Moins de médecins

 | Par Guilherme Boulos

Ce texte est une tribune de Guilherme Boulos, coordinateur du Mouvement des Travailleurs Sans Toits (MTST), candidat aux élections présidentielles de 2018 pour le PSOL, le Parti Socialisme et Liberté.

Traduction : Jean Saint-Dizier pour Autres Brésils
Relecture : Roger Guilloux

Des milliers de municipalités de moins de 20.000 habitants ne disposent aujourd’hui que de professionnels de santé du programme Mais Médicos [1]. La majorité des villages indigènes en sont dépendants.

Crédits : Karina Zambrana /ASCOM/MS

Avant même son investiture, Bolsonaro a déjà causé un premier incident international. Le gouvernement cubain vient d’annoncer ce mercredi (14 novembre 2018) qu’il allait rapatrier ses médecins qui interviennent au Brésil : en cause, les "références directes, méprisantes et menaçantes" faites par Jair Bolsonaro aux médecins et au programme.

Alors qu’il était candidat, Bolsonaro avait affirmé qu’il "expulserait" les médecins cubains du Brésil, en mettant à profit, pour les remplacer, la Revalida, épreuve de validation des diplômes médicaux obtenus à l’étranger. Il a aussi mis en doute la qualité professionnelle des médecins cubains, disant qu’il n’y avait pas “la moindre preuve qu’ils aient réellement une aptitude à l’exercice de la profession”. Il a réalisé une vidéo à destination d’étudiants d’une faculté de médecine privée dans laquelle il annonçait qu’en 2019, il renverrait d’un coup de stylo “14.000 médecins à Cuba”. Il est allé encore plus loin en disant que leur éventuelle destination serait “la prison américaine de Guantanamo”. Aujourd’hui, en tant que président élu, il insiste dans l’agression. Il est ainsi parvenu à créer un problème qui va affecter l’accès aux soins de millions de brésiliens.

Il est important de souligner que le Brésil n’a pas été le premier pays à recevoir l’aide de médecins cubains. En 2016, un rapport a révélé qu’ils exerçaient dans 62 pays d’Amérique Latine, d’Afrique, d’Asie, du Moyen Orient et d’Europe tels que la Russie et le Portugal. On ne peut décemment pas traiter un tiers de la planète de communiste.

Lorsque le premier contingent de professionnels cubains est arrivé, il y avait des groupes de médecins organisés « en comités d’accueil » dans les aéroports pour les recevoir sous les huées et les quolibets. Une journaliste est même allée jusqu’à déclarer sur les réseaux sociaux, que les cubaines avaient des têtes “d’employées de maison” et s’est même demandée si elles étaient réellement médecins. Depuis le début, le racisme et les préjugés séculaires de l’élite brésilienne ont pris pour cible ceux qui venaient de l’île caribéenne pour soigner notre population.
Contrairement à la majorité des instances médicales, la population brésilienne a massivement soutenu le programme. D’une enquête de l’UFMG [2] auprès de bénéficiaires du SUS [3] dans plus de 699 communes brésiliennes, il ressort que 80% des interviewés ont trouvé l’accès aux soins meilleurs ou bien meilleurs après le lancement du programme Mais Médicos et que les consultations avaient alors mieux résolus leurs problèmes de santé. 6 interviewés sur 10 ont mis l’accent sur la présence constante des médecins et le respect de l’amplitude horaire, comme avantage du programme.

Il existe des dizaines d’études qui mesurent les effets de cette initiative sur la santé dans le pays. Malgré la barrière de la langue, les patients mentionnaient l’importance des visites à domicile, de la durée de la consultation et de la préoccupation des professionnels avec la population qu’ils soignaient. Autrement dit, les accusations de Bolsonaro sur la qualité du travail des médecins cubains s’avèrent être sans fondement.

De plus, des milliers de communes de moins de 20.000 habitants ne disposent aujourd’hui que des médecins du programme Mais Médicos. Il en est de même pour la majorité des hameaux indigènes. Le ministère de la santé de Cuba affirme que pendant les cinq ans de participation à ce programme, 20.000 professionnels du pays ont soigné 113 millions de patients dans plus de 3600 municipalités. En raison de cette décision, 8600 équipes médicales courent le risque de se retrouver sans médecins. Cela représente un cinquième de la santé familiale au Brésil.
Dans la pratique, ceux qui ont le plus à perdre avec la fin du programme sont les brésiliens qui dépendent du SUS. Ceux qui vivent aux périphéries des grandes villes et dans des zones d’accès difficiles et qui souffrent depuis des décennies de l’absence d’assistance médicale.

À l’inverse, une bonne partie des conseils et des instances médicales qui avaient tout tenté pour faire échouer le programme dès ses débuts, s’est félicité d’une telle décision. Mais Médicos avait fini par fortement diminuer leur pouvoir de négociation avec les municipalités. Même en offrant des salaires bien au-dessus de la moyenne, celles-ci ne parvenaient que très difficilement à faire respecter par les professionnels ne serait-ce que l’amplitude horaire. Encore moins de fixer durablement les médecins dans ces territoires, notamment lorsqu’il s’agissait de régions éloignées ou périphériques.

Indépendamment de l’initiative du gouvernement de lancer des appels d’offres en urgence afin de pourvoir les postes qui se libéreront, la situation reviendra difficilement à la normale. La régulation de la formation et de l’offre de postes médicaux dans la santé publique est un problème historique. Outre le manque de financement et la structure précaire, le SUS a toujours subi les pressions du corporatisme. Tout comme les autres pays, le Brésil a conclu un accord avec Cuba, justement pour faire sauter cet obstacle.

Le monde entier assiste, épouvanté, aux déclarations quotidiennes de Bolsonaro et de son équipe. Des puissances économiques telles que la Chine, un bon nombre de pays arabes et même la peu suspecte Norvège ont déjà exprimé leur gêne quant à l’évolution du Brésil sur la scène géopolitique. Quand ses déclarations ont mis en danger les bénéfices des grands producteurs et des opérateurs des marchés financiers, le nouveau gouvernement a fait machine arrière. Cela a créé un doute chez des millions de personnes, y compris chez certains de ceux qui ont voté pour lui dans l’espoir de changements. Qu’est-ce que Bolsonaro aura à leur dire lorsqu’ils découvriront qui a été le responsable du fait que leur poste de santé n’a plus de médecins ?

Voir en ligne : Carta Capital

[1Mais Médicos. Ce programme, lancé par le gouvernement de Dilma Rousseff, avait pour objectif de pallier le manque de médecins dans les coins les plus reculés du Brésil et dans les périphéries des grandes villes, en “important” des médecins d’autres pays, et surtout de Cuba (15000 médecins et professionnels de santé), pays avec lequel avait été conclu un accord. Le programme avait pour nom “Mais médicos”, “Davantage de médecins”, d’où le titre au ton clairement ironique.

[2Université Fédérale du Minas Gerais

[3Système Unique de Santé. Voir l’article Le SUS fait davantage et mieux avec moins de moyens que les services de santé privée, publié dans Autres Brésils en 2015

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