera encore une fois soumise à la honte de s’être pliée face à ce qu’il y a de pire dans la société. La volonté démocratique du peuple est violée par des décisions à chaque fois plus illégales. Les militaires sont aux aguets. La presse continue son action irresponsable. Cela est devenu insupportable d’écouter les radios ou la télé, car c’est de la propagande politique constante contre le « bandit » Lula. Mais les réseaux sociaux jouent aussi un rôle important. Tout peut arriver. Même une entrée plus effective des militaires dans le jeu. C’est pour cela que les regards attentifs des citoyens du monde sont plus que jamais nécessaires pour sauver notre démocratie !

Voir en ligne : Cidades para que(m) ? política, urbanismo e habitação

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