Situation d’urgence Yanomami : « Nous n’arrivons pas à compter les corps » Situation d’urgence pour les Yanomami

Les données obtenues en exclusivité par SUMAÚMA montrent que durant le gouvernement de l’extrémiste de droite Jair Bolsonaro, le nombre de décès d’enfants de moins de 5 ans dus à des causes évitables a augmenté de 29% en territoire Yanomami : 570 jeunes enfants autochtones sont morts au cours des 4 dernières années, de maladies pour lesquelles des traitements existent.

Originellement publié le 20 janvier 2023

Traduction de Philippe ALDON pour Autres Brésils
Relecture de Du DUFFLES

L’enfant yanomami avait déjà vécu 1 095 jours, mais pesait le même poids qu’un bébé qui venait de naître. Trois ans et 3,6 kilos. Ce chiffre traduit ce que montre une série de photographies récentes reçues par SUMAÚMA : des corps d’enfants et de personnes âgées, dont la peau ne recouvre que les os, si faibles qu’ils semblent à peine tenir debout. Les côtes qui semblent percer les corps minuscules contrastent avec les ventres énormes, colonisés par les vers. Les données obtenues par SUMAÚMA soulignent qu’au cours des 4 années du gouvernement de Jair Bolsonaro (2019-2022), 570 enfants de moins de 5 ans sont morts en territoire Yanomami de ce que les statistiques appellent des « décès évitables ». Cela signifie que 570 jeunes enfants autochtones pourraient courir, rire et inventer des jeux en ce moment même s’ils avaient eu accès à des soins de santé appropriés ou à des traitements préventifs. Il n’ en a rien été. Le chiffre officiel est déjà supérieur de 29% à celui des quatre années précédentes, celles des gouvernements de Dilma Rousseff (PT) et, suite à sa destitution, de Michel Temer (MDB). Le territoire ayant subi un black-out statistique pendant le gouvernement d’extrême droite, la réalité risque d’être encore plus terrifiante. C’est l’héritage de Bolsonaro.

Les images de ce rapport ont été prises par des autochtones et des professionnels de santé qui ont réussi à franchir la barrière de l’exploitation minière criminelle et à atteindre la Terre autochtone Yanomami au cours des derniers mois. Afin de les publier, SUMAÚMA a demandé l’autorisation des dignitaires yanomami. Certaines des images les plus choquantes n’ont pas été publiées parce qu’elles portent atteinte à la leur culture ou mettent l’auteur des photos en danger de mort. Les images sont un sujet difficile pour les Yanomami. Les dignitaires ayant accepté de publier des photos ont pris cette décision uniquement par désespoir. Pour l’une des photos, ce sont les dignitaires eux-mêmes qui ont demandé qu’elle soit prise pour être diffusée dans le monde entier. Cette attitude, si rare chez les Yanomami, donne la mesure de la terreur de voir, jour après jour, tomber enfants et vieillards.

« Nous n’arrivons pas à compter les corps » déclare l’une des huit personnes entendues durant les derniers jours du reportage. Tous font état d’un scénario catastrophe au cœur de la plus grande Terre autochtone démarquée du pays. Dans le territoire situé entre les États de Roraima et d’Amazonas, où vivent près de 30 mille Yanomami, la faim s’est répandue sur une terre abondante en nourriture. Les personnes fragiles, âgées et les enfants succombent à des maladies pour lesquelles des traitements existent, mais ne sont fréquemment pas prodigués. La négligence est une condamnation à mort.

Ajouté à cela, le démantèlement de la santé autochtone pendant les quatre années du gouvernement Bolsonaro a conduit plusieurs villages à l’effondrement sanitaire. En raison d’un accès limité aux soins de santé et d’une pénurie de médicaments, les enfants et les personnes âgées meurent de malnutrition ou de maladies curables comme, la pneumonie, la diarrhée ainsi que celle causée par les vers. « Le paludisme, comme la dengue, est transmis par un moustique qui pique la personne infectée et propage la maladie. Il est répandu en terres autochtones par les orpailleurs. Il y a beaucoup de orpailleurs, beaucoup de malaria. Les Yanomami attrapent la malaria et ne peuvent plus travailler dans les champs », explique Mateus Sanöma.

