Isabel fut une révolution. Une vie plus grande.

 | Par Agência Spotlight

Hier, Maria Isabel Barroso Salgado, l’Isabel du volley, nous a quittés. Elle avait 62 ans.
Ses obsèques auront lieu à 11 heures, au Crématorium et Cimetière de Caju. Elle sera veillée à la Chapelle historique.

Demain sera donc le jour de se souvenir et de célébrer cette carioca, brésilienne, qui aimait tant la vie et fut heureuse. Célébrer, c’est prolonger l’existence. Et Isabel continuera à vivre parmi nous. Comme elle était.

un texte de Lúcio de Castro
Traduction : Philippe Aldon pour Autres Brésils
Relecture : Du Duffles

Personne n’a jamais autant aimé une ville qu’Isabel. Et aucune ville n’a jamais autant aimé quelqu’un comme Rio a aimé Isabel.

Si c’était compliqué, on passait le ballon à Isabel. Sur les terrains. Et dans la vie aussi.

Il n’y a jamais eu de femme comme Isabel. Sur les terrains de volley-ball, dans la vie. Et pourtant c’était si facile à comprendre : ce qu’Isabel était sur le terrain de volley-ball, elle l’était aussi dans la vie. L’intensité et l’intrépidité que personne n’avait encore vues. Une femme d’avant-garde, sur son temps, dans ses combats. Fin des années 70, la dictature militaire, le sport brésilien, contrefaçon des régimes autoritaires, souvent avec les mêmes personnages dans l’un et dans l’autre. Et cette Carioca, née le 2 août 1960, âgée de 16/18 ans, conduisait Flamengo au titre de champion du Brésil. C’était bien plus que ça. À l’époque, personne ne parlait d’égalité des sexes pour les salaires et les primes. Mais Isabel en parlait déjà. Les femmes devaient avoir le même salaire. On parle des années 70. Et l’attaquante de 1,80m défiait les plus grands pontes en exigeant sa part, l’égalité. S’ils ne payaient pas les droits d’utilisation du terrain, elle recouvrait la marque du sponsor. Elle en a payé le prix fort. Elle a haussé les épaules et poursuivi son chemin. Elle était trop grande pour être encadrée par d’infâmes guignols qui voulaient limiter son espace. Isabel ne pouvait pas exister encadrée. Elle est montée au combat. Seule avec ses quatre enfants, en Italie, au Japon...

Le premier choc pour ceux qui croisaient cette femme libertaire, carioca du Poste 9 en fin d’après-midi, était de constater la rigidité de l’éducation qu’elle donnait à ses enfants. Ceux qui ne la connaissaient pas étaient surpris, trouvaient cela étonnant. Ceux qui la connaissaient, savaient qu’Isabel était comme ça : un tout, intense dans la vie, et encore plus en tant que mère. Cela a fonctionné, elle était fière de voir chez ces quatre-là des traits de caractère qui lui étaient si chers. Dignité, lutte, et peut-être le plus flagrant, celui qui a fait d’elle ce qu’elle était sans que jamais elle ne s’en rende compte : une révolutionnaire. Parce qu’elle n’a jamais cessé de s’indigner de toute injustice.
C’était parfois tendu d’être avec Isabel. À tout moment, un vent de sud-ouest était susceptible de se lever, ce vent qui amène les tempêtes de plage et qui pouvait transformer Isabel. Que quelqu’un.e soit l’objet de discrimination, de racisme dans la rue...Et la voilà défiant la police , quel que soit l’importance et la taille du problème. Dans son « Ela é Carioca », Rui Castro raconte l’histoire d’un sans-abri d’Ipanema maltraité par un policier. Pour en finir, le bataillon entier voulait embarquer le sans-abri et, à ce stade, Isabel aussi. C’était elle contre tout le bataillon et toutes leurs mitraillettes. Isabel a gagné. Personne n’a touché le sans-abri.

Elle avait toujours une histoire comme ça.

Elle a contredit tout ce qui avait été établi jusqu’alors, conciliant maternité et sport en même temps. Sur le terrain et enceinte de six mois, une photo historique : Leila Diniz vivante !

Isabel était Leila, elle était Asdrúbal, elle était le Circo Voador à Arpoador, elle était Flamengo, l’équipe du Brésil, elle était à la fois les fêtes païennes et les fêtes religieuses mélangées, elle était l’Ipanema qu’elle aimait comme personne et où elle assistait à toutes les fins d’après-midi.

Très jeune, elle a vu les gens quitter les dunes de Gal pour se rendre au Poste 9, où elle deviendrait une étoile, la marque d’une époque et d’une ville. L’athlète qui louait le soleil avec les artistes de la ville, avec les gens de la plage, avec tout le monde. Elle a pratiqué la diversité avant que personne n’en parle, elle a vécu le Rio des années 70, 80 et 90 comme l’air de la redémocratisation : à fond. Diretas já sur l’avenue Presidente Vargas entre deux entraînements, Chico Buarque sur un tourne-disque et beaucoup d’amis pour célébrer la vie, sinon cela n’aurait pas été drôle.

