La catastrophe de l’eau comme synthèse de la ville de Rio

 | Par Outras Palavras, Tainá de Paula

Le Brésil est l’un des pays ayant le plus fort taux de maladies liées à la distribution de l’eau.

La ville de Rio de Janeiro a cessé d’investir dans l’approvisionnement en eau, il y a des décennies et, comme partout dans le pays, elle vomit les eaux usées dans les barrages de rétention. Tout a empiré avec les réductions de budget décidées par Bolsonaro et avec le plan visant à laisser à l’abandon la Compagnie des eaux de l’État de Rio de Janeiro (Cedae). Que revive l’esprit de la rébellion civilisatrice de la nouvelle Révolte du vaccin !

Traduction de Roger GUILLOUX pour Autres Brésils
Relecture de Gaëlle SCUILLER

Souillée de vert par les égouts, la rivière Guandu se déverse dans un barrage de rétention de la Cedae.
Explication de la photo
 
En amont de la prise d’eau de la Station de traitement des eaux (ETA) de la rivière Guandu débouchent trois affluents : le Rio Ypiranga, le Rio Queimados et le Rio dos Poços, qui sont pollués par des égouts sanitaires organiques et industriels, ce qui donne lieu à un processus d’eutrophisation de ce tronçon du fleuve Guandu, et provoque une intense prolifération d’algues. Ce phénomène est appelé l’eutrophisation.

Le titre du texte est provocateur. La ville de Rio entre dans l’année 2020 en tant que capitale mondiale de l’architecture, signataire de traités internationaux, dont celui de l’agenda 2030 de l’ONU qui définit une série d’objectifs de développement durable pour les villes. En d’autres termes nous disposons d’une décennie pour trouver la manière de réaliser nos engagements internationaux.

Au cours de ces dernières semaines, la population de la ville de Rio et de quelques communes de la région métropolitaine vivent dans une véritable terreur de désinformation en raison des informations les plus contradictoires concernant la qualité de l’eau qui arrive aux robinets des habitations. Des informations faisant état de mauvaises odeurs, d’une eau trouble, de substances en suspension et d’un changement du goût de l’eau. La Compagnie des eaux et des égouts de l’État de Rio (Cedae), responsable de l’approvisionnement de la région, a mis une semaine et demie à définir le protocole d’information et de contrôle de la situation, reconnaissant donc qu’il existe des problèmes en ce qui concerne la qualité de l’eau de la région. Elle en est arrivée à émettre une note affirmant que tout serait sous contrôle, allant jusqu’à contredire la position de Secrétariat à la santé de l’État, qui avait enregistré une augmentation des cas de maladies liées au système de distribution de l’eau.

La vérité c’est que le système de traitement des eaux de Rio de Janeiro se trouve dans une situation désastreuse. Il n’existe pas de meilleure définition pour décrire un système qui n’a connu aucune amélioration importante depuis 1951, date où il a été construit. La rivière Paraiba do Sul et les stations de traitement du système Guandu et du système Imunana Laranjal (qui approvisionne Niterói, São Gonzalo et la région) sont, aujourd’hui, incapables de garantir la qualité et la distribution de l’eau pour les villes de la région métropolitaine de Rio, troisième ville d’Amérique latine.

Depuis soixante-dix ans, nous avons affaire à une absence de politique de développement de l’usage de nos ressources hydriques. Aucune équipe n’assume véritablement la responsabilité de ce réseau hydrique. L’équation est pourtant simple : si nous ne réussissons pas à réduire la pollution des rivières, nous ne pourrons pas garantir la potabilité de notre eau. En ce sens, il est important de défendre la thèse selon laquelle les ressources de la ville de Rio et du pays sont en quantité finie et que, ce que nous en faisons dépend uniquement et exclusivement d’une gestion responsable de celles-ci.

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Il est également important de souligner que nous allons à contre-courant de ce qui se fait au niveau mondial en ce qui concerne l’utilisation et la gestion des eaux. Le fait est que la croissance incontrôlée des villes a contribué à amplifier la contamination des eaux ainsi que le nombre des maladies de la population des périphéries et des favelas. Depuis longtemps, celle-ci souffre d’un service de mauvaise qualité - voire inexistant - d’accès au système d’infrastructure sanitaire de base.

Il est bon de souligner qu’au Brésil, seulement 37% des eaux usées des domiciles sont traitées. Dans la ville de Rio, il est possible que la situation soit pire encore, dans la mesure où il n’existe pas de données fiables disponibles. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’une situation qui ne concerne que les favelas, elle touche également la ville formelle [1], celle où les habitations sont régularisées. Les plans municipaux d’assainissement prévoyaient de couvrir la totalité des villes, à l’issue d’une période de 15 à 25 années mais dans l’immense majorité des communes – y compris celle de Rio dont le plan date de 2015 – rien n’a été fait en ce sens jusqu’à nos jours.