Les Sanöma, groupe ethnique yanomami, vivent dans la région d’Auaris, à la frontière entre le Brésil et le Venezuela, où l’orpaillage sévit des deux côtés de la frontière. L’insécurité alimentaire a toujours été un problème critique dans la région. Situé sur les hauts plateaux du territoire, l’approvisionnement en nourriture est piètre. Avec l’exploitation minière illégale et l’explosion de la malaria, ce qui était autrefois un problème a dégénéré en chaos. De nombreux hommes sanöma migrent de l’autre côté de la frontière pour aller travailler dans les mines, au Venezuela, laissant les femmes seules s’occuper des enfants, cultiver les champs et pêcher dans une région où les ressources sont rares, ce qui déséquilibre complétement le mode de vie. Comme seuls les hommes chassent, une source complémentaire de protéines fait défaut. « Dans ma communauté, tout le monde meurt de faim. 30 Sanöma sont déjà morts et d’autres vont mourir. Ils meurent rapidement. Je ne veux pas qu’ils meurent tous. Nous avons besoin de soutien pour que mon peuple entier ne meure pas », se désespère le leader Sanöma.

Au cours des deux dernières années (2021 et 2022), la région d’Auaris, où vivent 896 familles, a enregistré 2 868 cas de paludisme. Les données obtenues par SUMAÚMA soulignent que, pour la seule année 2022, 6 enfants de moins d’un an sont morts de causes qui auraient pu être facilement évitables s’il y avait eu un accès aux services de santé ou aux médicaments. Dans la région, 6 enfants de moins de 5 ans sur 10 présentent des déficits nutritionnels, c’est-à-dire qu’ils ont un poids jugé insuffisant pour leur âge, la plupart d’entre eux souffrant déjà de malnutrition sévère. Dans la Maloca Paapiu, une autre région du territoire Yanomami, le même phénomène se produit : 6 enfants sur 10 de cette tranche d’âge souffrent de malnutrition. C’est de là que nous avons reçu une liste, dessinée à la main par un membre de la communauté, des décès survenus entre décembre et les premiers jours de janvier : quatre enfants, les filles de Catiusa, Beadriz, Geovana et Briscila. Et encore 4 personnes âgées. « Huit [de] mes proches sont morts » peut-on lire dans la note.

Au cours de la semaine où j’étais là, il y a eu 3 décès d’enfants, tous de pneumonie. Une autre petite emmenée [à l’hôpital de Boa Vista], s’en est sortie", raconte un professionnel qui se trouvait dans la région de Xitei, en décembre, pour travailler sur le recensement. En 2022, les données montrent que 13 enfants de moins de 5 ans sont morts de causes qui auraient pu être traitées : 6 d’entre eux de pneumonie, 4 de diarrhée et 2 de malnutrition.

Les statistiques officielles devraient, mais ne permettent pas de saisir la tragédie humanitaire vécue par les Yanomami et rapportée par les personnes qui vivent et travaillent sur leur territoire. Selon elles, les données réelles sont beaucoup plus élevées. De nombreux décès survenant dans les villages ne sont même pas signalés aux services médicaux. Dans certaines des régions les plus touchées par l’orpaillage, les équipes de santé ont été expulsées et ne peuvent pas fournir de soins ni compter les morts. Cela conduit à des cas comme celui de la région d’Homoxi, où le poste de santé, investi par des criminels, est devenu un dépôt de carburant et a été incendié par les orpailleurs en décembre, en représailles à une opération de la Police fédérale visant à combattre leurs activités illégales. Selon les statistiques, aucun enfant n’y est mal nourri, ce qui ne correspond pas à la réalité. Comme il n’y a pas de suivi par les équipes de santé, il n’y a pas non plus de données. Les enfants qui ont faim, qui tombent malades et qui meurent sont souvent également effacés du système. L’effacement statistique est un moyen supplémentaire de promouvoir la mort.

