La couverture médiatique des écoles occupées : silence et criminalisation

 | Par Coletivo Intervozes, Marina Pita

Comme maintes fois dans l’histoire, la presse, lorsqu’elle n’invisibilise pas l’action des étudiants, elle criminalise les occupations et ceux qui se battent pour leurs droits.

Source : Carta Capital - 02/11/2016
Traduction pour Autres Brésils : Luc Duffles Aldon
(Relecture : Karina Duarte)

Alors qu’ils étaient plutôt rares avant, aujourd’hui les reportages sur les occupations ne donnent toujours pas la parole aux étudiants. Sur la photo, le Collège Pedro II, occupé depuis le 31/10/2016. Source : Carta Capital.

Le silence peut en dire plus que mille mots. Cette phrase – de celles partagées sur les groupes de WhatsApp ce matin – prend tout son sens dans la situation actuelle du pays.

Dans un contexte où plus d’un millier d’écoles dans tout le Brésil sont occupées en réaction au Projet d’Amendement à la Constitution « PEC 241 » et à la « Mesure Provisoire » pour la réforme de l’enseignement secondaire, le silence de la presse sur la mobilisation des étudiants est un autre chapitre sombre du processus par lequel passe le pays, représentatif du manque de diversité et de garantie d’accès à l’information au Brésil.

Nombreux sont ceux qui n’ont pris connaissance des occupations que le weekend dernier [le dimanche 30 octobre], alors que les bureaux de vote pour le second tour des élections municipales ont dû être changés à cause des écoles occupées.

Jusqu’alors, les reportages - en particulier à la télévision - étaient rares. Maintenant, ils sont toujours aussi peu nombreux et ne donnent toujours pas la parole aux étudiants participant, ni aux secteurs de la société qui soutiennent les manifestations contre la « PEC 241 » et la « Mesure Provisoire 746/2016 ».

Un des plus grands journaux du pays, Folha de São Paulo, a ignoré la montée des occupations. Le sujet apparaît dans la presse le 11 octobre, centré uniquement sur l’état du Paraná : « Les étudiants occupent une centaine d’écoles et les enseignants approuvent la grève dans le Paraná. »

Ce n’est que le 19 octobre, plus d’une semaine plus tard, que le deuxième texte est publié avec une partialité clairement accusatrice : les « Occupations dans 181 écoles peuvent provoquer l’annulation des épreuves de l’Enem (baccalauréat). » Le 24 octobre, le sujet apparaît à nouveau en raison de la mort d’un étudiant, à Curitiba.

Le vendredi 25, un nouveau texte intitulé « Une manifestation sous tension dans une école occupée du Paraná, coups de sifflets et insultes. » Le mouvement des étudiants est présenté comme fouteur de trouble.

Compte tenu de l’amplitude du mouvement « Occupation au Paraná », le journal Folha de São Paulo a fait l’option de couvrir de manière disproportionnée une manifestation contre l’occupation dans l’une des écoles.

Des phrases génériques, comme « d’un côté, les parents, les élèves et les enseignants qui veulent retourner à l’école ont commencé à organiser des contre-manifestations. Dans certaines villes, ils en sont même venus à occuper des écoles pour éviter qu’elles ne le soient par les manifestants », démontrent l’absence de critères rigoureux de vérification.

Somme toute, les actions contre les occupations - en dépit de la violence qu’elles adoptent, chose qui n’est également pas pointée par la presse – restent minoritaires face à la croissance de la mobilisation nationale.

La séquence des sujets, tels que « Avec les écoles occupées, le Paraná mobilisera les troupes de la Force Nationale pendant les élections ... ; les étudiants sont menottés lors de leur expulsion d’une l’école envahie dans le Tocantins... ; des émeutes dans une école du Paraná ... ; avec les écoles occupées, même un supermarché devient bureau électoral au Paraná... ; selon le ministère de l’Éducation, les écoles occupées peuvent avoir l’Enem (baccalauréat) reporté », montre la facilité avec laquelle les jeunes, qui sont mobilisés pour leurs droits, sont présentés comme des fauteurs de troubles, irresponsables qui perturbent la vie des citoyens voulant simplement étudier.

Le positionnement de Folha de São Paulo a ainsi été d’opposer ceux qui prônent l’éducation universelle, gratuite et de qualité aux autres étudiants.

Le médiateur du journal Folha de São Paulo a lui-même classé la couverture faite par le journal de protocolaire :

« Folha a timidement informé sur les mobilisations. Pour donner une idée de l’ampleur, vendredi, selon les organisations d’étudiants, il y avait 123 universités et 1 197 écoles occupées dans le pays ; près de 850 dans le Paraná. » Il a encore rappelé le silence des médias locaux sur le discours remarquable de la lycéenne Ana Julia, qui a mis le feu aux réseaux sociaux.

