Le coup d’État au cinéma

 | Par Carlos Alberto Mattos

Source : Carta Maior – 17/05/2018
Par : Carlos Alberto MATTOS
Traduction : Roger GUILLOUX
Relecture : Du ALDON

Le Procès arrive sur les écrans après avoir été primé et avoir fait l’objet d’avant-premières tumultueuses. Neuf autres documentaires ont déjà montré ou sont sur le point de révéler d’autres approches du coup d’État de 2016.

Le film-événement de Maria Augusta Ramos, fait face aujourd’hui à son défi le plus important, l’ample diffusion auprès d’un public diversifié, ayant des points de vue différents sur la destitution de Dilma Rousseff. Pour l’instant, le film a été vu par des publics très motivés lors de festivals ou d’avant-premières suivies de débats.

La majorité de ces séances spéciales se sont transformées en manifestations de condamnation du coup d’État et de la prison de Lula. A Brasília, par exemple, le hall d’entrée du Ciné Brasília bouillonnait de slogans, de banderoles et de mots d’ordre du public entonnant « Olê olê olê olá, Lula, Lula ! » en entrant dans la salle. La même ritournelle était entendue dans les allées d’un centre commercial de Londrina, Paraná, lorsque les spectateurs, au sortir de la salle, sont allés manifester. A Recife, le public qui avait rempli le cinéma São Luiz, ne s’est calmé afin que la séance puisse commencer qu’au moment où quelqu’un a crié « celui qui fait du bruit est un putschiste ! » Durant la présentation, les protestations ont repris à nouveau, cette fois-ci avec des insultes contre les protagonistes du coup d’État.

Il n’est pas commun de voir des personnes pleurer à la fin des séances, ou encore tellement sous le choc qu’elles étaient incapables d’exprimer leur indignation après ce qu’elles venaient de voir. La même chose s’est produite lors des présentations à l’étranger. « Les personnes sont stupéfaites » nous raconte Maria Augusta. « Beaucoup de gens pensaient que le procès s’était déroulé normalement. Dans la presse étrangère, à quelques exceptions près, le suivi de la destitution n’a été qu’une reprise des médias brésiliens. » La directrice voit également dans cette reconnaissance internationale, une démonstration que son film aborde un thème qui ne relève pas seulement de la politique brésilienne, mais de la crise de la démocratie dans le monde. « Nous abordons la post-vérité, l’intolérance, la radicalisation qui sont des sujets d’actualité mondiale ».

Le Procès est déjà le film brésilien le plus primé, cette année à l’étranger. Il est arrivé en tête dans deux des principaux festivals mondiaux du documentaire, le festival suisse, Visions du Réel et le Documenta Madrid. Au IndieLisboa [1], il a obtenu le prix du public et le prix Silvestre, dédié aux films au langage novateur. Tout cela après avoir été classé en troisième position des préférences du public dans la catégorie Panorama Docs du Festival de Berlin. Il a également été présenté au festival Hot Docs de Toronto.

Ces prix sont la preuve que Le Procès n’est pas seulement bon pour avoir raconté la vérité de cette histoire mais parce qu’il a la qualité attendue des grands documentaires. (Voir minha resenha).

Les films qui ont commencé à être diffusés

Le film de Maria Augusta Ramos n’a pas été le premier ni ne sera le dernier à montrer sur les écrans l’événement politique le plus honteux de notre histoire récente. Il y a quelque temps, en mars 2017, on a pu voir Filme Manifesto – O golpe de Estado [2] , de Paula Fabiana (São Paulo). L’intention de la réalisatrice a été d’organiser une mémoire des faits et des réactions des militants lors de la période comprise entre les manifestations de 2013 [3] et la destitution de Dilma Rousseff, suivie des premiers tollés « Fora Temer » [4] . Des enregistrements de la TV du Congrès s’entrecroisent avec des scènes enregistrées dans les rues, lors d’actes publics, de manifestations et d’occupations. Le point de vue du participant prévaut, la caméra « se débrouillant » pour obtenir un bon angle de vue.

La chaine de télévision Arte a produit et diffusé Brésil : Le grand bond en arrière, réalisé par Frédérique Zingaro et Mathilde Bonnassieux, film présenté Gregório Duvivier. Celui-ci a réalisé des entretiens (dont un avec Dilma Rousseff), avec des membres de mouvement d’occupation du MST [5] et des bénéficiaires de programmes sociaux, pour montrer, avec un certain humour critique, un pays en pleine récession. (On peut voir le filme Completo, dans sa version allemande avec des sous-titres en portugais).

