Au Brésil, les mères contre la violence d’État à Goias

 | Par Ponte Jornalismo, Renan Omura

Eronilde da Silva Nascimento, une des dirigeantes du mouvement Mães de Maio do Cerrado raconte que l’idée vient des Mães de Maio, de São Paulo, et des Réseaux de communautés et mouvements contre la violence, de Rio de Janeiro : « J’ai compris que la lutte devait venir de nous »

Traduction de Du DUFFLES pour Autres Brésils
Relecture de Philippe ALDON

Il y a environ deux mois, à Goiânia, Etat de Goiás, le collectif Mães de Maio do Cerrado (les Mères de mai du Cerrado) a vu le jour : du deuil au combat. Fondé par Eronilde da Silva Nascimento, 41 ans, le groupe est composé de familles de victimes de la violence d’Etat et se bat pour des actions de justice effectives. Ce mouvement s’est renforcé avec l’adhésion des mères de dix jeunes, morts dans l’incendie du Centre d’incarcération provisoire (CIP) de Goiânia, le 25 mai 2018. Au-delà de la promotion de rencontres avec les autorités locales pour exiger la réparation des violences, le collectif agit avec détermination pour soutenir les victimes de la violence d’Etat. Le groupe compte environ 45 membres et constitue actuellement le Réseau des mères et des familles victimes du terrorisme d’État.

Le mouvement s’appelle dorénavant « Mães de Maio do Cerrado : du deuil à la lutte », mais la recherche des droits fondamentaux a commencé il y a plus de 15 ans. La fondatrice, Eronilde Nascimento, a participé en 2004 à l’occupation de Parque Oeste Industrial, un quartier de la municipalité de Goiânia. « Nous étions en retard pour le paiement du loyer, alors mon mari, mon fils et moi avons dû aller vivre dans cette occupation. Nous n’étions pas partie prenante des luttes pour le logement, c’était vraiment par nécessité », raconte Eronilde. L’endroit fut plus tard connu sous le nom d’occupation du Sonho real (Rêve royal). La zone était abandonnée depuis plus de 30 ans et, en raison de la crise du logement et de l’absence de politique en faveur du logement dans la région, le quartier s’est retrouvé avec 3 000 habitants.
En janvier 2015, la Justice a autorisé le procès en récupération du territoire de Parque Ouest Industrial. Connue sous le nom d’opération Triumph, l’action violente de la police militaire, qui a évacué en moins d’une heure les 3 000 habitants, a fait quatorze blessés, un tétraplégique et deux victimes mortelles.

Le compagnon d’Eronilde, Pedro Nascimento Silva, était l’un des résidents tués :

"Nous ne savions pas qu’ils pouvaient agir de manière aussi violente. Notamment parce qu’il y avait des enfants et des personnes âgées dans les maisons. C’était de la lâcheté. Ils sont entrés chez moi par effraction, ont tiré sur mon partenaire qui était de dos puis ont fini par l’exécuter. Ils m’ont également frappée", raconte-t-elle.

Pour abriter les résidents expulsés du territoire d’occupation, le gouvernement de l’État a construit le parc résidentiel Real Conquista, où vit actuellement Eronilde. Après le meurtre de son mari, elle a vécu un moment de deuil mais a pu se reconstruire avec d’autres familles ayant également souffert de la violence de l’État. Les victimes ont participé à des audiences publiques à l’Assemblée législative, avec le soutien de la Commission des droits humains de Goiás.

Ils ont décidé de fonder le Comité de Goiás pour la fin de la violence policière en avril 2015. L’organisation avait pour objectif de soutenir et d’informer les victimes de l’État. Après avoir subi diverses menaces par des groupes d’extermination, les participants ont cessé d’agir et le collectif a été démantelé. Cependant, Eronilde a continué son action à la demande de personnes violentées par l’État. "J’ai beaucoup travaillé l’estime de soi avec des femmes qui se sentaient coupables pour leurs enfants qui avaient été impliqués dans des activités criminelles. Puis j’ai commencé à faire des cercles de parole et de réunions pour les informer", raconte-t-elle.

C’est lors d’une réunion avec Debora da Silva, du Mouvement indépendant Mães de Maio, de São Paulo, et avec Patrícia Oliveira, du Réseau des communautés et mouvements contre la violence, de Rio de Janeiro, qu’Eronilde a commencé à réaliser qu’il était nécessaire de créer un collectif.

"J’ai compris que la lutte devait partir de nous. Et dans ce comité, nous dépendions beaucoup les unes des autres. Puis j’ai commencé à y réfléchir. Et à mon retour de la 3e Rencontre internationale des mères et des familles de victimes du terrorisme d’État, à Salvador en 2018, j’en avais la certitude et j’ai décidé, avec Luciana, de nommer le groupe « Les Mères de mai du Cerrado : du deuil au combat », conclut-elle.

Luciana Pereira Lopes, 34 ans, mère de Lucas Raniel Lopes, 16 ans, mort dans l’incendie du CIP (Centre d’Incarcération Provisoire), installé au sein du 7ème Bataillon de la Police Militaire de Goiás en 2018, a été l’une des fondatrices du collectif Mães de Maio do Cerrado avec Eronilde. Luciana a déclaré que le groupe, en plus d’informer les mères, les aide à faire face aux préjugés. « Les gens montrent du doigt et jugent beaucoup. La mère d’un garçon qui est en détention est considérée par la société comme un objet. J’ai des droits et aujourd’hui je sais quand ils sont violés », explique-t-elle.

