Maria Vilani : la mère et écrivaine qui a révolutionné l’art dans le quartier de Grajaú à São Paulo

 | Par Isabela Alves

« J’ai toujours aimé allumer des lumières et les projets sont des points lumineux. Des lumières accessibles à la périphérie qui a déjà connu beaucoup d’heures sombres et de violence. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de culture et d’art », déclare Maria Vilani, 72 ans, écrivaine, philosophe, activiste culturelle et fondatrice du Centre d’Art et de Promotion Sociale (CAPS) dans le quartier de Grajaú, zone sud de São Paulo.
Née à Fortaleza, Maria est venue dans la capitale pauliste en rêvant de meilleures conditions de vie pour sa famille. Elle vit à Grajaú depuis 1975 et, au cours des années, elle a été témoin des principaux changements de ce quartier. Peu à peu, a grandi en elle le désir de contribuer au développement éducatif, culturel et artistique de cette partie de la ville. Elle a fondé un centre des arts il y a plus de 30 ans.
Traduction : Marie-Hélène BERNADET pour Autres Brésils
Relecture : Du DUFFLES

Les débuts à Grajaú et le rêve de faire des études

Quand elle est arrivée à Grajaú, cette zone était connue familièrement en tant que « cité dortoir » car ses habitants travaillaient dans le centre-ville et ne rentraient chez eux que pour y dormir. Seule l’avenue Dona Belmira Marin était goudronnée et le terminus des lignes de bus était au Circo Escola. Pour se déplacer vers d’autres quartiers, les habitants allaient à pied ou en charrette. L’assainissement de base n’existait pratiquement pas et, pour obtenir de l’eau potable, la population utilisait des puits artisanaux.

Le premier foyer de Maria était situé au Jardin Reimberg, dans le quartier de Grajaú. Elle se souvient qu’à cause de la boue, il fallait avoir deux paires de chaussures pour aller au travail en transport public, pour ne pas salir l’autobus ou les autres passagers. Les habitants du quartier mettaient une paire de chaussures aux pieds et l’autre dans un sac.

En 1978, elle et sa famille ont déménagé au Parc São José, dans la favela des Imbuias. « Nous avons acheté un petit logement pour ne plus payer de loyer, parce que mon mari (Cleon Gomes) voulait faire des études. Une fois sa formation dans la métallurgie terminée, nous avons trouvé la maison qui est encore la mienne aujourd’hui », raconte-t-elle.

Vilani rapporte qu’à cette époque, le quartier de Grajaú avait des taux de violence élevés ; c’est pourquoi les mères accompagnaient leurs enfants jusqu’à la porte de l’école chaque jour. C’est ainsi qu’elle a connu le Mouvement des Femmes de Grajaú, présidé par Adélia Prates.

« Comme il n’y avait pas de cabines téléphoniques dans les rues, on communiquait par le bouche-à-oreille », précise-t-elle. L’association offrait des cours d’entreprenariat, des conférences ainsi que l’accès aux soins de gynécologie et de psychologie.

L’institution portait également assistance aux femmes victimes de violence, notamment grâce à un soutien juridique. Maria a rejoint ce mouvement en donnant des cours de dactylographie (technique de saisie d’un texte sur un clavier de machine à écrire) et d’alphabétisation pour adultes.

C’est en observant l’impact et l’importance du travail communautaire qu’elle a trouvé l’inspiration pour créer ses propres projets. « J’étais femme au foyer et je travaillais déjà dans le domaine de l’art et de l’éducation. Je m’occupais d’enfants dont les mères travaillaient et ils apprenaient à lire chez moi », se rappelle-t-elle.
Mère de cinq enfants - Clayton, 48 ans, Kleber, 47 ans, Maria Aparecida, 41 ans, Cleane, décédé à 39 ans de la Covid-19 et Cleon Jr.,34 ans – elle raconte qu’elle a toujours encouragé ses enfants à se tourner vers des métiers de l’art et de la culture. L’un d’entre eux, Kleber Cavalcante Gomes, plus connu sous le pseudonyme artistique Criolo, est devenu l’un des noms les plus influents du rap pauliste.

Maria et son fils Criolo, rappeur pauliste @Reproduction/Instagram Criolo

En tout, elle a éduqué 31 enfants. Malgré sa vocation pour l’éducation, il lui manquait un certificat scolaire officiel. C’est pour cela qu’à l’âge de 40 ans, Maria Vilani est retournée sur les bancs de l’école afin de terminer l’enseignement secondaire. Après avoir repris ses études, elle a ouvert une bibliothèque communautaire.

