Qui a commandité l’assassinat de Marielle Franco ? 6 ans après la mort de Marielle : toujours pas de réponses

 | Par Autres Brésils

« Je suis parce que nous sommes ; Je suis Favela parce que nous sommes une résistance. » - Slogan électoral de Marielle Franco

Il y a 6 ans, le 14 mars 2018, Marielle Franco et Anderson Gomes étaient exécutés dans leur voiture. La Défenseure des droits, élue à la chambre législative de la ville de Rio de Janeiro, s’opposait à la politique de maintien militarisé de l’ordre et notamment à l’intervention de l’armée dans les favelas de la ville de Rio de Janeiro.

Marielle était l’une des plus grandes porte-paroles des résistances pour les droits des femmes au Brésil. Les mois précédents sa mort, elle avait pointé du doigt les 943 féminicides [1] ayant eu lieu en 2017. Ce chiffre ne cesse de s’accroître comme le montre les données de la Forum Brésilien de Sécurité Publique de 2021 reprise dans le Baromètre de la Colation Solidarité Brésil 2019-2022.

Depuis 2018, Amnesty International anime une campagne d’alerte et demande aux autorités brésiliennes d’élucider l’assassinat. Cela relève ici d’une question d’humanité pour les familles des victimes, et de survie des luttes pour les minorités que surportait défendait/accompagnait/soutenait Marielle. Voici leur pétition : Qui a tué Marielle Franco ?

Crédit - Leo Correa/ AP

Les propos de Marielle dérangeaient. « Je ne serai pas interrompue » avait-elle dit lors de sa dernière prise de parole officielle à l’Assemblée municipale. Le caractère politique de son assassinat ne fait aucun doute.

Avancement de l’enquête : féminicide et assassinat politique

Les faits de 2018-2020

Le 14 mars 2018 : Marielle Franco et Anderson Gomes sont exécutés par balles, alors que Marielle venait de quitter un événement à la "Casa das Pretas", à Lapa, dans le centre de Rio. Dès le lendemain, des fortes mobilisations partout au Brésil, notamment au Forum Social Mondial qui se tient à Salvador, appellent à l’ouverture d’une enquêtes. La solidarité internationale et la mobilisation est aussi quasi immédiate.

Entre le 21 mars et le 25 septembre, un groupe de procureurs de l’Etat de Rio de Janeiro est nommé pour l’assister la police civile dans l’enquête. S’ajoutera le Groupe d’action spéciale de lutte contre la criminalité organisée (GAECO/MPRJ). Un premier changement est effectué à la tête de l’enquête, annonçant une gestion complexifiée par les interférences politiques et la méfiance grandissante vis-à-vis des enquêteurs. Une première arrestation est faite, net des soupçons pointent vers le conseiller municipal Marcello Siciliano et la milice de Rio : cette piste sera écartée.

Il faut attendre mars 2019 et avec l’arrestation et condamnation de Ronnie Lessa et de Élcio Queiroz. Le premier est le tireur présumé ; le second est un policier militaire. Ils sont membres d’une milice de Rio de Janeiro appelée le « Bureau du crime » et affirment avoir tué Marielle par détestation de son activité politique. Cette condamnation acte une première avancée dans les enquêtes. Mais le crime n’est pas pour autant résolu : qui a commandité l’assassinat de Marielle ?

La proximité de Lessa avec le clan Bolsonaro reste une hypothèse de l’enquête et surtout des mouvements sociaux demandant justice. L’article d’Eliane Brum, « Qui a tué Marielle Franco et Pourquoi ? » souligne qu’« il y aurait une immense compromission entre fonctionnaires, miliciens, politiciens » qui seraient responsables, voire commanditaires de la mort de Marielle.

Le lendemain, le responsable de l’enquête, le commissaire Giniton Lages, est éloigné de l’affaire par le gouverneur de l’État de Rio de Janeiro. Il l’apprend dans l’éditorial de Lauro Jardim – journaliste de O Globo qui suit l’évolution de l’enquête. C’est Giniton Lages qui avait confirmé l’hypothèse de la proximité entre le clan Bolsonaro et la famille de miliciens.

Deux livres sont publiés sur les dessous de l’affaire de cette époque
 
-* Quem matou Marielle ? : Os bastidores do caso que abalou o Brasil e o mundo, revelados pelo delegado que comandou a investigação par le capitain Giniton et le journaliste Carlos Ramos, Matrix Editora, Avril 2022, non-traduit
 
-* Mataram Marielle : Como o Assassinato de Marielle Franco e Anderson Gomes Escancarou o Submundo do Crime Carioca ; par les journalistes Chico Otavio et Vera Araújo, Editora intrínseca, novembre 2020, non-traduit.

Les indices convergent vers un assassinat commandité, au service des élites qui utilisent la violence et les milices comme instruments politiques. Ce scénario illustre la répression politique et policière mise en œuvre par les pouvoirs politiques dans le pays, en faisant des leaders des mouvements sociaux les premières victimes de cette politique.

Le 29 octobre 2019, en réponse aux spéculations du journal National de la chaîne de télévision Globo, le président du Brésil, Bolsonaro, hurle « Pourritures ! Enfoirés sans scrupules » et autres diatribes reprises dans l’article du Monde du 31 octobre 2019. Dans cette vidéo, Bolsonaro « s’emporte » et « avoue » également avoir interféré avec l’enquête en se procurant les enregistrements où il aurait parlé avec Elcio Queiroz. C’est, selon les spécialistes, une stratégie pour préparer le terrain de l’opinion publique – alors que les enquêtes pointent la proximité et les responsabilités du clan Bolsonaro dans ce double assassinat. En réponse, Anielle Franco, Monica Benício et les héritières en politique de Marielle Franco demande prudence et respect dans le suivi de l’enquête.