L’hélicoptère utilisé pour l’évacuation des patients dans les zones reculées, où les plus gros appareils ne peuvent pas se rendre, a été en panne pendant 10 jours entre le 24 décembre et le 4 janvier. Endommagé, son remplacement a pris énormément de temps. Au cours de cette période, selon les dignitaires et les professionnels entendus dans le cadre du reportage, au moins huit personnes sont mortes - quatre dans la région de Surucucu et quatre chez les Sanöma. Dans les statistiques officielles, on ne compte pourtant que trois enfants morts entre le 24 et le 27 décembre. Cinq décès sont donc dans le noir statistique.

« A Koraimatiu, je viens de recevoir la nouvelle que l’hélicoptère a porté secours, mais qu’il restait 4 corps », prévient le message d’un professionnel de la santé qui nous est parvenu début janvier, juste après le retour de l’hélicoptère. Il décrit un scénario de guerre. La communauté ne pouvait même pas organiser la cérémonie de crémation des morts par manque de personnes en bonne santé. « À Porapë, quatre personnes sont mortes. Je viens d’apprendre qu’un autre enfant est mort. Le tuxaua [chef] est mort aussi. Nous devons atteindre ceux qui sont les plus éloignés des pistes d’atterrissage » poursuit la même source dans le message dans lequel elle appelle à l’aide.

L’équipe de reportage de SUMAÚMA a interrogé le ministère de la Santé le 6 janvier sur la situation en territoire Yanomami. La réponse avec les données officielles n’a été envoyée que le 18 janvier. La semaine dernière, le gouvernement Lula, qui a hérité des années de négligence délibérée du gouvernement de Jair Bolsonaro, a mis en place à la hâte un groupe de travail, avec des spécialistes de Brasilia et de Boa Vista, pour évaluer la tragédie en Terre autochtone Yanomami. Depuis le début de la semaine, ils se rendent dans les régions les plus touchées pour mettre en place un plan d’action et tenter d’éviter de nouveaux décès. Une cellule de crise, comme celle mise en place en temps de guerre - ou lors de crises comme celle du covid-19 - fonctionnera pour conseiller les équipes de santé. Ils devront également évaluer dans quelle mesure les données du système du ministère de la santé correspondent à la réalité. Le défi de la reconstruction du système de santé ne sera toutefois pas facile à relever. Sur le territoire où la criminalité a opéré librement ces dernières années, des structures ont été détruites.

« La seule nourriture que les antennes des centres de santé peuvent donner aux Yanomami malades c’est du riz et seulement du riz, rien de nutritif », a déclaré un autre professionnel, qui s’est rendu plusieurs fois sur le territoire au cours de l’année écoulée. « Il n’y avait pas de médicaments, pas d’analgésique, rien n’arrivait. Les vers sortaient de la bouche des enfants. Nous devrons recommencer à zéro, encore une fois. Les Yanomami ont été abandonnés à leur propre sort. »

Un autre agent de recensement, qui a travaillé sur le territoire pendant des décennies et revenu l’année dernière, déclare que la « situation est déchirante ». « Les professionnels de santé travaillent dans des conditions inhumaines. Des postes de santé avec des gouttières, sans eau potable ni lumière. Les professionnels doivent parfois marcher plus de 300 mètres pour aller chercher de l’eau dans un seau. Il y a un manque de médicaments de base », a-t-elle déclaré. « Les gens sont tellement affamés, tellement faméliques. Même le travail de l’IBGE était difficile. Lorsque nous devions rester pour la nuit, à l’heure du dîner, le village entier mourant de faim, l’équipe partageait le peu qu’elle avait apporté avec elle. Il n’est plus possible d’attendre encore et encore ».

Voir en ligne : Não estamos conseguindo contar os corpos

Photo d’enfants Yanomami.
Crédit : Sumaúma

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