Ses projets de développement de l’art et de l’éducation à Grajaú ont progressé lorsqu’elle a commencé à promouvoir diverses actions telles que des ateliers d’artisanat et des salons culturels pour lesquels elle faisait venir des artistes locaux.

« Je dis souvent que je suis une femme de la rue parce que je reste peu à la maison. J’aime beaucoup interagir avec les gens. Je veux partager tout ce que je réussis à faire. »

Par la suite, elle a décidé de travailler avec la poésie et a mis sur la porte de sa maison une pancarte avec les mots suivants : « On a besoin de poètes ». A la suite de ça, 28 écrivains se sont présentés. C’est par le biais des mots qu’ils ont écrits qu’ont surgi les idées qui, ensuite, se sont concrétisées en actions.

En 1990 naissait le Centre d’Art et de Promotion Sociale, le CAPSArtes, situé près de la station Primavera-Interlagos (Ligne 9–Esmeralda). Il s’occupe de promouvoir des activités culturelles dans le quartier depuis plus de trois décennies.

Une écriture puissante en résistance

La première œuvre de l’écrivaine Maria Vilani fut le feuilleton « Cinq Contes Sans Remise et, de Surcroît, Deux Poèmes [1] », lancé en 1991 alors que Maria terminait l’enseignement secondaire. Comme il lui était difficile de se lancer sur le marché éditorial en tant qu’écrivaine indépendante et vivant en périphérie, son livre fut publié sous le pseudonyme de Vitória Régia. Elle a choisi ce nom en hommage à la plante originaire de la région amazonienne.

« Je trouvais que la Vitória Régia était très résistante et je me suis toujours vue comme une femme tenace et courageuse. Mais cela m’a demandé beaucoup de patience et de persévérance », explique-t-elle.

Plus tard, d’autres titres ont été publiés : « Corde à linge » (2012), « Peigner la vie » (2016) et « Abcès » (2019). En 2016, elle a également coordonné le lancement de deux livres, fruit du travail d’artistes du CAPSArtes : « Philosophie écrite à l’Extrême – Connexion, Lexique et Réflexion » et « Ecrits à l’Extrême – Plis Textuels Indélébiles ».

En mai 2022, son premier roman intitulé « Mémoires de Maria et un Petit peu plus de Moi » (Editions Selo Capsianos) a été publié.

Son premier roman a été publié en 2022, sous l’égide indépendant de Grajaú @Isabela Alves/Agência Mural

Cette œuvre est un mélange de réalité et de fiction, « dont l’intention est de dénoncer les maux engendrés par des comportements et des concepts présents dans notre société et de montrer le combat sans trêve des citoyens pour que la raison l’emporte ». Dans l’avenir, l’écrivaine a prévu de lancer deux autres romans pour compléter une trilogie.

Les défis de l’art

Malgré sa force de volonté, Maria estime que le plus grand défi auquel elle a été confrontée dans l’activisme culturel a été le manque de moyens. Jusqu’à aujourd’hui, l’organisation sociale à but non lucratif se maintient grâce à des appels d’offres et des collaborations avec le SECS (Service Social du Commerce).

« Il faut faire ce en quoi on croit. On ne peut pas être dans l’immédiateté, il faut être patient. Quand on plante une graine, elle ne pousse pas le jour suivant ».

A 72 ans, avec une trajectoire remplie de luttes et de joies, l’activiste est satisfaite de ses différentes conquêtes, notamment celle d’avoir été élue membre permanent de l’Académie des Lettres des Professeurs de la Ville de São Paulo en 2016.

Quant au fait de vieillir, elle le considère comme faisant partie de la vie et le transforme en poésie. « C’est une graine qui germe dès la naissance et maintenant, elle possède tout le potentiel de la sagesse ».

« Vieillir est un processus qui nous concerne tous. Je suis consciente que mon corps est mon unique maison, un prêt que la planète m’a accordé et que je devrai restituer au moment de rejoindre ma dernière demeure. En avoir conscience enlève toutes les peurs. Heureux celui qui prend de l’âge », conclut-elle.

Voir en ligne : Maria Vilani : a mãe e escritora que revolucionou a arte no Grajaú

Isabela Alves est diplômée en journalisme de l’Université Anhembi Morumbi (UAM) et étudiante de troisième cycle en Médias, Information et Culture au Celacc/USP. Distinction dans le cadre du 1er prix de journalisme Neusa Maria. Correspondante à Grajaú depuis 2021.

[1“Cinco Contos Sem Desconto e de Quebra Dois Poemas”

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