Le Peuple Tupinambá cherche à rapatrier les créations artisanales et démarquer ses territoires

Le rapatriement au Brésil de créations artisanales autochtones, en particulier du manteau Tupinambá [1] peut aider les peuples originaires à éliminer d’un seul coup la fausseté du seuil temporel [2], en démontrant sa présence immémoriale dans le pays.

Traduction de Pascale Vigier pour Autres Brésils.
Relecture : Marie-Hélène Bernadet

Le thème du rapatriement des productions artisanales autochtones a gagné de l’importance ces dernières années, surtout avec le Peuple Tupinambá de Olivença, au sud de Bahia. Une rencontre inespérée en l’an 2000 de deux leaders de ce peuple avec un manteau Tupinambá – durant l’Exposition de Redécouverte du Brésil [3] – a ouvert la voie à cette lutte pour le retour au pays. En 2022, cette question a pris plus d’importance avec la nouvelle que le Danemark allait restituer au Brésil les productions artisanales du XVIIe siècle qui se trouvent à Copenhague depuis 1689 : “le manteau, que les autochtones considèrent sacré, est une des onze pièces semblables subsistantes. Toutes les autres sont dans des institutions en Europe, cinq se trouvant sous la garde de l’association nationale des musées danoise”, selon un extrait de l’article du journal O Globo. Cette situation va favoriser de nombreuses réflexions et débats sur la nécessité de ces rapatriements.

Histoire du peuple Tupinambá

Le peuple Tupinambá de Olivença – localisé dans le sud de l’État de Bahia, à environ 450 km de Salvador, entre les villes de Ilhéus, Una, Buerarema et São José da Vitória – lutte pour reprendre une partie de son territoire sacré. Actuellement les Tupinambá essaient de récupérer 47376 hectares. En 2001, ils ont obtenu la reconnaissance ethnique par la Fondation Nationale de l’Indien, suivie de la création du groupe technique pour l’inventaire territorial de leur situation depuis 1500. Devant la tiédeur de l’État à faire la régularisation foncière, à partir de 2004, les Tupinambá se mettent à reprendre leur territoire en affrontant les constantes attaques et les innombrables assassinats de représentants de leur peuple, que l’État lui-même couvrait souvent, plutôt que d’empêcher la destruction des biens naturels qui restaient encore dans le territoire revendiqué.

Lire aussi, Bref aperçu des violences et violations de droits contre les Tupinambas (2019) par Nathalie Le Bouler Pavelic sur l’Observatoire de la démocratie brésilienne

Le 19 avril 2009 a été publié au Journal officiel (Diário Oficial da União) le récit circonstancié de l’identification et de la démarcation du territoire indigène Tupinambá de Olivença, au total 47376 hectares. À partir de cette publication, les attaques contre le peuple Tupinambá se sont intensifiées.

Rencontre avec le Manteau

Le 21 mai 2000, lors d’une visite de l’ “Exposition de la Redécouverte”, dans le parc d’Ibirapuera à São Paulo, deux leaders Tupinambá, Dona Nivalda Amaral de Jesus (Amotara) [4], âgée de 67 ans à cette époque, et Aloisio Cunha Silva, âgé de 41ans, ne reconnaissent rien, trouvent que tout est beau, mais rien intéressant. Cependant, ils sont attirés par un manteau entièrement rouge au milieu de presque six cents pièces. Le manteau était l’une des pièces du fonds du Musée National de Copenhague. Dona Nivalda explique à différentes personnes qu’elle a souvent entendu parler des histoires des manteaux Tupinambá mais ne savait pas que l’un d’eux se trouverait ici dans cette exposition. Elle dit que son cœur s’est emballé quand quelqu’un lui a susurré : “c’est notre manteau”. Alors, depuis cet instant, elle affirme que la pièce ne pourrait plus retourner à “l’étranger”, qu’elle devait revenir à son lieu, auprès du peuple Tupinambá.

Un reportage publié en octobre 2021 raconte : “lorsqu’ils virent pour la première fois un manteau tupinambá, derrière une vitrine de l’exposition commémorative des 500 ans du Brésil, Dona Nivalda et Seu Aloísio ont pleuré. ‘Toute l’histoire de notre peuple se trouve ici’, a dit la leader autochtone à cette occasion”.

Le début du processus de rapatriement du manteau

À partir de cette “première rencontre”, les Tupinambá entamèrent un processus de lutte afin de garantir le retour du manteau exposé, ainsi que d’autres manteaux et objets manufacturés (flûtes, tambours, massues, etc.) que l’on trouve en-dehors du Brésil.

A alors débuté un intense cycle de combat pour la récupération du territoire traditionnel et la revivification de la culture du Peuple Tupinambá, sachant que le processus de restitution des manteaux est basé sur des pièces volées. Une leader de la communauté de la Serra do Padeiro, Glicéria Tupinambá, a reçu la mission, donnée par les Encantados [5], de garantir le retour des manteaux.