Le 9 février 2020, Adriano da Nóbrega, chef du « Bureau du Crime » est retrouvé mort. L’enquête montre rapidement qu’il s’agit d’une exécution. Adriano avait de nombreux liens avec Flávio Bolsonaro, fils du président brésilien. Il était une personne clé pour trouver les commanditaires du crime, selon le Site Ponte Jornalismo.

En mars 2020, pour marquer les 2 ans de cet assassinat politique, Basta fait un récapitulatif des derniers avancements de l’enquête.

Crédit : F. Bizerra, EFE

Les faits de 2020-2023

Beaucoup d’éléments convergent vers un assassinat politique de Marielle Franco. Il faut délier les différents fils de l’actualité et du passé récent du clan Bolsonaro pour exiger que « Nous devons savoir qui est au pouvoir ». C’est ce que dénonce Eliane Brum dans son article.

L’année 2020 est marquée d’une part par le va-et-vient de décisions judiciaires sur une possible fédéralisation des enquêtes. D’autre part, ce sera le troisième changement de direction au sein de l’équipe chargée de l’affaire. C’est même une cascade de changements : le gouverneur Wilson Witzel de l’Etat de Rio est démis de ses fonctions pour corruption, Cláudio Castro, nommé gouverneur par intérim, place Allan Turnowski comme nouveau secrétaire de la police civile. Celui-ci change le commandement du Département général des homicides et de la protection de la personne (DGHPP), se qui provoque la démission de Ricardo Nunes, chef de la police de Rio de Janeiro, résultant enfin en la nomination d’un nouveau responsable de l’enquête : Moysés Santana.

Mille jours après la mort de Marielle et Anderson, en décembre 2020, les reporters Chico Otávio et Vera Araújo, auteurs du livre Mataram Marielle (non-traduit, Ils ont tué Marielle), rappellent la longue enquête qu’ils mènent pour le journal O Globo depuis le 14 mars 2018. C’est une interview de Câe Vasconcelos à lire sur Ponte Jornalismo

Lire aussi Pour la fin d’un cycle sans fin, la lettre ouverte de Anielle Franco, la sœur de Marielle, aujourd’hui ministre du gouvernement Lula

L’année 2021 continue d’être ponctuée par des changements et la création de "groupes spéciaux" entre le pouvoir judiciaire et la police civile. La gestion de l’enquête reste donc complexe. Mais la justice brésilienne acte de nouvelles juriprudences et partenariats avec la collecte de données sur Google et Facebook. Au total, ce sont plus de 8 opérations policières et 70 arrestations par la police militaire et civile de l’État de Rio.

En 2022, quatre ans après l’assassinat, l’enquête piétine toujours et le climat électoral polarisé ne contribue pas à l’avènement de la justice sur ce crime. C’est aussi la deuxième élection « post-Marielle » où on récolte les graines semées par Marielle Franco. L’« Effet Marielle » : les femmes noires s’engagent en politique sur les traces de la conseillère municipale est visible et trouve dans l’Institut Marielle Franco une plateforme politique. En 2020, la première élection municipale (octobre 2020), l’ « Agenda Marielle » comptait sur les signatures de 769 candidat.es de tout le pays pour plus d’équité en politique envers les femmes noires. En 2022, la Coalition Noire pour les Droits appelait à "Aquilomber" le parlement.

Le film Sementes : Mulheres Pretas no Poder (Graines : Femmes noires au pouvoir, 2020), de Éthel Oliveira et Júlia Mariano, présenté au Festival Brésil en Mouvements 2022, accompagne la montée en puissance des femmes noires en plus en politique. Le documentaire suit la campagne électorale de Mônica Francisco, Rose Cipriano, Renata Souza, Jaqueline de Jesus, Tainá de Paula et Talíria Petrone en 2020.

Dès sa nomination, le ministre de la Justice, Flavio Dino, a décidé d’engager la police fédérale (PF) dans la l’enquête. La PF fait donc son entrée en jeu alors que le débat autour de la ’fédéralisation’ de l’enquête divise encore. Le Ministère Public s’y est d’ailleurs formellement opposé et option gain de cause.

En février 2024, Élcio de Queiroz et Ronnie Lessa, avouent leur participation ainsi que celle de l’ancien pompier Maxwell Simões Corrêa, connu sous le nom de Suel. Ce dernier aurait changé des plaques d’immatriculation du véhicule utilisé pour le meurtre, ainsi qu’à l’élimination des capsules et des munitions utilisées pour le crime et au démontage de la voiture. A ce jour, personne n’a été arrêté pour avoir commandité le meutre. Le procès, en jury populaire, des 3 personnes incarcérées n’a pas encore démarré.

Rendre hommage à Marielle Franco en France

Les actions de Marielle se sont déployées toute sa vie entre féminisme, anti-racisme, protection des droits humains et notamment face aux violences d’État. Nous nous rappelons ici de la rencontre entre Marinete da Silva, mère de Marielle, et Assa Traoré, sœur de Adama lors du Festival Brésil en Mouvements en 2019.

L’inauguration du Jardin Marielle Franco en septembre 2019 avait été suivie par France Inter et a compté sur la participation de la famille de Marielle. Autres Brésils avait publié le discours de Antonio Francisco, son père. Une pétition est en cours pour renommer une rue Marielle Franco dans la ville de Rennes.

Le 13 mars 2023, une soirée d’hommage à Marielle Franco et de son combat qui résonne toujours, sera organisée à la mairie de Paris.

[1pour aller plus loin, voir la fiche thématique de la Observatoire de la démocratie brésilienne. Ces données sont du ministère de la Femme, de la Familles et des droits humains.

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