Du Valongo aux quilombos : lieux de mémoire et symboles de résistance afro-brésiliens (2/3)

 | Par Nicolas Quirion

Comment passer du statut ambigu de victime, à celui d’agent actif d’une lutte d’émancipation ? Au Brésil, les récits consacrés attribuent l’abolition de l’esclavage à l’ingérence de puissances étrangères ainsi qu’aux bons sentiments de la famille impériale. Toutefois, certains lieux historiques, comme l’ancien quilombo de Palmares, peuvent contribuer à présenter une autre facette de l’histoire.

Dans l’article précédent, nous avons vu comment d’anciens quais par lesquels arrivèrent près d’un million d’Africains à Rio de Janeiro étaient en train de devenir le centre d’un circuit de « lieux de mémoire » dédiés à la reconnaissance du crime historique que fut l’esclavage. Nous avons également essayé de montrer comment des critiques émergeaient concernant la valorisation du passé historique dans un quartier ciblé par une opération de revitalisation urbaine peu soucieuse du sort de ses habitants les plus démunis.

Par ailleurs, de façon plus générale (et ce sera là le point de départ de ce nouvel article), des voix s’élèvent avec toujours plus de véhémence pour dénoncer un récit univoque de l’histoire : les Africains massivement déportés vers le Brésil n’auraient été que les victimes passives du trafic négrier, puis une force de travail soumise aux maîtres blancs. Or, cette vision des choses revient à négliger, voire à effacer, tout un passé de lutte et de résistance menées sur le sol brésilien par ceux-là mêmes qui souffraient du système esclavagiste. On sait pourtant à quel point il est essentiel pour une population de se sentir et d’être perçue comme artisan de son propre destin.

Au Brésil, le quilombo représente un territoire caractéristique rappelant de manière très vive l’histoire de cette résistance et qui, d’une certaine manière, la perpétue. Selon l’acceptation retenue, les quilombos (parfois également appelés mocambos) furent des communautés formées par des individus fuyant la tyrannie esclavagiste. C’est l’équivalent de ce que l’on connait en français sous le nom de « marronnage », ou encore de « palenque » dans certains pays d’Amérique hispanophones. Mais ce terme générique recouvre une palette d’expériences et de réalités très différentes. Certains quilombos s’établirent dans des zones très reculées de l’immense territoire sud-américain, développant des cultures autarciques dont on ne sait rien ou presque. D’autres s’apparentaient à de véritables cités-États, souvent impliqués dans de violents conflits avec le pouvoir officiel. D’autres encore purent à certains moments bénéficier d’une certaine tolérance, voire entretenir des rapports commerciaux et culturels plus ou moins étroits avec la société extérieure.

On imagine donc fort bien à quel point les formes d’organisation et la qualité de vie ont pu y varier selon les cas et les époques, combien les conditions fortement adverses et les persécutions ont dû rendre ces tentatives d’émancipation âpres et complexes. Reste que dans le Brésil d’aujourd’hui, pour bon nombre des descendants d’Africains qui furent réduits à l’esclavage, le quilombo représente le symbole intemporel de résistance à l’oppression raciale, paré d’une aura libertaire et identitaire.

En effet, comme nous l’avons déjà dit dans l’article précédent, le Brésil a été le dernier pays des Amériques à abolir cette forme particulièrement odieuse de servilité. Le récit historique habituel retient le fait qu’au XIXe siècle, devant la déferlante du capitalisme moderne, l’esclavage devint peu à peu un modèle économique suranné. L’Angleterre exerça pendant des décennies une pression très forte sur le Brésil afin que celui-ci mette fin au trafic négrier dans l’Atlantique, allant jusqu’à couler des navires chargés de cette indésirable « marchandise humaine » (ce qui montre, s’il en est besoin, que les discours humanistes souvent mobilisés dissimulaient mal le projet impérialiste d’un pays alors fer-de-lance de la modernité marchande européenne). Or, en terres brésiliennes, une élite économique farouchement attachée au modèle traditionnel d’exploitation de l’humain pesa de toutes ses forces contre les idées abolitionnistes, qui faisaient toujours plus d’adeptes dans la société. Pour cette raison, la transition s’étendit sur des décennies, de façon complexe et graduelle. Ce n’est qu’en 1888 que la princesse Isabelle signa la Loi d’Or (Lei Áurea), qui abolit définitivement la captivité des Noirs.

On le voit bien, ce récit (en général bien connus des Brésiliens dans ses grandes lignes) ne laisse aucune place à l’action contestatrice des Africains réduits à l’état d’esclaves. Depuis des années, l’un des grands objectifs des militants de la cause noire consiste justement à tenter de réinscrire les actes de lutte et de rébellion au cœur de la narration du processus de libération. Une lutte qui trouverait de nos jours son prolongement dans la résistance à l’écrasante domination des classes aisées — où les individus à la peau claire sont encore très largement surreprésentés.

Voir en ligne : Carnet du Brésil

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