Anielle Franco et Monica Benicio, respectivement sœur et veuve de la conseillère municipale, ainsi que Dani Monteiro et Talíria Petrone, députées du PSOL , critiquent la lenteur des enquêtes menées sur son assassinat.
Marielle Franco a de nouveau fait la une des journaux et des réseaux sociaux suite au reportage du Journal National de TV Globo diffusé le mardi 29 octobre. Celui-ci indique que le président de la République, Jair Bolsonaro, aurait soi-disant reçu la visite de l’ex-policier militaire Elcio Queiroz dans sa propriété, le 14 mars 2018, quelques heures avant l’assassinat de la conseillère municipale de Rio. Queiroz est en prison aux côtés de Ronnie Lessa : les deux hommes sont suspectés d’avoir exécuté la conseillère municipale et son chauffeur, Anderson Gomes. [1]
Lors d’une conférence de presse, Simone Sibilio, procureure du Ministère Public de Rio de Janeiro, a déclaré que le portier a donné une fausse information en citant Bolsonaro. La procureure confirme que son témoignage ne cadre pas avec la preuve technique qui a démontré que c’est la voix de Ronnie Lessa qui a autorisé l’entrée d’Elcio Queiroz dans la propriété à 17h07, le 14 mars.
D’après Sibilio, les enquêteurs ont eu accès au planning de la conciergerie du complexe résidentiel ainsi qu’aux enregistrements audios de l’interphone. Les documents apportent la preuve que le portier a appelé l’interphone de la maison nr 65 et que l’entrée d’Elcio a été autorisée par Ronnie Lessa, l’homme qu’il a rencontré quelques heures avant l’assassinat de Marielle Franco. Face à la répercussion occasionnée par l’enquête sur la mort de Marielle, l’enseignante et écrivaine Anielle Franco, sœur de la conseillère municipale, a pris la parole depuis son profil Instagram. Appelant au respect de Marielle et de sa famille, Anielle s’est exprimée pendant environ cinq minutes.
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« Je voudrais dire que ma sœur s’appelle Marielle. Marielle Francisco da Silva, dite Marielle Franco. Ce n’est pas Mariela mais Marielle. Je tiens beaucoup à ce que ceci soit respecté. Je demande le respect pour son nom et pour son héritage, le respect pour sa famille et le respect pour une femme qui à elle seule représentait tant de combats », a répliqué Anielle en réponse au président Bolsonaro qui a appelé Marielle Franco « Mariela » en direct dans une vidéo sur Facebook.
A propos du fait que le nom de Bolsonaro soit cité dans les enquêtes sur l’assassinat de Marielle, Anielle a affirmé qu’il est trop tôt pour faire des suppositions et a appelé à la prudence : « Nous allons attendre que tout soit terminé. Je n’ai rien à dire tant que tout n’est pas vérifié, tant qu’on n’a pas de preuves concrètes. Cela n’avance à rien de spéculer. Peu importe qui c’est, j’espère juste que l’enquête aboutira et que cette affaire sera élucidée pour tout le monde. Nous méritons une réponse », confie Anielle.
La sœur cadette de Marielle a également demandé qu’on respecte la douleur de la famille. « Il y a une famille derrière cette douleur, une famille déchirée qui souffre de ce qui se passe. Je n’abandonnerai jamais le combat pour cet héritage qui n’est pas uniquement le nôtre, mais celui de beaucoup d’autres. L’idéologie politique ne devrait pas s’opposer à la vie humaine. Personne ne mérite de mourir de quatre balles dans la tête. Celle qui a vu sa sœur avec le crâne troué, c’est moi », affirme-t-elle.
L’architecte et activiste Monica Benicio, la veuve de Marielle, a pris position par le biais d’une lettre à la presse. La principale réclamation de Monica concernant les enquêtes est le manque d’accès à la procédure pour la famille. « Depuis le début de l’affaire, je consacre ma vie à suivre de près la procédure et à réclamer justice. Depuis le départ, j’ai demandé à avoir accès aux dossiers et aux enquêtes qui visent à déterminer les auteurs, les commanditaires et la motivation du crime qui a conduit à l’assassinat de mon épouse », confie l’architecte.
« Le refus le plus récent concerne une demande d’informations sur les procès-verbaux établis au Tribunal Supérieur de Justice. Je suis favorable à ce que la procédure se fasse en toute sécurité, conformément à l’exactitude des faits, mais il faut qu’elle se fasse dans la transparence, en respectant le droit d’accès de la famille.
D’un côté, je pâtis du manque d’information et de l’autre, je souffre du fait que la presse me questionne sur des choses auxquelles je n’ai pas accès », critique Benicio. Elle ajoute qu’il est « douloureux, inacceptable et inconstitutionnel » que la famille ne puisse pas accéder aux procédures et aux enquêtes.
Comme Anielle, Monica veut simplement que justice soit faite et savoir qui a commandité l’assassinat de Marielle. « Il faut identifier les responsables et les juger correctement pour ce qu’ils ont fait, afin qu’un tel acte ne se reproduise plus jamais dans ce pays. Au nom de tout l’amour que j’ai pour Marielle et de mon respect pour la démocratie de mon pays, l’unique chose que j’attends des autorités brésiliennes est la justice », termine Benicio.
