Réalisé à partir des investigations de la Police fédérale, le livre reportage « Brumadinho, la fabrique d’un crime » de Murilo Rocha et Lucas Ragazzi apporte une contextualisation inédite et minutieuse de la plus grande tragédie à la fois sociale et écologique du pays : la rupture du barrage du Córrego do Feijão, de la Vale [1] à Brumadinho, qui a provoqué la mort de 270 personnes.
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Le livre a déjà été présenté à Belo Horizonte, Brasília, São Paulo et Rio de Janeiro. Il apporte des détails de l’enquête - ignorés par la presse – accompagnés de la reproduction de documents et d’enregistrements de témoignages qui prouvent la négligence de l’entreprise minière. De plus, il établit un parallèle entre ces deux tragédies-crimes, Mariana et Brumadinho. « Il est impossible de comprendre ce qui s’est passé le vendredi 25 janvier 2019 sans revenir au jeudi 9 novembre 2015. Que Brumadinho ait pu exister après ce qui s’est passé à Mariana est impardonnable », disent les auteurs au tout début de leur présentation.
Un autre aspect fondamental est de montrer à quel point la dépendance économique des municipalités de l’État du Minas Gerais de l’activité minière - 7,5 % du PIB – a conduit à un relâchement des contrôles et a donné une sorte de carte blanche à la Vale, ce qui a permis à celle-ci de s’organiser de la manière la plus rentable possible et non pas nécessairement en privilégiant la sécurité.
Interview du journaliste Murilo Rocha, l’un des auteurs du livre.
Ponte – Vous êtes arrivés à l’idée de crime commis par la Vale mais vous avez omis le nom de l’entreprise dans le titre. Pourquoi ?
Murilo Rocha – Nous avons évidemment pensé à plusieurs titres incluant le nom de la Vale. Mais nous n’avons renoncé à cette idée par crainte d’éventuelles complications judiciaires. Si cela avait été le cas, nous n’aurions pas écrit ce livre ; or de la première à la dernière page, l’entreprise et les noms de ses fonctionnaires sont cités. Ce fut avant tout une question éditoriale. L’idée de « Brumadinho, la construction d’un crime » a plu à tout le monde quand elle a été proposée. Même si le nom de la compagnie ne figure pas, ce titre renvoie sans équivoque à la tragédie dont nous parlons et, qui plus est, il y a un sous-titre explicitant l’existence de pratiques criminelles telles que la négligence et les déclarations frauduleuses, à l’origine de la rupture du barrage n° 1 du Córrego do Fejão, de la Vale. Au cas où l’entreprise adopterait la tragédie de Brumadinho pour construire un récit « clean », sans coupables, comme une sorte de fatalité [2]. Le livre ne va pas dans ce sens, bien au contraire. Il présente de manière détaillée les entreprises et les fonctionnaires responsables de l’administration de la mine du Feijão et du barrage. Même si la finalité du livre n’est pas de diaboliser qui que ce soit, ni de créer des méchants, celui-ci est une dénonciation claire de la manière dont se fait l’exploitation minière dans le pays et de tous ses acteurs. Cela inclut la Vale, évidemment.
Ponte – Quel a été le moment le plus critique dans la vérification des faits et la rédaction du livre ?
Murilo Rocha – Tout le processus de production et d’écriture de la tragédie ayant conduit à la mort de 270 personnes - la plus grande tragédie sociale et écologique de l’histoire du pays – a été très stressant. Dès le premier jour, il y a une charge émotionnelle, elle pèse encore sur nous. Et cela va durer. Il n’est pas facile d’interviewer des membres des familles de victimes de la rupture du barrage de la Vale, de raconter leurs drames. Une énorme responsabilité pèse sur nos épaules, d’autant plus que nous nous proposons également de dévoiler les coulisses de ce drame. Il s’agit de la Vale, l’une des trois plus grandes entreprises minières du monde. Même si cette entreprise n’a exercé aucune espèce de pression ni créé d’obstacles à l’élaboration du livre – mis à part un délai de deux mois pour répondre à nos questions – il existe une pression naturelle liée à la nature du sujet et des personnalités impliquées, nombre d’entre elles de premier plan. Et tout cela dans un court laps de temps, cinq mois entre le projet du livre et sa publication.
