Les familles du Prestes Maia attendent la reconversion du bâtiment désapproprié

 | Par Tatiana Merlino

Source : Carta Capital - 15/12/2016
Traduction pour Autres Brésils : Mathilde Moaty
(Relecture : Marion Daugeard)

Sandra Regina de Oliveira, qui vit au Prestes Maia depuis 2012. Photos : Tatiana Merlino

Chaque mois était identique. A peine reçu, le salaire disparaissait dans le règlement du loyer, de l’eau, de l’électricité et des transports. Sandra Regina de Oliveira, 54 ans, rencontrait de telles difficultés pour payer ses factures, qu’elle a été amenée à habiter avec l’un de ses fils et l’épouse de ce dernier. Après un désaccord avec les deux, elle s’est retrouvée dans la rue. Elle qui pensait que les sans-abris étaient « tous des bons-à-rien », est allée frapper à la porte d’une amie qui habitait dans une occupation [1] . C’était fin 2012.

Aujourd’hui, après trois ans passés à habiter dans l’occupation de l’immeuble Prestes Maia, dans le centre de São Paulo, Sandra se définit comme une femme qui « est en lutte ». « J’ai beaucoup appris ici. Je participe de toutes les activités autour de la lutte : organisation, réintégration, manifestation, aller dormir à la Mairie », raconte cette femme noire au large sourire. Assise sur le lit de sa maison, elle joue avec sa nièce de 3 ans, dont elle s’occupe quotidiennement pendant que sa sœur travaille. Sandra prend également soin d’autres enfants, comme les filles des habitantes de l’occupation, un travail qui lui permet d’avoir de quoi vivre chaque mois.

Son sommeil était souvent perturbé par peur des innombrables menaces de récupération de l’occupation Prestes Maia. Mais, depuis l’annonce faisant valoir que la mairie avait désapproprié l’immeuble et le destinait à loger les familles qui l’occupent depuis 2010, ses nuits se sont apaisées. « Je passais des nuits sans dormir, à imaginer ce qui se passerait si l’immeuble était récupéré. J’ai déjà souffert quelques expériences de ce type, ils ne respectent rien, c’est très violent. Mais maintenant, l’immeuble a été racheté par la mairie. Je suis très heureuse. C’est le résultat de notre lutte. »

Logement social ? L’achat du bien immobilier, pour une valeur de 22 millions de reais, a été annoncé le 17 octobre de cette année par le maire Fernando Haddad. Le précédent propriétaire, Jorge Nacle Hamuche, ne payait pas les taxes foncières (IPTU) depuis 1986. « Nous avons convenu d’un accord avec les anciens propriétaires, et maintenant nous allons faire un accord avec les occupants, pour qu’il puisse servir pour « Minha Casa, Minha Vida »  [2], a déclaré Haddad lors de cette occasion.

Contacté pour ce reportage, le service de presse du Secrétariat Municipal au Logement a cependant déclaré que « les modalités du projet qui sera exécuté dans l’immeuble sont encore en cours d’étude », insistant sur le fait qu’il n’y avait encore « rien de défini » sur la prise en charge de toutes les familles, ni sur le choix du programme Minha Casa, Minha Vida. En d’autres termes, la permanence des habitants dans le bâtiment dépend du projet que la mairie mettra en œuvre.

Pour Ivaneti Araújo, une des leaders du mouvement qui coordonne l’occupation, la désappropriation est chargée de sens : « Cela représente un grand pas en avant. Cela montre à chaque famille de l’occupation que lorsqu’on lutte, il est possible d’obtenir gain de cause ».

Cependant, elle affirme qu’elle ne se reposera que lorsqu’il y aura la garantie de la prise en charge des 478 familles. « Nous avons encore une longue lutte devant nous. Nous ne nous arrêterons que lorsque chacun de ceux qui habitent ici aura sa maison, soit dans l’immeuble soit dans les alentours. Nous voulons que tous soient pris en compte, que ce soit avec ou sans revenus. Sinon, nous ne quitterons pas le bâtiment », affirme-t-elle.

Une étude de viabilité réalisée par l’architecte et urbaniste Waldir Cesar Ribeiro, de l’agence Urbania, qui offre une assistance technique aux mouvements de droit au logement, affirme que convertir l’immeuble en logements est viable. D’après cette étude, il est possible de construire près de 300 logements, de trois types qui se déclinent, avec une à deux chambres, de 30 et 50 mètres carrés. « Il s’agit ici d’une grande opportunité de rendre à cette propriété sa fonction sociale. Le Prestes Maia est le plus grand symbole de la lutte pour le droit au logement », affirme l’architecte.