Assainir est nécessaire

L’appariement de l’agenda du traitement des eaux usées et de l’approvisionnement en eau devient urgent. La présence de coliformes fécaux, de cyanobactéries et d’autres substances dans l’eau – théoriquement traitée – sont des symptômes de contamination du réseau hydrique. Il est nécessaire d’investir sans plus tarder dans le traitement des eaux usées. Tout modèle de ville qui n’affronte pas le problème de manque d’urbanisation des favelas et n’accorde pas une priorité à l’implantation du contrôle de condominiums de luxe de Rio est inadmissible. Un grand nombre de ceux-ci jettent leurs eaux usées dans la nature, dans le réseau de drainage ou directement dans les lagunes et les rivières comme c’est le cas de plusieurs immeubles des quartiers de la Barra da Tijuca et de la Baixada de Japarepaguá.

Il est également nécessaire d’élargir le débat sur les améliorations des logements où les installations hydrauliques et les salles de bains ont besoin d’être repensées de toute urgence. Le Brésil fait partie des dix pays au monde ayant plus grand nombre de domiciles sans salle de bain.

Dans une ville tropicale avec un indice pluviométrique comme celui de Rio de Janeiro, ne pas penser à la réutilisation des eaux pluviales est criminel. Comme il est criminel d’accepter que Bolsonaro a réduit le budget de traitement des eaux pluviales et usées de 21 % en 2020 et supprimé le Ministère de la ville. Autre point fort contestable et qui a été peu débattu, l’utilisation de fonds de la Compagnie des eaux (Cedae), d’un montant de 150 millions de réauxiii pour tout ce qui n’est pas lié à l’utilisation équitable de ce budget destiné au traitement des eaux de l’ensemble de la ville. La ville de Rio ne traite que 35 % de ses eaux usées, un pourcentage inférieur à la moyenne nationale.

Il est visible que les autorités sont en train de laisser pourrir le réseau afin de le privatiser entièrement par la suite. Le système de maintien de la qualité de l’eau tout comme le contrôle des fuites est fortement déficitaire si on le compare à celui d’autres pays où des robots et des drones font le suivi du réseau - système de température et kits de qualité artisanaux. Quelqu’un s’est-il rendu compte qu’il n’existe pas de senseur de contrôle et de classification des substances dans nos réservoirs d’eau ? Le Brésil est l’un des pays ayant le plus fort taux de maladies liées à la distribution de l’eau.

Il est évident que la Cedae doit s’améliorer mais sa mise au rebut donne l’impression d’être voulue étant donné que cette entreprise est, pour le gouverneur, l’exemple par excellence des entreprises à privatiser. Maintenant, il est important de se demander si la privatisation va apporter des améliorations pour tous ou au contraire si elle contribuera à attiser le racisme environnemental visible dans les villes. Sans aucun doute la « libre concurrence » apporte habituellement des améliorations principalement à un système qui a préalablement été laissé à l’abandon. Cependant, que se passera-t-il pour ceux qui ne pourront pas payer ces améliorations ?
La révolte des « sans eau » à Rio de Janeiro

Récemment, le ministre de l’économie, Paulo Guedes, a indiqué que pour l’eau, il se produira la même chose qu’avec le secteur de la téléphonie mobile. Cependant, il est nécessaire de rappeler que ce secteur fonctionne très mal dans plusieurs villes du pays. La qualité du service varie d’un endroit à l’autre en fonction d’une demande jugée satisfaisante pour l’entreprise comme dans le cas du forfait intégral de services. Alors, il est important de se demander si tout le monde va avoir accès à l’eau et au système d’égouts, quelque soit le montant de la facture et de se rappeler que si l’on peut vivre sans téléphone mobile, on ne peut pas vivre sans eau.

Le débat est lancé : serons-nous, habitants des villes, ceux qui dénonceront le programme rétrograde et qui garantiront les révoltes quotidiennes ? J’ose dire que la Révolte de l’eau dans la ville de Rio contre un maire endormi et un gouverneur en vacances, vient de commencer. A nous de faire la Révolte du vaccin !

Et ce ne sera qu’un début. Accumulons des forces pour la Révolte des villes qui ne peut plus attendre !

Tainá de Paula est architecte et urbaniste, elle fait partie de l’équipe de conseil technique du MTST et du réseau BrCidades

Voir en ligne : Outras Palavras

[1Les espaces de la ville dite « légale » ou, par opposition, tous les quartiers qui ne sont pas des favelas.

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