Ponte – Les médias ne se sont pas beaucoup intéressés à établir un lien entre ces deux tragédies-crimes, Mariana et Brumadinho. Serait-ce là l’un des atouts du livre ?
Murilo Rocha – Oui, peut-être s’agit-il de l’un des mérites du livre, établir un lien entre les ruptures des barrages de Fundão à Mariana en novembre 2015 et celui de la mine du Córrego do Feijão à Brumadinho en janvier 2019. Et notre objectif, en établissant ce lien, est justement d’expliciter l’autorégulation du secteur minier dans le Minas Gerais face à un pouvoir public précaire et défaillant dans son rôle consistant à autoriser, réglementer, contrôler et si nécessaire punir d’éventuels non-respects de la législation. Au-delà de cette question, en rapprochant Mariana et Brumadinho, nous avons pu vérifier la répétition d’erreurs, de négligences et d’excuses à l’origine des deux tragédies. On retrouve également une partie des mêmes acteurs dans ces deux événements. Il est important de se rappeler ceci : la Vale est l’une des entreprises qui contrôlent la Samarco [3], protagoniste de la catastrophe de Fundão.
Ponte – La dépendance du Minas Gerais et du Brésil, de manière générale, de l’exploitation minière ainsi que les campagnes électorales de tous les partis financés par la Vale quand ce type de don était encore possible [4], serait un facteur fondamental pour expliquer le contrôle peu rigoureux, une législation environnementale insuffisante et des tragédies comme celles-ci ? Quelle est la solution ?
Murilo Rocha – Sans aucun doute, la dépendance économique des finances des municipalités, des gouvernements des États et la relation étroite de bon nombre de parlementaires avec les entreprises minières constituent la toile de fond de ces tragédies. Cette relation crée des distorsions dans les législations, des omissions au moment des inspections et une « énorme bonne volonté » à autoriser les activités minières. Un mois avant la rupture du barrage de la Vale à Brumadinho, celle-ci avait obtenu, le 11 décembre 2018, trois autorisations de la part du Conseil d’État de la politique environnementale (Copam). Le barrage n° 1 était autorisé à continuer à fonctionner pour une période de dix ans.
Quant aux solutions, elles existent, on le sait. Le processus de traitement à sec des rejets du minerais de fer en est une. C’est un processus plus coûteux mais qui met fin à d’énormes barrages qui sont de véritables dépotoirs de l’industrie minière. Une plus grande rigueur des pouvoirs publics est également fondamentale. Mais quand il y a une incitation du gouvernement fédéral à ne pas respecter la législation environnementale, du nord au sud du pays, comme c’est le cas en ce moment, il est difficile d’être optimiste en ce qui concerne les solutions. Nous continuons à être otages des intérêts économiques. C’est la triste réalité actuelle au Brésil, même après le tragique solde de morts et de dévastation écologique de Mariana et Brumadinho.
Ponte – La Samarco a repris son activité à Mariana sans avoir réparé tous les dommages causés en 2015. Que pensez-vous qui va se passer et de quelle manière en ce qui concerne les activités de la Vale ? De possibles punitions et l’indemnisation de tous ceux qui ont été affectés par la rupture de Brumadinho ?
Murilo Rocha – L’indemnisation des personnes affectées est le minimum qui devrait être fait. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, cela se fera d’abord à Brumadinho et ensuite à Mariana où le processus de reconstruction des maisons détruites de l’ancien district de Bento Rodrigues n’en est qu’à ses débuts ; quant aux indemnisations, elles n’ont toujours pas été versées dans leur totalité. Un mépris et un manque total de sérieux pour ce qui s’est produit ! En ce qui concerne la reprise des activités, l’idéal serait qu’elles se réalisent dans le cadre d’un nouveau type de rapports entre le secteur privé et les pouvoirs publics. Mais ce n’est pas ce que l’on voit. Peu de choses paraissent avoir changé. Le Minas Gerais est en alerte, la population craint que de nouvelles ruptures se produisent. Nous devons dénoncer sans relâche cette situation.