Pendant la période de la pandémie de Covid-19, Célia, selon son nom courant, a réussi à reproduire un premier manteau dont la trame de coton brut est resserrée avec de la cire d’abeille de la Serra do Padeiro, sur laquelle ont été placées près de 3 mille plumes. La trame de coton a été tissée suivant la technique du jereré, outil de pêche utilisé par les anciens du village. Ce manteau confectionné par Célia a pour référence le manteau tupinambá qui date du XVIème siècle, conservé dans la réserve du Musée du Quai Branly, à Paris, en France. Le nouveau manteau n’est pas de couleur rouge, car l’Ibis rouge n’existe plus ; à ce jour, la couleur marron prédomine, celle des plumes des oiseaux de la communauté et de la terre qu’ils défendent. Ceci parce que nous ne pouvons oublier que le peuple est en lutte pour l’achèvement de la démarcation de la terre autochtone, objet d’attaques armées et d’invasions.

Le manteau représente pour nous, Tupinambá, la revivification de notre culture, de notre langue, de toutes nos réalisations, de nos techniques. Le manteau arrive en divulguant ses secrets. La confection du manteau apporte des savoirs conservés par les femmes Tupinambá : tissage, tressage, utilisation de divers instruments (en particulier l’aiguille de jute), préparation du cordon fait de coton (autrefois au fuseau) avec de la cire d’abeille. Bien que le manteau ait été fait par moi, sa confection a impliqué toutes les personnes de la communauté, des enfants aux ancêtres : dans la recherche des plumes, dans la collecte d’abeilles tiúba [6] et dans l’enseignement des techniques de tissage par les anciens de la communauté”, analyse Célia dans un article pour le projet Um outro céu [7]. “Ce qui est intéressant, c’est de comparer une œuvre qui se trouve à l’intérieur du musée, inerte, et de la voir s’animer, dans le mouvement – dans ce cas-ci, voir le manteau porté par un membre de la communauté, le cacique, mon frère, pendant un rite. C’est une émotion très forte. Ory, mon plus jeune fils, a dit que quand le cacique portera le manteau, il permettra de soigner le monde, d’éloigner toutes les maladies. Tout le mal sera éliminé, parce que le cacique se transformera en super-héros”.

Dans le même article, Célia conclut que la confection du manteau possède une symbolique politique forte. Nous savons que des manteaux Tupinambá existent en divers endroits et que nous avons des difficultés pour y accéder. Jusqu’à maintenant nous avons eu accès de manière présentielle à un seul manteau, celui auquel il a déjà été fait référence, conservé à la réserve du Musée du Quai Branly, en France. Le fait d’avoir accès au manteau a été fondamental pour qu’il puisse commencer à parler avec moi. Le manteau a réussi à s’épancher sur moi et j’ai réussi à faire mes observations et ressentir quelques sensations me permettant de confectionner un autre manteau. Apporter de la vie au manteau a été important et montrer qu’il ne s’agissait pas de cette chose obsolète, reléguée dans un coin, uniquement destinée à être observée et à aller en se détériorant avec le temps. Les manteaux ont une vie et un objectif au sein de leur peuple. C’est ceci le retour du manteau”.

Célia a voyagé dans différents pays après avoir reçu cette mission des Encantados et, ainsi, elle a localisé non seulement d’autres manteaux, mais d’autres objets manufacturés des peuples autochtones brésiliens. En France, sa nièce Jéssica Quadros Tupinambá et elle ont repéré une massue exposée sur une étagère de curiosités ; elles ont sollicité une étude aux ultra-violets, car elles pensent qu’elle est identique à une massue Tupinambá. De plus, à la fin d’octobre 2023, Jéssica Tupinambá ira explorer divers pays d’Europe pour discuter du thème du rapatriement des créations artisanales et des sévices contre les peuples autochtones au Brésil.

Le manteau Tupinambá qui va être restitué par le Danemark au Brésil, ouvrant un débat sur le rapatriement des pièces artisanales historiques et des oeuvres d’art.
(Divulgação/Musée National du Danemark)

Spoliation coloniale

Les objets sacrés pour les Tupinambá, les manteaux ont été enlevés du Brésil à la période coloniale par les européens et ont intégré les collections royales. Actuellement, on connaît l’existence de onze de ces éléments cérémoniaux, fabriqués entre les XVI et XVIIème siècles, tous conservés dans des musées européens.

Même si les onze manteaux ne sont pas revenus au Brésil et si leur production s’est engourdie pour une longue période, les objets manufacturés n’ont jamais cessé de peupler le monde des Encantados – entités surnaturelles qui dirigent le peuple Tupinambá –, et maintenant ils sont à nouveau confectionnés par les mains de Célia.

