Lavagem do Bonfim : une cérémonie de l’insoumission noire à Bahia

 | Par Alma Preta

Il existe différentes versions sur la façon et la date exactes où aurait débuté le lavage des escaliers et du perron de l’église Nosso Senhor do Bonfim, à Salvador, dans l’État de Bahia, mais on sait que cette tradition se maintient vivante depuis plus de deux siècles.

Nous publions cette traduction un mois avec la ’Lavagem da Madeleine’ événement brésilien phare en France et en Europe qui se déroule depuis 20 ans à Paris, au mois de septembre.

Ce texte a été originellement publié sur Alma Preta – 13 janvier 2022 par Juliana Correia
Traduction pour Autres Brésils : Pascale Vigier
Relecture : Marie-Hélène Bernadet

La fête en hommage à Nosso Senhor Bom Jesus do Bonfim [1]. est blanche, catholique, et toujours réalisée le second dimanche suivant le Jour des Rois. Pourtant, le lavage est noir et puise ses racines dans le candomblé, culture fondée au Brésil à partir de l’organisation politique d’africains ici, dans la diaspora.

Et ce qui me ravit le plus dans le lavage est son caractère d’insoumission. Bien que les grands médias et les réseaux présents dans le secteur touristique (hôtels, boutiques, lignes aériennes, restaurants) exploitent des images, des couleurs, des récits faisant croire à l’existence d’une démocratie à travers le syncrétisme religieux, la festoierie est née de l’affrontement au racisme. Selon ma lecture, il en résulte comme un grand symbole de la lutte noire pour la vie, à son degré maximal.

La mythologie

“Oxalá qui guide !”, comme l’a bien chanté Luedji Luna [2]. C’est pourquoi, avant de continuer, reportons notre attention sur la mythologie [3] suivant :

Une fois, Oxalá décida de rendre visite à Xangô [4]. Avant son voyage, son épouse [5] rêva de tâches sombres sur ses vêtements. Elle demanda à Oxalá qu’il ne parte pas. Il n’en tint pas compte, mais alla trouver Orunmilá, le souverain du destin, qui consulta l’oracle et lui déconseilla de sortir de chez lui. Or Oxalá tenait à ce long voyage. Néanmoins à contre-cœur, Orunmilá conseilla à Oxalá d’emporter trois ensembles de vêtements, du savon noir et du beurre de carité. En plus, il l’avisa qu’il ne pourrait ni refuser, ni demander quoique ce soit à quiconque en chemin. L’odu [6] exigeait un silence absolu durant le parcours. Oxalá se mit en route, dans ses vêtements blancs, empoignant son sceptre.

Bientôt, il aperçut Exu [7]au pied d’un arbre, qui lui demanda de l’aide pour verser une bassine de dendê (huile de palme) sur sa tête. Suivant son odu, Oxalá l’aide mais salit tout son vêtement. Il continue alors jusqu’à une rivière, se lave avec le savon noir, se passe le beurre de carité sur le corps, fait de son vêtement sali une offrande, donne son congé et se met en route. Plus loin, il rencontre Exu encore deux fois. Lors de l’une d’elles, il est chargé d’un seau d’adin [8] et, dans l’autre, de charbon. Les deux fois, il demande de l’aide et Oxalá ne peut refuser. Il se salit à nouveau et répète tout le rituel. Près d’Oyó [9], Oxalá voit le cheval qu’il avait donné à Xangó. Le cheval le reconnaît et trotte à son côté. Les gardiens du royaume cherchaient l’animal qui avait disparu. Quand ils le voient, ils crient et accusent Oxalá de vol. Lui ne pouvait rien dire, comme l’a recommandé son odu. Les gardes le prennent et l’emprisonnent. Oxalá reste prisonnier pendant sept ans.

Pendant cette période, le royaume de Oyó tombe en décadence. Le sacerdote lui révèle qu’un homme vêtu de blanc est emprisonné injustement. Une grande chasse commence dans toutes les prisons. Oxalá se trouvait dans un cachot, sale et abattu. Honteux, le roi s’incline devant le grand orixá. Ensuite, il donne l’ordre de laver tout le palais. C’est Xangó, le plus grand des Obá, qui emporte Oxalá jusqu’à un des appartements royaux. Il ordonne aussi que ses soldats tirent de l’eau pour le bain d’Oxalá, dans un silence absolu. Xangô prit les gardes injustes et ordonna de construire une cabane pour les symboles et les pierres angulaires de Oxalá. Il a promis que son martyre ne serait jamais oublié. Aujourd’hui encore on se souvient du long voyage du seigneur funfun [10] jusqu’au royaume d’Oyó. Aujourd’hui encore les Eaux de Oxalá restent purifiantes.

