Belo Monte : Lula au pied du mur (1/6) Lula III va-t-il renouveler la licence de Belo Monte ?

 | Par Sumaúma

Le 22 juin 2010, le président Lula, alors dans son second mandat, s’est rendu à Altamira, dans l’État du Pará, et a prononcé un discours controversé dont la région se souvient encore. Lula a défendu la construction de l’Usine hydroélectrique de Belo Monte, qui inonderait une partie de la ville, noierait des îles, affecterait les peuples autochtones, assécherait la Volta Grande de la Xingu et expulserait quelque 55 000 personnes de leurs maisons, certaines d’entre elles appartenant à des communautés traditionnelles de la forêt. Aujourd’hui, près de 13 ans après le discours du 22 juin 2010, alors que Lula est au début de son troisième mandat, les faits et les preuves abondent pour affirmer que Belo Monte est un « crime de folie ».

Par Helena Palmquist _ Aussi disponible en anglais ici
Traduction pour Autres Brésils : Du DUFFLES
Relecture : Philippe ALDON

Autres Brésils propose une traduction par semaine, choisie par l’équipe éditoriale de Sumaúma. Pour mieux connaître Sumaúma voir en fin d’article

Le permis préliminaire pour les travaux avait été délivré quelques mois plus tôt, en février de cette année-là, après d’intenses conflits avec des environnementalistes, des mouvements sociaux de la région et des leaders autochtones. « Je sais que beaucoup de gens bien intentionnés ne veulent pas que se répètent les erreurs commises dans ce pays lors de la construction d’usines hydroélectriques », a déclaré Lula. « Plus jamais nous ne voudrons d’une hydroélectrique qui commette le crime de folie qu’a été Balbina, dans l’État d’Amazonas. Nous ne voulons pas répéter Tucuruí. Nous voulons faire quelque chose de nouveau. »

Des données inédites obtenues par SUMAÚMA montrent qu’en 2019 et 2020, sur quatre des Terres indigènes (TI) touchées par l’usine, la déforestation a été plus importante que dans l’ensemble des 311 autres territoires de l’Amazonie. Une génération d’enfants de la forêt, qui ont vu leurs îles ou leurs maisons sur les rives de la Xingu brûler et noyer, sont désormais des adolescents vivant à la périphérie d’Altamira, devenue l’une des villes les plus violentes du Brésil, dominée par le crime organisé et les conflits sanglants entre factions. Dans l’attente d’un nouvel assentamento [1] pour reconstruire leur mode de vie, leurs familles aspirent à un territoire riverain qui est aujourd’hui la cible des attaques de politiciens associés à la destruction de la forêt, d’accapareurs de terres et d’éleveurs locaux. Certains d’entre eux sont confinés dans ce que l’on appelle les RUC (Reassentamentos [2] urbains collectifs), dans une routine de pénuries d’eau et de factures d’énergie qu’ils ne peuvent pas payer. En ce moment, la Volta Grande de la Xingu, qui s’étend sur 130 kilomètres dans l’une des régions les plus riches en biodiversité de l’Amazonie et qui abrite trois peuples autochtones, des communautés riveraines et paysannes, est en train de s’assécher, constituant une catastrophe humanitaire et environnementale.

Plus de sept ans après le début des opérations, seules 13 des 47 conditionnalités ont été entièrement remplies, selon un rapport technique de l’IBAMA (Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables) analysé par l’ISA (Institut socio-environnemental). Les conditionnalités, comme leur nom l’indique, doivent conditionner les autorisations de construction et d’exploitation de la centrale. Leur non-respect indique une violation explicite de la législation.

Au moins 29 actions du Ministère public fédéral ont mis en évidence des illégalités dans le processus de construction et d’exploitation de l’usine hydroélectrique. En 2022, le Tribunal suprême fédéral (STF) a reconnu que le gouvernement fédéral n’avait pas respecté les droits des autochtones en ne procédant pas aux consultations préalables, libres et informées, prévues par la convention 169 de l’Organisation internationale du travail. Belo Monte est devenu un nom internationalement maudit.