Les héritières de Marielle [2]
Dans un entretien à Ponte, la députée fédérale Talíria Petrone (Psol-RJ), amie de Marielle Franco, réclame également justice et critique la lenteur des enquêtes à apporter des réponses concrètes. « Je pense qu’on devrait vérifier, pour toute personne concernée par une enquête, son éventuelle implication dans le crime, que ce soit le Président de la République ou une personne non officielle », insiste Petrone.
Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 30/10, le PSOL s’est positionné contre la fédéralisation du cas de Marielle de peur que, par ce biais, les institutions n’enquêtent pas sur une éventuelle implication de Jair Bolsonaro. Talíria renforce cette crainte : “Dans cette affaire, bien qu’on ne puisse pas affirmer que le président Jair Bolsonaro soit impliqué dans l’assassinat dont ont été victimes Marielle Franco et Anderson, le fait que la plus haute autorité politique du Brésil ait été citée nécessite une enquête et il faut que le Tribunal Suprême Fédéral (STF) se prononce afin de garantir la continuité de l’enquête. Il est nécessaire que le président ne se serve pas des institutions pour entraver le cours de l’enquête, soit par l’intermédiaire du ministre de la Justice Sergio Moro pour ordonner une enquête sur le portier et changer l’ordre des choses, soit au travers de Carlos Bolsonaro qui utilise des documents qui seraient des pièces à conviction que la justice ne pourrait utiliser qu’après enquête du STF ou encore par le biais de la PGR qui a déjà pris les devants en disant que Bolsonaro était une victime », affirme-t-elle.
« Il est indispensable que les faits soient élucidés. Cela fait 595 jours que le peuple brésilien et le monde attendent une réponse de l’Etat à propos de qui a fait assassiner Marielle. La démocratie brésilienne est trop fragile pour continuer à se passer de réponse », réclame Talíria.
La députée ne croit pas que l’enquête de Marielle sera la voie vers une éventuelle destitution de Jair Bolsonaro, mais qu’elle montre tout ce que le président a fait au cours des dix premiers mois de son mandat. « Cela fait très longtemps que Bolsonaro fait éclater les frontières démocratiques : en faisant que la présidence – au moyen de ses canaux officiels de communication – commémore la dictature militaire qui a tué et torturé des milliers de personnes ; en diffusant une vidéo dans laquelle il conteste l’indépendance des pouvoirs, le STF et la liberté de la presse, ainsi que la liberté politique et les mouvements sociaux ; en menaçant la gauche comme il l’a fait durant sa campagne et comme il le fait encore maintenant ; en censurant la presse et l’art, en rééditant des mesures provisoires et en gouvernant par décret », déplore-t-elle.
Pour Talíria, il est trop tôt pour parler de destitution car, pour cela, il est nécessaire de montrer au peuple la rupture démocratique du gouvernement fédéral actuel. « Le peuple n’a jamais véritablement fait l’expérience de ce qu’est une démocratie. Il est difficile d’alerter sur les graves ruptures démocratiques de Bolsonaro et des représentants de son gouvernement, comme Sergio Moro ; en revanche, il est de plus en plus nécessaire d’expliquer au peuple, de différentes façons, à quel point la démocratie que l’on voulait est en danger », souligne-t-elle.
Dani Monteiro, députée d’Etat de Rio de Janeiro (Psol), émet également des critiques au sujet des enquêtes sur l’assassinat de la conseillère municipale de Rio, et estime que « connaître les auteurs et les commanditaires de l’exécution de Marielle Franco et d’Anderson Gomes est indispensable pour la démocratie ». « Je trouve inadmissible qu’après un an et sept mois d’investigation autour d’un grave crime politique - qui non seulement a choqué le pays, mais aussi le monde entier – nous n’ayons toujours pas de réponses concluantes », déclare la parlementaire.
Dani, qui a travaillé aux côtés de Marielle en tant que conseillère, réclame davantage d’implication dans l’enquête du crime. « Par conséquent, il est indispensable que les investigations soient approfondies, qu’elles soient réalisées rapidement et avec le plus grand sérieux, y compris en ce qui concerne la nature des relations supposées entre la famille Bolsonaro et les suspects Elcio Queiroz et Ronnie Lessa. Dans cette optique, nous espérons que le Tribunal Suprême Fédéral autorise la suite des investigations ; c’est une action nécessaire après que – selon les éléments diffusés dans la presse - le nom de l’actuel président de la République ait été mentionné dans un témoignage », insiste Monteiro.
« Nous avons tous intérêt à ce que cette enquête aboutisse ; quant au président, il devrait être la personne la plus engagée dans le processus d’élucidation des faits. Jusqu’à ce que l’affaire soit bouclée, il est prématuré d’évaluer les conséquences politiques. Le fait est que nous avons besoin de la Justice, même tardive. C’est comme si nous pouvions apaiser la douleur d’une famille qui lutte en permanence, comme si nous annoncions au pays que les valeurs démocratiques l’emportent », conclut la députée.