Maria Sulânia de Araújo Fernandes, 34 ans, une autre habitante du Prestes Maia, craint de recevoir un jour une notification de son expulsion. Elle y vit depuis 2013, avec son mari, ses deux fils de 13 et 14 ans, et un bébé de un an, sa petite-nièce. « Ici, j’ai appris à être plus humaine, je suis fière de dire que j’habite dans une occupation », affirme-t-elle. Maria José Santos Silva et ses deux filles de 11 et 15 ans sont voisines mitoyennes de Sulânia. Devant la difficulté de payer le loyer de la pension où elle habitait, dans le quartier de Campos Elíseos, elle a participé à l’occupation du bâtiment le 3 octobre 2010.

De sans terre à sans abris. Fille de Bahianais, Neti est née à Guariba, dans la campagne de São Paulo. Fermière sans terre, elle a travaillé dans la cueillette de coton et d’arachides. En 1997, elle a déménagé à São Paulo avec son mari et sa petite fille, où elle a fini par habiter dans la rue. L’année suivante, elle a participé à sa première occupation. « C’était par nécessité », raconte-t-elle. « C’est là que je suis rentrée dans le mouvement et que j’ai adhéré à la lutte. » Elle ne s’est jamais arrêtée depuis. Neti est devenu leader du Mouvement des Sans Toit du Centro (MSTC [3]), qui a conduit la première occupation du Prestes Maia. En 2014, les leaders du MSTC se sont désolidarisés du mouvement, et ont créé un nouveau mouvement, le Mouvement pour l’Habitation dans la Lutte pour la Justice (MMLJ [4]). « Mais nous sommes toujours unis dans la lutte pour le droit au logement. »

Le bâtiment de 30 étages (21 pour le Bloc A et 9 pour le Bloc B ) est localisé au numéro 911 de l’avenue Prestes Maia. Il a été construit dans les années 60 et est abandonné depuis près de 3 décennies. Il a été occupé la première fois le 3 novembre 2002, date à laquelle 495 familles prirent place dans l’immeuble, après le second tour des présidentielles. En 2007, elles ont été expulsées. Certains habitants ont été relogés dans des unités d’habitation dans la Zone Est de la capitale paulista, d’autres ont reçu une carte de crédit, « mais le bâtiment est resté abandonné, loin de remplir sa fonction sociale », explique Neti.

En 2008 et 2009, il y a eu d’autres tentatives d’occupation. En 2010, le bâtiment était de nouveau occupé. Aujourd’hui, il abrite près de deux mille personnes. L’occupation a déjà reçu 26 menaces de reprise de propriété. La dernière d’entre-elles date de début octobre, et a été suspendue après que la Justice intègre que les négociations pour la désappropriation du bâtiment étaient déjà bien avancées.

Chaque étage du bâtiment a une salle de bain et une laverie commune, en plus de 11 à 13 « espaces », nom donné aux logements des familles. Il y a aussi des coordinateurs pour chaque étage, quatre portiers, des caméras de surveillance et un groupe de ménage chaque dimanche.

Tous les habitants du Prestes Maia sont enregistrés par la coordination du mouvement, qui a un règlement intérieur. Il est interdit de consommer des drogues. L’alcool est seulement autorisé à l’intérieur des logements. « Quiconque enfreint le règlement est passible d’expulsion », explique José de Anchieta Rocha Júnior, coordonnateur administratif de l’occupation, sur le caractère collectif de l’organisation du bâtiment. « Nous intervenons aussi en cas de violence domestique ».

Notes de la traduction

[1Nous conserverons ici le terme d’ « occupation », traduction littérale d’ « ocupação », afin de rendre compte d’un phénomène d’une ampleur différente à celui que l’on connait en France, lié au déficit de plusieurs millions de logements. Ce terme n’a pas la même connotation que « squat », qui peut parfois être utilisé de manière péjorative. Les occupations sont particulièrement répandues notamment dans le Centre de São Paulo, où de nombreux bâtiments de bureaux sont laissés vacants. Ces occupations sont en général organisées par des associations politisées, et disposent d’un règlement interne stricte, ainsi que d’un contrôle des entrées et sorties. Les occupants sont en grande majorité des familles sans autre option de logement.

[2« Minha Casa Minha Vida » : Littéralement, « Ma Maison, Ma Vie », programme lancé sous le gouvernement de Lula (en 2009) et toujours actif, dans l’objectif de contrer le déficit de logements au Brésil.

[3Movimento dos Sem Teto do Centro.

[4Movimento de Moradia na Luta por Justiça.

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