Lors d’une conversation pour la préparation de cet article, la cacique Jamopoty (Valdelice Amaral) du peuple Tupinambá de Olivença et fille de Dona Nivalda, me confiait qu’il était vraiment difficile de parler du manteau, car il lui venait un nœud dans la gorge, et parfois son émotion était telle, qu’elle ne pouvait pas parler. Elle ne présage pas de l’heure où les rêves de sa mère, décédée le 29 mai 2018, seraient réalisés : la démarcation du territoire et le retour du manteau à sa terre natale.

Jamopoty Tupinambá

“En France, au Danemark, en Allemagne, en Italie et dans d’autres pays à travers le monde, il existe de nombreuses pièces fabriquées par notre peuple – et non seulement notre peuple, mais beaucoup d’autres qui, comme le nôtre, ont été lésés. Ces pièces doivent revenir, réintégrer nos communautés ou notre pays. Les avoir sous nos yeux sera un moment unique, spécial, où nous pourrons faire une rétrospective et imaginer comment nos parents fabriquaient ces massues, ces manteaux, ces instruments de musique, alors l’on commence à imaginer comment était élaborée, comment se présentait la lutte à cette époque-là. Quand on parle du sacré, c’est ce qui est arrivé à ma mère, Dona Nivalda, en 2000, quand au milieu de tant de pièces dans l’immensité de l’exposition, les Encantados l’emportèrent jusqu’à notre manteau. Celui-ci est pourvu d’une mission de démarcation, de reconstruction d’une histoire, celle pour laquelle le peuple s’est battu, avec une force ancestrale, millénaire, pour nous aider à garantir nos droits. Le manteau en dehors d’ici est comme une carte en dehors du jeu de cartes, cela n’a pas de sens”, affirme Jamopoty Tupinambá.

Culture et territoire

Tout comme le retour de leurs objets par ceux qui les conservent dans des lieux étrangers à leur ancestralité, les Tupinambá luttent au Brésil non seulement pour leur rapatriement, mais pour que les autorités brésiliennes les remettent à leur territoire. La présence des objets manufacturés, en particulier du manteau Tupinambá, peut les aider à évacuer l’erreur du seuil temporel, en démontrant la présence ancestrale des Tupinambá, et les processus de saccages et de violences contre les peuples autochtones au Brésil. L’histoire des Tupinambá de Olivença ne débute pas en 1988. Aujourd’hui, le processus de démarcation du peuple Tupinambá de Olivença se trouve paralysé au Ministère de la Justice pour une signature de l’Acte administratif, une fois que toutes les contestations ont eu leur réponse et ont été jugées par le Tribunal Supérieur de Justice (STJ). Le 14 septembre 2016, les ministres du STJ ont voté à l’unanimité l’annulation d’un mandat de protection qui bloquait la régularisation du processus de démarcation.

Valdelice et sa mère Dona Nivalda (Amotara et Jamopoty).
Photo Haroldo Heleno

Pour que les objets manufacturés soient rapatriés et retrouvent leurs territoires et les peuples dont ils sont issus dans des conditions dignes de les recevoir, il faut que le Ministère de la Justice signe immédiatement l’acte officiel déclaratif pour la démarcation du territoire ancestral du peuple Tupinambá de Olivença, et que les autorités, surtout le Tribunal Suprême Fédéral, enterrent, une fois pour toutes, le seuil temporel et les autres mécanismes qui persistent à supprimer et à transgresser les droits des peuples autochtones.


Haroldo Heleno est indigéniste et coordinateur régional du Conseil Indigéniste Missionnaire - Région Est (Bahia, Minas Gerais, et Espírito

Voir en ligne : Repatriar nossos artefatos e demarcar nosso território

Le manteau Tupinambá qui va être restitué par le Danemark au Brésil, ouvrant un débat sur le rapatriement des pièces artisanales historiques et des oeuvres d’art. (Divulgação/Musée National du Danemark)

[1Vêtement à usage sacré fabriqué par les Tupinambánambas avec des plumes d’oiseaux locaux au 16ème siècle

[2La thèse du seuil temporel est une thèse juridique révisionniste. Pour en savoir plus, consultez : La « thèse du seuil temporel » et les 17 procès contre les peuples autochtones, l’engagement raciste du gouvernement Jair Bolsonaro.

[3“La Mostra do Redescobrimento” a eu lieu du 24 avril au 10 septembre 2000 à São Paulo pour célébrer les 500 ans du pays. Les œuvres (environ 15000) montraient un panorama de l’histoire de l’art brésilien depuis l’époque antérieure à l’arrivée des européens.

[4Pour plus d’inormation voir : Mostra Amotara Regards des femmes autochtones

[5Les Encantados désignent des entités magiques d’origine afro-brésiliennes ou autochtones qui interviennent dans les cérémonies sacrées, comme le candomblé par exemple

[6Le tiúba ou Uruçu-gris est une espèce d’abeille sans dard présente dans les États du nord du Pará et du Maranhão et prisée dans les .

[7Il s’agit d’un projet interdisciplinaire d’œuvres d’art ayant pour thème la lutte des peuples autochtones pour récupérer leur territoire et la vision d’un autre ciel, loin des tentatives de génocide.

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