Résistance à la prédominance blanche

Par le passé, le jeudi qui précédait le dimanche de la fête en hommage à Notre Seigneur du Bom Jesus do Bonfim, les blancs utilisaient les noirs et les noires esclavagisés pour procéder à un grand lavage de l’église. Le temps passant, les africains et leurs descendants dont les croyances et les pratiques étaient réprimées par la société raciste, ont associé le grand lavage qu’ils réalisaient là aux Eaux de Oxalá (Áwon Omi Òsàlá), un culte ancestral à Oxalá, orixa funfun créateur des hommes et des femmes, selon les traditions de certains peuples séquestrés et emmenés depuis l’ouest de l’Afrique. Comme dans la culture traditionnelle africaine le sacré et le profane sont indissociés, nos ancêtres se sont mis à introduire les caractéristiques de leurs rites à ce lavage.

Des danses, des percussions et des boissons appelèrent l’attention des autorités ecclésiastiques qui y ont vu un bon motif pour interdire aux noirs l’accès dans l’église. Plus exactement, en 1889, l’archevêque de Bahia décida que le lavage ne se poursuivrait plus à l’intérieur de son temple catholique, apostolique, romain. Autrement dit, des mois après “l’abolition” de l’esclavage (signée le 13 mai 1888), le corps noir était “libéré”, mais son individualité continuait à être sujette aux attaques de la prédominance blanche.

Cependant les femmes noires ne se sont pas soumises. En cortège, habillées de leurs vêtements de femmes conformes à ceux de Bahia, elles se sont acheminées jusqu’à l’église et se sont mises à laver les escaliers et le perron, en utilisant des balais, de l’eau parfumée et des feuilles consacrées.

Les portes fermées de l’église n’empêchèrent pas le peuple du perron de manifester sa foi, sa dévotion. Les portes fermées de l’église n’empêchent pas, aujourd’hui encore, le rétablissement du sentiment d’appartenir à une communauté (egbe), qui continue à être consciente de l’importance de son ancestralité négro-africaine pour se maintenir à pied d’œuvre. D’où vient aussi l’importance du culte.

La tradition vivace parcourt 8 km entre l’église de Nossa Senhora da Conceição da Praia jusqu’à la Colina Sagrada. Des groupes d’autres cultures sont arrivés et, grâce à la xénophilie noire, ont augmenté le cortège. Le lavage des escaliers et du perron de l’église Notre Seigneur do Bonfim est devenu le second événement le plus important de Salvador, réunissant toutes sortes de gens.

Mais n’oublions pas le motif de sa naissance : INSUBORDINATION NOIRE.

Voir en ligne : Lavagem do Bonfim : reminiscências da insubordinação negra na Bahia

En couverture, photo de Mateus Pereira, communication du Gouvernement de l’Etat de Bahia

[1Bonfim voudrait dire ’Bonne Fin’. Pour faire court, Oxalá est l’une des principales figures du candomblé brésilien, il en est même la figure ’père’ ou l’aîné qui a donné la vie et a donné la mort. Sa couleur est le blanc. Le syncrétisme avec le catholicisme le réunit à son équivalant chrétien : Jésus Christ (le Senhor do Bonfim)

[2Chanteuse et compositrice noire née en 1987 à Salvador. Sa musique mêle les styles du jazz, du blues, de la MPB (Música popular brasileira) et du Rhythm and blues.

[3En portugais, dans l’article original, le mot employé est “itan”, qui désigne l’ensemble des mythes, légendes, chants et histoires Yorubas.

[4Pour faire court, Xangô est une autre parmi les figures principales du candomble brésilien. Associé au feu et au tonnerre, il est la divinité de la Justice, associé à Saint Jean-Baptiste dans le syncrétisme catholique.

[5à savoir, Iemanjà, désignée comme la mère de tous les orixàs brésilien.nes. Elle est associée à la Vierge Marie, par sincrétisme catholique, mais surtout la protectrice des pêcheurs, des mères et des enfants

[6Odu désigne un ’signe du destin’ ou un ’oracle’ en quelque sorte.

[7Pour faire court, Exu est un orixá jouant le rôle d’intermédiaire entre les humains et les divinités.

[8Il s’agit d’une huile extraite de l’écorce de palme (à ne pas confondre avec l’huile de palme), qui est une horreur pour Exu.

[9Le royaume d’Oyó a été fondé par les yorubas au sud-ouest du Nigéria et a dominé par ses unités de cavalerie.

[10Ni voir aucun anglicisme, les orixás funfun désignent les premiers orixas yorubas créés par le tout premier orixa, Olorum.

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