Lutter, pour ne pas oublier la dictature (2)

 | Par Ana Dias

BF - Après l’assassinat de Santo Dias vous avez dû vous occuper de vos enfants tout en continuant la lutte politique.

Ana - Lorsque Santo a été assassiné, les policiers ont essayé de faire disparaître son corps. Ils n’y sont pas parvenus. C’est pour cette raison qu’ils ont essayé de m’intimider et ils m’ont traitée comme si je n’étais qu’une moins que rien. Ils sont allés chez mes parents et ont dit à mon père que si je continuais la lutte, les prochains à être assassinés seraient mes 2 enfants et moi-même. Ils lui ont dit que j’étais manipulée par des groupes de gauche dangereux. Le résultat obtenu fut le contraire : j’étais plus que jamais convaincue que c’était le moment d’agir contre tout cela. Le refus de me taire m’a permis de leur faire comprendre que la lutte continuait, malgré la perte de Santo.

BF - Vous avez reçu de nombreuses propositions pour occuper des postes publics. Pourquoi n’avez-vous jamais accepté ?

Ana - Je pense que la politique se fait à la maison. Parfois, dans le système partitaire, il est difficile de faire un travail de grande ampleur. Dans mon quartier, je peux travailler avec des femmes, des adolescents, avec l’église ainsi qu’avec les sans-terre. Je dispose de davantage de liberté dans la lutte. Avant, nous luttions tous contre la dictature. A la fin de la dictature, tout le monde s’est dispersé. Avant, lorsque nous avions des discours plus ou moins similaires, nous luttions ensemble. Aujourd’hui, ce n’est plus possible car on voit apparaître des groupes et des sous-groupes. La manifestation qui a été organisée juste après l’assassinat de Santo est l’une des dernières à avoir réuni des dizaines de milliers de personnes issues de mouvements différents.

BF - Des enquêtes réalisées par la presse révèlent qu’aujourd’hui la majorité des Brésiliens ont préféré la dictature à la période démocratique. Ce résultat vous surprend-il ?

Ana - Pendant la dictature, seuls quelques groupes luttaient et non pas toute la population. Pour beaucoup de gens, la dictature est associée à une période pendant laquelle ils avaient un emploi. Des réponses de ce type soulignent le désespoir de la population : n’importe quelle situation serait préférable à la situation actuelle. Les persécutions, la torture et la violence ont été effacées de la mémoire et de l’histoire de nombreux Brésiliens. Mais si vous montrez à ces personnes ce qu’a été réellement la dictature, personne ne vous dira que c’était mieux que la démocratie. Ce résultat n’est même pas dû à un oubli de leur part car ces personnes n’ont pas vécu la dictature comme nous.

BF - Presque 20 ans se sont passés depuis la fin de la dictature, mais jusqu’à présent aucune tentative effective d’étudier et de comprendre ce qui s’est réellement passé durant la période militaire n’a été constatée. Pourquoi ?

Ana - Les personnes qui pourraient dévoiler la période de la dictature à la société sont peu nombreuses. La plupart de ceux qui auraient pu faire ce travail, voire même changer la société, se sont tournés vers la politique. Beaucoup d’entre eux se sont tellement pris au jeu qu’ils ont fini par perdre leur potentiel à changer les choses. Une fois que vous arrivez au pouvoir, vous ne pouvez plus faire ce que vous trouvez juste, vous devez agir en tenant compte de l’intérêt des autres.

BF - Des manifestations sont organisées tous les ans, au mois d’octobre, en souvenir de l’assassinat de Santo Dias. Pourquoi le fait de célébrer sa mémoire est-il si important ?

Ana - Nous, Brésiliens, nous n’avons pas d’histoire. Dans les livres et dans les discours officiels, les hommages sont toujours adressés aux oppresseurs du peuple. En revanche, si nous ne luttons pas pour un ouvrier qui est mort dans le cadre de la lutte des classes, sa mémoire finira par disparaître. De nombreux défenseurs du peuple, aussi importants que Santo, tombent dans l’oubli. Les personnes qui maintiennent la mémoire de Santo et de tant d’autres sont les mêmes qui se battent pour que des enquêtes soient menées sur les morts et les disparus de la dictature. Il serait fondamental pour le Brésil que soit écrite l’histoire de ses grands héros.

BF - Qu’est-ce que les travailleurs brésiliens doivent retenir de Santo aujourd’hui ?

Ana - Santo croyait dans la lutte pour un objectif et avait la certitude que le destin ne dépendait pas uniquement de Dieu, mais de la façon dont les hommes menaient leur lutte sociale. Où que vous soyez, que ce soit à l’usine ou dans un quartier, il est toujours possible de marquer une différence et d’aider le Brésil à devenir plus démocratique et participatif.


Entretien mené par Fernanda Campagnucci et João Alexandre Peschanski

Ana Dias est militante au sein d’associations d’habitants et de communautés de base des quartiers de la zone sud de São Paulo. Elle organise depuis 25 ans des manifestations pour protester contre la mort de son mari, Santo Dias.


Source : Brasil de Fato n° 87 du 28/10 au 03/11 2004

Traduit par Jean Jacques Roubion pour Autres Brésils


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