« Les consciences se mettent au vert » (1)

 | Par Martine Droulers

<img397|left> A l’occasion de l’exposition « Amazonia Brasil » au Palais de la Découverte, entretien avec la géographe Martine Droulers. Directrice de recherche au Cnrs, elle anime le groupe « Brésil » au sein du Centre de recherches et de documentation sur l’Amérique latine.

Quel état des lieux peut-on dresser de la situation écologique au Brésil ?

Le Brésil compte six grands écosystèmes. Les Français connaissent surtout l’Amazonie, mais il ne faut pas oublier les autres : la Mata atlântica, autrement dit la forêt atlantique qui s’étend (ou s’étendait) le long du littoral oriental, du Nordeste à l’État de São Paulo ; le Cerrado, dessinant un arc de cercle de part de d’autre de Brasilia, du Piauí au Mato Grosso du sud. A l’ouest, le Pantanal, et dans la région Sud, la forêt d’araucarias (Paraná) et le Campo.

L’évolution qu’a connue la Mata atlântica est très représentative des mutations de l’environnement au Brésil. Premier grand espace forestier découvert par les Portugais, elle est située dans une zone occupée depuis cinq siècles, en proie à une urbanisation incessante et croissante dont São Paulo est l’exemple le plus frappant.

La Mata atlântica était un écosystème immensément riche, peut-être plus que l’Amazonie. São Paulo, région très arborée, abritait autrefois une grande diversité d’espèces végétales. Il faut aujourd’hui faire cent kilomètres pour trouver un peu de verdure quand on habite la mégalopole. On ne trouve plus de caféiers à moins de trois cents kilomètres alors qu’ils abondaient il y a cinquante ans aux portes de la ville. Conséquence de l’urbanisation, la destruction environnementale y a été massive, plus encore qu’en Amazonie, qui a pour elle d’être moins densément peuplée.

Or c’est paradoxalement dans ces régions dévastées que la politique environnementale est sans doute la plus dynamique. L’Etat pauliste, celui-là même où le milieu naturel a été le plus dégradé, a dressé une carte des zones préservées, signe d’un ressaisissement. Grâce aux moyens dont il dispose et à une réaction volontariste de régénération de l’espace naturel, il a pu revenir de 7 à 13 % de territoire « préservé ». Des programmes de réimplantation d’espèces originelles ont par exemple réintroduit le célèbre pau brasil. Plutôt que de viser la quantité d’espace vert reconquis, ce qu’on obtient souvent avec de l’eucalyptus dont la présence excessive appauvrit les sols, on cherche aujourd’hui à reconstituer une partie de la diversité initiale, favorisée par la grande humidité de la région et offrant de plus grandes chances d’un retour à l’équilibre écologique. Ces expériences valent bien sûr par leurs effets directs sur l’environnement mais aussi comme leçons pour anticiper les évolutions en Amazonie et ailleurs.

Quant aux écosystèmes qui vont du Cerrado à la forêt amazonienne, le point névralgique se situe au niveau des forêts
« de transition »
, sur les fronts et arrière-fronts pionniers. Ce sont eux qui souffrent le plus de la déforestation. L’ouest du Maranhão, par exemple, amazonien dans les années soixante-dix, est aujourd’hui défriché à plus de 70 %. Le développement agricole et industriel, l’implantation de barrages, n’ont pas épargné les zones fluviales. Devant les dégâts aujourd’hui mesurés par les chercheurs en écologie, la récupération des aires dégradées est encouragée pour inverser les conduites purement prédatrices et faire qu’on exploite les ressources tout en préservant l’avenir de tous.
Au total, en termes de destruction, le bilan est évidemment très lourd, mais en tant que membre de la communauté scientifique, je préfère penser aux solutions. De nombreux chantiers sont en cours.

Peut-on parler d’une prise de conscience ?

C’est évident, on assiste à des mutations et à la disparition du « géophagisme » (littéralement « manger la terre »). Particulièrement développé au Brésil en raison de l’immensité du territoire, ce comportement cultivait les sols jusqu’à épuisement avant de repartir à la conquête de nouvelles terres vierges. Ainsi la culture du café, qui a commencé autour de São Paulo, s’est ensuite déplacée vers le Paraná, puis dans le Minas Gerais, et enfin le Cerrado. La prise de conscience écologique actuelle vient d’abord du milieu urbain, suffoqué par l’évidence de la pollution. Mais elle existe également à l’échelle rurale, où la pollution prend des formes différentes, pas encore toutes répertoriées. Dans ce domaine, on pense aussitôt à l’effet des engrais chimiques modifiant la structure des sols. Mais l’exploitation de mines a aussi des incidences locales non négligeables. Face à une réaction à la fois civile, politique et internationale, je suis convaincue que ce modèle géophagique destructeur est en voie de disparition, il ne pénètrera pas le cœur de la forêt. Il faut travailler sur les traductions pratiques de la mobilisation écologique, encore largement insuffisantes.

Le développement est-il fatalement antinomique de la sauvegarde de l’environnement brésilien ?

Il est vrai que se multiplient les conflit socio-environnementaux et que l’expansion urbaine apparaît comme contradictoire avec la préservation de l’environnement. Néanmoins, il faut nuancer. En termes de développement économique et social, la création du District industriel de Manaus est un succès : il impulse la croissance et permet la création de nombreux emplois. En revanche, l’implantation du nouveau quartier de Cidade Novo, dix mille habitations surgies du jour au lendemain en périphérie de la capitale amazonienne, aux portes de la grande réserve Adolfo Ducke, menace cette aire préservée de dix mille hectares, créée dans les années quarante. La réserve sera nécessairement affectée par la présence mitoyenne de cette nouvelle masse humaine.

Ces contradictions ne sont pas insolubles, si elles sont prises en compte assez tôt et qu’une volonté politique a le souci de les résoudre. Le développement de l’habitation peut se faire dans le respect du milieu forestier. A Manaus toujours, pour rester sur cet exemple, de grands architectes utilisent avec discernement les arbres amazoniens pour construire des logements intégrés à l’environnement.

Le développement économique, c’est aussi d’importants besoins d’énergie. C’est ainsi qu’avaient été prévus dans les années soixante-dix, pour ce qui concerne le bassin amazonien, soixante-huit barrages hydroélectriques. Or la réalisation des premiers volets de ce programme a eu des effets dévastateurs, pour un rendement sans mesure avec l’étendue des dégâts. L’exemple effarant de Balbina, le tollé de la société civile, les simples calculs d’efficacité ont stoppé ce programme aberrant. Plus récemment, la grande panne d’électricité dans le sud du pays et les craintes de pénurie ont relancé l’idée d’un grand barrage, sur le site de Belo Monte (rio Xingu). Mais cette fois, la société civile est associée à toutes les phases du projet, elle est à même de l’infléchir significativement, puisqu’elle a déjà obtenu qu’on limite à quatre cents kilomètres carrés la superficie touchée, au lieu des mille initialement envisagés et le débat se poursuit...

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