Les manifestants du campement Vigília Lula Livre [6] , à Curitiba ont assisté récemment à la première de Tchau Querida [7] , documentaire produit par les Jornalistas Livres [8] . En dépit du positionnement sans équivoque de ces journalistes contre la destitution, c’est l’un des films qui se propose de montrer les deux côtés de la polarisation. Réalisé par Gustavo Aranda et le journaliste Vinícius Segalla, les événements sont commentés par ceux qui qui se trouvaient à l’extérieur du Congrès, supporters et contestataires de ce qui se produisait à l’intérieur. « Le spectateur va tirer ses propres conclusions sur ce procès. Nous n’avons pas cherché à savoir qui avait raison. Le film veut être la photo d’un moment, un instantané d’un pays qui se divise en deux camps antagonistes » affirme Aranda. Voir le trailer.

La radicalisation est également l’idée force du film O Muro, de Lula Buarque de Holanda, présenté au dernier Festival de Rio et à la Mostra de São Paulo et dont l’avant-première sur Canal Curta, est prévue pour le 29 juin à 22h30. Voici ce que dit le synopsis : « Lors des manifestations de 2015, en faveur ou contre la Présidente Dilma Rousseff, le réalisateur Lula Buarque et la scénariste Isabel de Luca ont voulu mettre en valeur la voix des gens et leurs opinions sur la politique nationale. Pour eux, tout passe par le dialogue, puisque, en son absence, ce sont des murs que nous construisons » Pour donner plus d’emphase à son thème, le film montre également l’ancien mur de Berlin et les groupes de familles séparées par les murs de Cisjordanie.

Le film Esquerda em Transe [9] , qui, pour l’instant, n’a été présenté qu’au Festival de la Havane, en décembre dernier, a l’ADN de son réalisateur, Renato Tapajós, un documentariste vétéran des luttes syndicales et des mouvements sociaux (Linha de Montagem, Chão de Fábrica [10] ). Son nouveau film raconte la destitution à partir de la vision du peuple. Le vote à la Chambre des députés, par exemple, est raconté au travers des expressions et des gestes de la foule qui s’est réunie à Brasília, lors de la transmission simultanée sur grand écran.

Scène d’Esquerda em Transe, de Renato Tapajós.

« Bien que le fil conducteur soit le procès qui conduit à la destitution, vu par les mouvements populaires, il existe une deuxième ligne narrative qui discute le rôle de la gauche dans tout cela, mettant notamment en évidence, ses erreurs. Participent à cette discussion, des personnes telles que Marilena Chauí  [11] , Guilherme Boulos [12] , Jesse de Sousa [13] , João Pedro Stédile [14] et quelques jeunes du mouvement Levante Popular da Juventude [15] » a précisé Tapajós au site Almanaque de la journaliste Maria do Rosário Caétano. Et il poursuit : « Il est donc important, pour nous, de dire que notre film prend position, il est frontalement opposé à la destitution de Dilma Rousseff et il n’est pas intéressé par les manœuvres de ceux qui disent qu’ils ont ‘respecté la Constitution’ ». Voir un teaser do documentário.

Les films qui n’ont pas encore été édités

Il y a encore quatre longs métrages totalement inédits qui visent à compléter la mosaïque audiovisuelle du coup d’État. Deux d’entre eux sont dirigés par des cinéastes connues, Anna Muylaert et Petra Costa.

Anna Muylaert (Que Horas Ela Volta ?, Mãe Só Há Uma) [16] , a dirigé Alvorada conjointement avec Lô Politi (réalisatrice ayant une grande expérience dans le domaine de la publicité et qui a travaillé avec João Santana, responsable de la campagne présidentielle de Dilma Rousseff). Elle a également travaillé avec César Charlone, uruguayen – brésilien, photographe du film Cidade de Deus [17] . Bien qu’il soit encore en phase de montage, Alvorada [18] aborde la période où Dilma Rousseff était écartée de la présidence, le moment du retrait temporaire précédant son départ définitif. Au cours de ces cent et quelques jours, l’équipe a accompagné la routine du Palais de l’Alvorada, elle s’est approchée de Dilma Rousseff et a raconté sa résistance et celle de ses alliés dans la lutte contre la destitution.

Quant à Petra Costa (Elena, Olmo et As Gaivotas), son documentaire couvre une période plus étendue. Depuis mars 2016, elle consigne les nombreux dédoublements du coup d’État et des attaques contre la démocratie brésilienne. Avec pour titre provisoire, Dois Pesos, Duas Medidas [19] , son film inclut des interviews de politiciens et d’avocats, des témoignages de ceux qui protestaient (des deux côtés) et un éclairage sur les « scénarios parallèles » qui culminent avec la crise actuelle. «  Mon objectif est d’essayer de comprendre comment nous sommes arrivés à la situation actuelle, si radicalisée, où le pays est mis sens dessus dessous. C’est comme si nous étions en train de découvrir que notre démocratie est faite d’une structure très frêle rongée par des rats », explique la directrice au journal El Pais.