« Le mercredi 16, aucun grand journal n’a signalé l’inhabituelle présence d’étudiants dans la tribune de l’Assemblée législative. Le jeudi, à 12h53, le site du magazine d’économie américain « Forbes » a saisi l’importance de la parole de la lycéenne. Ce fut seulement à 19h que Folha a diffusé le profil Ana Júlia, en récupérant son discours. »

Le STF et la criminalisation

La couverture médiatique dans le journal de Rio de Janeiro, O Globo, a également donné le ton, avec un biais critique, contre les occupations. L’accent a d’abord était mis sur le « désordre » que la mobilisation pourrait provoquer pour l’ENEM « Avec plus de 640 écoles occupées, le gouvernement de l’Etat du Paraná demeure préoccupé par les élections et l’Enem », le 18 octobre.

Ensuite, les divers médias du groupe Globo ont tenu à mettre en évidence les propos du président du Suprême Tribunal Electoral (TSE) sur les dépenses générées par le déménagement des bureaux de vote, en raison des occupations.

La déclaration de Gilmar Mendes a été diffusée, en boucle, tout au long de la nuit du dimanche 30 octobre, sur les journaux télévisés de GloboNews, arrivant à l’irrationalité de suggérer que l’Avocat Général de l’Union étudie la possibilité d’exiger des étudiants le paiement que le « coût » des occupations produisait pour les élections. Sur le site de Globo, les Unes annonçaient « les écoles occupées augmentent les coûts des élections, selon Gilmar Mendes. »

Avant cela, l’option du journal de Rio de Janeiro avait été de mettre en valeur une interview du Secrétaire de l’Education de l’Etat du Paraná et de réduire au silence les étudiants. Les citations choisies pour le titre de l’article ne sont pas des solutions à l’impasse des négociations, mais une simple menace : « Wagner Victer : Dire que cela ne nuit pas est inconséquent. »

Le Journal National du 27 a présenté un reportage sur la violente arrestation des étudiants du Tocantins, menottés illégalement.

Ils ont montré le document du Parquet justifiant les mesures et ont accordé un temps dérisoire pour que le Défenseur public de l’Etat donne une opinion contradictoire, critiquant l’arrestation des étudiants. Le reportage n’expliquait même pas aux téléspectateurs pourquoi cette école avait été occupée.

Ce mardi 1er novembre, l’émission Bom Dia Brasil, de Globo, a préféré dire que l’action de la Police Militaire pour faire sortir des élèves d’une école occupée à Taguatinga, dans le District fédéral, entravait la circulation des résidents.

Le déséquilibre dans l’espace donné aux élèves - quand il est donné – caractérise aussi la couverture télévisée. A simple titre d’exemple, lors du même Bom Dia Brasil du 26 octobre, dans un reportage de 3 minutes et 40 secondes, seulement 13 secondes ont été accordés aux élèves pour expliquer la raison des occupations des écoles.

L’article de l’Agência Estado, du 26 octobre, constitue le seul contre-exemple : « Plus d’un millier d’écoles et d’universités sont occupés au Brésil. » L’article donne non seulement la parole à la présidente de l’Ubes (Union Brésilienne des Étudiants du secondaire), Camila Lanes, mais cite aussi la note de l’Association des Recteurs des Universités Fédérales (Andifes) et du doyen de l’Université fédérale du Minas Gerais, favorable au mouvement des étudiants. C’est quelque chose de rare à ce jour dans la presse nationale.

Le rôle de la communication de l’État et d’Internet

C’est sur Agência Brasil - malgré tous les problèmes dont l’Entreprise Brésilienne de Communication souffre depuis la désintégration mise en œuvre dans cette entreprise publique par le gouvernement Temer - que les citoyens ont pu être informés à minima sur le contexte général des occupations à travers le Brésil.

Les reportages comme : « Plus d’un millier d’écoles dans le pays sont occupées en signe de protestation ; comprenez le mouvement ... ; les élèves du secondaire et les étudiants universitaires organisent un débat à Rio... ; les étudiants du District Fédéral occupent les écoles pour se faire entendre sur les changements dans l’éducation » ont fait ce qui est attendu de la presse : du journalisme.

La bataille pour le récit des occupations reste cependant bloquée même sur Internet, sur les blogs, sur les sites de médias alternatifs et sur les réseaux sociaux. Le discours de Ana Julia - qui a été propulsée à la une de CartaCapital de cette semaine - a été entendu de tous sur Youtube, Facebook et WhatsApp.

En participant à une audience publique à la Commission des Droits Humains au Sénat ce lundi 31 octobre, la lycéenne du Paraná a tenu à nier avec véhémence la passivité attribuée aux lycéens par certains et reproduite par les commentateurs et les journalistes des médias traditionnels. Il n’y a pas d’endoctrineurs ni d’endoctrinés dans ce processus. Ni révoltés sans cause.

La jeune lycéenne, qui fait que des milliers de personnes s’arrêtent pour écouter ceux qui sont en train de vivre les occupations, a mis en lumière ce qui se répète systématiquement lorsque le pays a besoin de discuter des questions centrales pour son avenir : la difficulté de comprendre ce qui se passe lorsque vous ne regardez que les informations sur les médias traditionnels.

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