Les barrages de Balbina et de Tucuruí, évoqués par Lula, ont été construits en Amazonie par la dictature militaro-affairiste (1964-1985) et sont devenus des exemples historiquement représentatifs de la destruction de l’environnement et de vies, humaines et non humaines. Belo Monte a été construit par le gouvernement le plus à gauche de l’histoire de la démocratie brésilienne, élu avec le soutien des mouvements populaires de base de la région d’Altamira. Le barrage hydroélectrique sur la Xingu a fini par répéter les violences et les dégâts causés par la centrale de Tucuruí et s’est également, comme Balbina, avéré déficient, puisque, comme les scientifiques avaient alerté à plusieurs reprises, la quantité d’eau de la rivière Xingu diminue pendant les mois de sécheresse.

Le spectre de la Lava-Jato

L’impact des allégations de corruption impliquant les gouvernements du PT a été en partie atténué par les abus et les illégalités de l’opération Lava Jato et par le retour de Lula par le haut, élu pour un troisième mandat avec le soutien d’un large front après avoir passé 580 jours en prison. L’impact de Belo Monte, non. Belo Monte reste incontournable. Le pari selon lequel Belo Monte pourrait passer pour un « fait accompli » et être oublié avec le temps ne s’est pas concrétisé. Au contraire. Les impacts sur la forêt et ses populations sont loin d’être terminés. Et, si Lula ne se l’est pas vu opposé plus durement durant la campagne électorale, c’est uniquement parce qu’il existait un consensus, de la gauche à la droite, sur la nécessité de vaincre le fascisme représenté par l’extrémiste de droite Jair Bolsonaro.

Aujourd’hui, Lula est confronté à un choix : il appartient à son gouvernement de renouveler la licence d’exploitation de l’usine hydroélectrique, échue depuis novembre 2021.

Lula 3 reproduit en partie la configuration de Lula 2. En 2008, Marina Silva, alors ministre de l’Environnement, quitte le gouvernement et, l’année suivante, le PT. Après son départ, Marina a défendu le report de la vente aux enchères de l’hydroélectrique et a remis en question la viabilité sociale, environnementale et économique du projet. « Belo Monte est à l’ordre du jour du pays depuis 20 ans, cela fait 20 ans que l’autochtone Tuíre a effleuré de sa machette le visage du directeur d’Eletrobras. Malheureusement, 20 ans se sont écoulés et la licence a été accordée sans que les problèmes de Belo Monte n’aient été résolus, en ce qui concerne les impacts sociaux, les impacts environnementaux et le processus qui affecte les terres des communautés autochtones. « Et Belo Monte, au-delà des problèmes sociaux et environnementaux, a révélé un autre problème, celui de la viabilité économique elle-même, parce qu’aujourd’hui c’est une entreprise pratiquement subventionnée », a-t-elle critiqué dans un entretien à l’émission Roda Viva, de TV Cultura, en juin 2010.

Aujourd’hui, Marina Silva est à nouveau ministre de l’Environnement du gouvernement Lula. Toutefois, les similitudes de contexte s’arrêtent là. Ce n’est pas par hasard que le nom du ministère a été changé pour devenir le ministère de l’Environnement et du Changement climatique. Si, au cours de son second mandat, Lula est devenu le président le plus populaire au monde grâce à ses programmes sociaux de réduction de la pauvreté, aujourd’hui, sur une planète où la crise climatique est devenue une préoccupation centrale, même dans des espaces conservateurs comme le Forum économique mondial, son gouvernement sera jugé sur ce qu’il adviendra de l’Amazonie. Le nom « Belo Monte » résonne sur la planète comme ce qu’il est réellement : un désastre environnemental et humain. Et aucune des diverses déclarations de défense de Belo Monte faites par Lula et les politiciens du PT ne pourra effacer ce qui ne serait pas seulement une pierre sur leur chemin [3], mais des tonnes d’acier et de béton sur l’un des fleuves les plus majestueux et au milieu de la plus grande biodiversité que renferme l’Amazonie.