Toujours avec Pilar, Maria Clara, Pedro et Carol à ses côtés. Avec eux, elle a vécu les étés qui ont suivi. Et encore dans la fleur de l’âge, elle conjugua le fait d’être grand-mère, mère, et de poursuivre son combat. Et le temps de se reposer venu, avec quatre enfants élevés, indépendants, elle a décidé d’adopter un autre garçon. Ayant entendu dire qu’il y avait, dans un refuge à Campinas, un enfant de 12 ans qui allait se retrouver à la rue, elle a pris un avion pour comprendre. Tout le monde lui a dit que c’était de la folie, de se calmer, maintenant qu’elle allait pouvoir vivre... À ce moment-là, tout ceux qui la connaissaient savaient déjà qu’elle était la nouvelle mère d’Alison. Aujourd’hui âgé de 20 ans, il est le fils d’Isabel. Un fils noir pour lequel Isabel s’est réinventée afin de comprendre ce que c’était que d’être la mère d’un garçon noir, les vicissitudes des sorties nocturnes, à la merci du racisme de chaque jour. Elle l’a emmené dans la première école où elle a choisi de l’inscrire. Elle s’est battue, mais elle a continué à faire ce qu’elle a toujours fait : défendre sa progéniture. Elle était vraiment super heureuse avec Alisson.

Personne n’était plus heureuse qu’elle ces derniers temps. Ce furent quatre années d’angoisse. Cette vie foisonnante contenue entre quatre murs pandémiques, sans la plage, sans la lutte. Sans faire la fête. L’exercice du débat qu’elle aimait. Houleux, apparaissant même parfois sans retour avec son interlocuteur. Il n’y avait que comme ça que c’était drôle. Un déjeuner chez les Salgados était un véritable spectacle de télé réalité. En bout de table, Isabel commandait. On passait du cinéma à la politique, à la musique, à l’art, à Rio, et même aux commérages.

Isabel était aussi une fête. Toute la fête de São Sebastião en une seule personne. Le 30, elle a voulu regarder le deuxième tour seule. Mais quand le Brésil a commencé à se relever, quand le Nord-Est a retourné l’élection, elle n’a pas pu se retenir de sortir dans la rue. Elle voulait embrasser les siens, fêter ça.

Sa joie était plus forte que tout. Elle avait été appelée à participer au groupe de transition des sports dans le gouvernement de Lula. Elle était si contente de ça. Elle allait s’impliquer, s’immiscer. Dans la vie, dans le Brésil. Etre lsabel. Elle est retournée sur les bancs de l’école, pour tout étudier dans le cadre du projet. Elle ne voulait pas y aller pour relater ses expériences. Elle voulait parler du projet de Brésil, de mettre les noirs et les pauvres dans le jeu. Elle était plus heureuse que jamais. Ce même week-end, après 5 ans, Pedro remontait sur le podium. Carol aussi. C’était trop de joie.
C’est tellement injuste maintenant. Elle avait tant rêvé du retour de son Brésil, du Rio qui est le sien. Justement maintenant, avec la certitude que ces temps étaient révolus, que ce Brésil des génocides, de l’éloge de la torture, des généraux, des homophobes, des misogynes, des racistes, des capitães do mato, serait dépassé. C’était tellement anti-Isabel tout ça... Mais elle avait survécu à tout ça. Elle était si heureuse. C’était une nouvelle eau qui jaillissait et tout le monde qui ne cessait de s’aimer. La vie qui revenait. Isabel entière. Intense, la seule manière dont elle concevait la vie.

L’Isabel qui avait dédaigné la mode des douches sur la plage. Même si elle allait déjeuner, et elle adorait les déjeuners après la plage, elle se moquait de ceux qui enlevaient le sel pour quitter la plage. C’est un geste si simple. Mais ça en dit tellement sur Isabel. Elle partait avec du sel. Elle aimait quitter la plage avec le sel. C’était elle, tout le sel de la terre en une seule femme.

Au comble de cette plénitude, des siens, de sa soif de la beauté de la vie, d’une joie immense pour un Brésil qui renaissait et dont elle était déjà partie prenante de la reconstruction, elle a senti une grippe, est tombée malade... et nous a quittés hier.
Sa soif de vivre, d’être avec les siens, sa façon de vivre, sans limites, de se retrouver dans la lutte, nous donne la certitude que c’est d’elle dont parlait Gabo en expliquant ce qu’est la vie : « C’est la vie, plus que la mort, qui n’a pas de limites ». C’est pourquoi Isabel va continuer. Une vie plus grande qui n’a pas de limites et qui continuera en chacun de nous.

Mosaique de photo de Isabel Salgabo.

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