La cinéaste Petra Costa

Ce repaire [de vauriens] qu’est la Chambre des Députés – et un peu le Sénat – a été passé au peigne fin par le documentariste Douglas Duarte (Personal Che, Sete Visitas) entre février et mai 2016 (donc avant la période couverte par les enregistrements du film Le Procès) dans le film ironiquement intitulé Excelentíssimos [20] . En dehors de deux interviews avec Carlos Marun [21] et Silvio Costa [22] tout le reste est une observation des rituels du Congrès, incluant le comportement d’Eduardo Cunha [23] durant les discussions sur la destitution.

Duarte a inséré un prologue rétrospectif remontant à la réélection de Dilma Rousseff, utilisant des documents peu connus, montrant que les mobilisations en faveur du coup d’État ont commencé quatre jours seulement après le deuxième tour des élections en 2014. « Il est clair que le coup d’État est parti du PSDB. Temer n’est qu’un excellent grand méchant » affirme le cinéaste. Excelentíssimos est en phase finale d’édition -réalisée par Lia Kulakauskas - et doit sortir sur les écrans avant les prochaines élections.

Ce panorama se complète avec le documentaire Já Vimos Esse Filme [24] de Boca Migotto (Rio Grande do Sul, auteur de Filme sobre um Bom Fim, Pra Ficar na História). A partir de témoignages de gens de la société civile de Brasília et de Porto Alegre, le film propose de discuter d’un large éventail de thèmes : le système électoral brésilien, la corruption, l’opération Lava-Jato [25] , les intérêts économiques et idéologiques, les préjugés et les rôles des grands médias, le pouvoir judiciaire, le Ministère public et les réseaux sociaux dans le contexte de la destitution. Réalisé par un collectif en faveur de la défense de la souveraineté populaire, Já Vimos Esse Filme propose de tisser des parallèles entre la situation politique actuelle, celle de 1954 avec Vargas et celle de 1964 avec Jango. Ce qui a motivé les producteurs à réaliser ce documentaire, c’est la volonté « d’enregistrer, pour les générations actuelles et futures, les ressemblances entre les coups d’État politiques qui se sont produits au Brésil et la fragilité de la formation démocratique de la société brésilienne. » Voir le trailer.

La convergence de toutes ces productions représente l’un des grands moments du cinéma comme témoin de l’Histoire brésilienne au moment même où celle-ci se déroule. Pour le moment présent, elles jouent le rôle de clarification, de catharsis. Pour l’avenir, ce seront des documents définissant la manière dont ce cadre historique sera rappelé avec ses héros et ses félons.

Voir en ligne : Carta Maior

[1Festival International de cinéma indépendant

[2Film manifeste – Le coup d’État

[3Les manifestations de 2013. Mouvements contre l’augmentation du prix des transports urbains qui ont ensuite été récupérés par la droite contre le gouvernement de Dilma Rousseff.

[4Fora Temer : Dehors Temer

[5MST : Mouvement des travailleurs sans terre.

[6Vigília Lula Livre. Suite à l’emprisonnement de Lula, un campement de protestation s’est installé près des bâtiments de la police fédérale où Lula est incarcéré. Ce mouvement a le soutien du PT, du MST, de la CUT (l’un des deux grands syndicats). Pour les organisateurs, cette occupation doit se maintenir jusqu’à la libération de Lula.

[7Au revoir, ma belle !

[8Jornalistas Livres. Réseau de journalistes, photographes et cinéastes, créé en mars 2018 pour faire face à l’escalade de haine et de discours anti-démocratiques. L’idée force de ce réseau est la collaboration.

[9Esquerda em Transe. La gauche en transe

[10Chaine de montage, Plancher de la Fabrique

[11Marilena Chauí : philosophe, très engagée dans les mouvements politiques de gauche.

[12Guillherme Boulos : leader du MTST (Mouvement des Travailleurs sans Toit) et candidat aux prochaines élections présidentielles

[13Jessé de Souza : économiste engagé à gauche

[14João Pedro Stédile : l’un des leaders les plus connus de MST

[15Levante Popular da Juventude : Mouvement de jeunes qui veut redynamiser la politique de gauche.

[16Deux films de fiction qui ont obtenu un large succès au Brésil.

[17Cidade de Deus. (La cité de Dieu). Ce film sorti en France en 2003, a obtenu de nombreuses récompenses en Europe et en Amérique latine.

[18Alvorada. Titre du film qui renvoie au nom du palais présidentiel.

[19Destitution, deux poids et deux mesures

[20Excelentíssimo(s). Terme de politesse utilisé par les députés et les sénateurs lors des débats.

[21Carlos Marun. Ministre du gouvernement Temer

[22Silvio Costa. Député fédéral, opposé au gouvernement Temer

[23Eduardo Cunha. Ancien président de la Chambre des Députés, principal responsable de la destitution de Dilma, en prison depuis octobre 2016.

[24Já Vimos Esse Filme. On a déjà vu ce film

[25Operação. Lava Jato Le plus grand scandale de corruption que le Brésil ait connu. Voir Questions et réponses. Opération Lava-jato sur Autres Brésils

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