Luciana, mère de Lucas Raniel, une des victimes de l’incendie d’un secteur de détention au sein d’un bataillon de la PM de Goiás | Photo : Renan Omura/Ponte Jornalismo

Après avoir perdu son fils, Luciana a sollicité l’aide du CAPS (Centre d’assistance psychosociale) plus de 15 fois, sans jamais être entendue. Elle a alors cherché des consultations privées qu’elle n’a pas pu poursuivre en raison de leur prix trop élevé.

"Depuis que c’est arrivé, je me suis toujours retrouvée seule. Je n’ai eu le soutien de personne. Je ne peux pas empêcher mon mari d’aller au travail et mes enfants à l’école. Lucas est mort, mais la vie de chacun continue. Donc, quand nous apprenons qu’une mère est en situation de crise, nous allons la voir. Nous pleurons ensemble et ensemble nous traversons sa crise. Et dans ce groupe, l’une aide l’autre. Les Mères de mai du Cerrado ont été un moyen de nous fortifier, de nous aider et de nous éveiller. Cette réunion m’a fait beaucoup de bien", déclare Luciana.

Outre Lucas Raniel, neuf autres jeunes sont morts dans l’incendie le 25 mai 2018. Les autres victimes furent Daniel Paulo de Souza, 15 ans ; Wallace Feliciano Martins, 18 ans ; Lucas Oliveira de Araújo, 16 ans ; Elias Santos Bonfim, 17 ans ; Jhony Barbosa Cardoso, 17 ans ; Gabriel Gonçalves Sena da Silva, 16 ans ; Douglas Matheus Pantoja, 17 ans ; Eliseu Araújo, 17 ans et Daniel Freitas, 18 ans.

Selon les versions officielles, vers 11h30, les jeunes ont mis le feu à un matelas, près du bâtiment 1, dans l’aile A pour se rebeller contre le transfert probable de deux prisonniers. A la suite de l’enquête de la police civile, 13 agents de l’État ont été démis de leurs fonctions et inculpés d’homicide involontaire. La direction a condamné les fonctionnaires pour non-assistance dans la lutte contre l’incendie. Cependant, l’affaire a été classée.

Marilene Martins de Araújo, 37 ans, mère d’Eliseu Araújo, raconte la dernière fois qu’elle a vu son fils vivant. "J’ai beaucoup pleuré, parce que j’ai dû subir une fouille intime et c’est très humiliant. Puis il m’a souri et m’a dit : « Maman, tu n’auras plus jamais à vivre ça. C’est l’une des dernières choses qu’il m’a dites. Au moment de me dire au revoir, il m’a serrée dans ses bras, mais une des gardiennes m’a poussée très fort. Je lui ai demandé de me laisser embrasser mon fils et elle m’a dit de me taire. Puis j’ai passé la porte et nos regards se sont perdus. C’est la dernière fois que je l’ai vu », se souvient-elle.

Marilene a rencontré les Mères de mai du Cerrado lors d’une manifestation et a été rapidement invitée par Luciana à rejoindre le collectif. "J’ai beaucoup de difficultés à parler de ce qui s’est passé. Même dans le groupe, mais petit à petit, elles m’aident à le surmonter. Elles m’ont également montré en quoi ce qui se passait là-bas était inacceptable. Une fois, Eliseu a été blessé au ventre, il avait une coupure. Il n’a pas voulu le dire, mais c’était le résultat d’une bagarre. Personne ne lui a fait de pansement", précise-t-elle.

Cleonice Lourenço de Freitas, 41 ans, la mère de Daniel Freitas, 18 ans, une autre victime de l’incendie, a rencontré le collectif par l’intermédiaire de Luciana et fait partie du groupe depuis mars dernier. "Le vendredi où l’incendie a eu lieu, j’ai quitté Anápolis, où je vis, à 10h30. Je suis allée à Goiânia pour rendre visite à mon fils. Mais avant cela, je me suis arrêtée dans un café pour acheter un casse-croûte et le lui apporter. C’est alors que le garçon qui me servait m’a parlé de l’incendie. Tous mes proches l’ont appris par la télévision et moi je l’ai appris comme ça", raconte la mère de Daniel.

Cleonice achetait un en-cas à son fils quand elle a entendu parler de l’incendie qui l’a tué | Photo : Renan Omura/Ponte Jornalismo

Cleonice dit que le collectif lui a donné l’occasion d’exposer ce qu’elle ressentait et l’a aidée à faire face à la dépression.

"J’ai toujours fait de la dépression. Mais après le décès de mon fils, j’ai commencé à prendre des médicaments. Je fais de nombreux cauchemars où Daniel crie et les Mères de mai du Cerrado m’ont aidée à avoir le courage de faire face à tout cela. Connaître d’autres cas nous rend plus fortes. Cela montre que nous ne sommes pas seules. Partager ce sentiment soulage beaucoup et les Mères sont aussi très affectueuses. Le groupe me donne également l’occasion de réclamer justice, car l’affaire a été classée et ça ne peut pas continuer comme ça", souligne-t-elle.

Voir en ligne : Mães de Maio do Cerrado : ampara, instrui e fortalece familiares vítimas da violência do Estado em Goiás

Photo de couverture : Eronilde da Silva, fondatrice des Mães de Maio do Cerrado, s’exprime à la Chambre des députés, de Brasília | Photo : Renan Omura/Ponte Jornalismo

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