L’IBAMA, Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables, organisme dépendant du ministère dirigé par Marina Silva, est responsable de la décision technique sur le renouvellement de la licence d’exploitation de l’hydroélectrique et sur les mesures à prendre en ce qui concerne les impacts causés par sa construction. La décision politique, en revanche, reviendra à Lula.

Lors de son troisième mandat en tant que président du Brésil, Lula a gravi la rampe du palais du Planalto aux côtés du chef Raoni Metuktire. Raoni est non seulement l’un des plus grands leaders autochtones de l’histoire du pays, mais aussi l’une des voix les plus importantes contre la construction du barrage de Belo Monte sur la rivière Xingu. La présence de Raoni parmi les représentants du peuple brésilien qui ont transmis l’écharpe à Lula le 1er janvier 2023 en a ému plus d’un et en a peut-être surpris certains. Après tout, à cause de Belo Monte, les deux grands leaders brésiliens ont été dans des camps opposés pendant de nombreuses années.

Raoni et Lula se sont rencontrés quelques jours avant la cérémonie d’investiture. À ce moment-là, le nom de Joenia Wapichana, soutenue par Raoni, a été annoncé pour la présidence de la FUNAI (aujourd’hui Fondation nationale des peuples autochtones). La question de Belo Monte a été très présente lors de la réunion. Raoni, une fois de plus, a alerté Lula de la destruction causée par le barrage sur la Xingu, l’un des principaux affluents du bassin amazonien, une rivière qui est au cœur de la vie du peuple Kayapó et de dizaines d’autres groupes autochtones qui vivent le long de ses rives, depuis ses sources, dans le Mato Grosso, jusqu’à son embouchure, dans la région de Porto de Moz, dans l’État du Pará.

Belo Monte était un projet de la dictature militaro-affairiste, baptisé à l’époque Kararaô, un cri de guerre du peuple Kayapó. En février 1989, une rencontre des peuples autochtones de la Xingu, à Altamira, a été marquée par une scène qui a fait le tour du monde : la leader autochtone Tuíre Kayapó a effleuré de sa machette le visage de José Antônio Muniz Lopes, directeur à l’époque d’Eletronorte et homme de paille de José Sarney, alors président de la République. Après l’épisode de Tuíre, Eletronorte a décidé d’abandonner le nom de Kararaô et le barrage hydroélectrique est devenu Belo Monte — le projet ne sera repris qu’à la fin des années 1990, sous le mandat de Fernando Henrique Cardoso. Cette fois-ci, c’est au Ministère public fédéral (MPF) qu’il revient d’enterrer légalement l’usine, en signalant plusieurs irrégularités dans les études d’impact et l’absence de consultation des populations autochtones.

Lorsque Lula a été élu pour son premier mandat, les mouvements sociaux et autochtones de la Xingu se sont réjouis, pensant que l’affaire était close. Mais dès 2005, le président a fait approuver en un temps record un décret législatif autorisant l’octroi de licences pour les travaux. Belo Monte a ensuite été autorisée et vendue aux enchères en 2010, au cours de son second mandat, après une bataille juridique au cours de laquelle le MPF, les autochtones, les riverains et les mouvements sociaux de la Xingu ont été vaincus. À l’époque, une grande partie de l’élite brésilienne et de la presse était favorable à la centrale, considérée comme un « chef-d’œuvre d’ingénierie ». À tel point qu’ils ont laissé passer une vente aux enchères organisée par Delfim Netto, ancien ministre de la dictature, dans laquelle il y a eu abondance d’événements étranges avant, pendant et après sa réalisation et dont le consortium d’entreprises appelé Norte Energia est sorti vainqueur.

L’une des premières images de la destruction produite par l’ouverture du canal du barrage hydroélectrique de Belo Monte. Ce document date de 2012.
Photo : Daniel Beltrá/Greenpeace

Décidé et mis aux enchères sous le gouvernement de Lula, le barrage hydroélectrique de Belo Monte a été construit sous le mandat de sa successeure, Dilma Rousseff, par un groupe d’entrepreneurs qui seront plus tard la cible de l’opération Lava Jato. En 2015, la licence d’exploitation a été signée et dès cette année-là, comme le montrera plus tard l’Atlas de la violence, Altamira est devenue la ville de plus de 100 000 habitants la plus violente du Brésil. Depuis lors, la municipalité présente certains des pires indices du pays. En 2019, elle a été le théâtre du deuxième plus grand massacre de l’histoire du système pénitentiaire brésilien, avec 62 morts. En 2020, juste avant que les premiers cas de covid-19 n’atteignent le Pará, Altamira a été marquée par une série de suicides parmi ceux qui étaient devenus des adolescents dans une ville brutalement transfigurée. Les experts en santé mentale ont établi un lien entre ces suicides et les conséquences de la construction du barrage hydroélectrique.

Paradoxalement, Belo Monte a réuni deux gouvernements idéologiquement opposés. En 2016, peu avant d’être chassée du pouvoir par une procédure de destitution, Dilma Rousseff a débarqué dans la région pour inaugurer la centrale hydroélectrique. En 2019, l’extrémiste de droite Jair Bolsonaro a fini d’inaugurer la centrale.

Le principal projet du gouvernement Bolsonaro était d’avancer sur les zones protégées de l’Amazonie. Les résultats sont devenus évidents avec le génocide du peuple Yanomami et des records d’incendie et de déforestation, avec plus de 2 milliards d’arbres morts. Mais avant Bolsonaro, Belo Monte avait déjà fait de la région de la Xingu la championne absolue de la déforestation en Amazonie : Altamira était en tête du classement pendant sept des dix années de la période 2012-2021. Avec Bolsonaro, la destruction s’est encore aggravée.

L’usine installée sur la rivière Xingu accumule un passif correspondant à son gigantisme en impacts non mesurés, en dommages imprévus, en conditionnalités non remplies : la dette envers les peuples de la région et la forêt elle-même ne fait que croître.

En traitant la rivière comme son réservoir d’eau privé, dans lequel elle peut puiser ou mettre de l’eau selon ses besoins, Belo Monte assèche les 130 kilomètres de la grande boucle de la Xingu, qui abrite des milliers d’espèces, dont certaines sont endémiques, ce qui signifie qu’elles n’existent que là et que, si elles sont exterminées, elles disparaîtront de la planète.

Infographie : Rodolfo Almeida/SUMAÚMA

Depuis que la licence de Belo Monte a expiré en novembre 2021, les techniciens de l’IBAMA étudient son renouvellement. Il n’y a pas de date limite pour les analyses. Selon la législation, l’usine peut continuer à fonctionner, car elle a demandé le renouvellement à l’avance. Mais au fil des mois, la facture environnementale et humaine s’alourdit. Et elle augmente pour le compte de Lula et du PT.

La décision sur le renouvellement de la licence d’exploitation peut être une occasion unique pour un gouvernement qui prend le pouvoir en s’engageant à respecter l’environnement et à lutter contre la pauvreté. C’est aussi l’occasion pour Lula de montrer au monde la dimension réelle de son engagement envers l’Amazonie, la crise climatique et l’environnement. Il s’agit avant tout d’un choix sur ce qui marquera son héritage sur une planète en proie à une catastrophe climatique.

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Voir en ligne : A hora é agora : Lula terá que decidir sobre Belo Monte

Des centaines d’arbres morts composent le paysage du cimetière de la nature dans le réservoir de Belo Monte.
Photo de janvier 2023 : Soll Sousa/ SUMAÚMA

[2Du mot « assentamento » : de nouvelles affectations d’un lieu d’habitation à des fins d’exploitation agricole ou d’élevage.

[3NdT : il s’agit d’une référence à la poésie No meio do Caminho (« Au milieu du chemin ») de Carlos Drummond de Andrade qui parle des obstacles (des pierres) que l’on rencontre dans la vie : « Au milieu du chemin il y avait une pierre // il y avait une pierre au milieu du chemin… »

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