« Canudos ne s’est pas rendu » : au cœur du quartier du Bixiga, la lutte du Théâtre Oficina.

 | Par Luanda Vannuchi

Phrase célèbre de Euclides da Cunha (Os Sertões - Hautes Terres) sur la résistance de la ville de Canudos contre l’armée de la jeune République Brésilienne. Une des guerres les plus sanglantes de l’Histoire du Brésil et une mythologie de la résistance populaire au Brésil.

Os Sertões inspire l’un des projet du groupe de théatre Oficina, un projet pour lequel le groupe est devenu mondialement connu. Cette oeuvre est aussi la réponse et la résistance du Théâtre contre le groupe de développement immobilier de Silvio Santos. Une guerre qui dure depuis 40 ans.

Traduction de Regina M. A. Machado
Relecture Luc Duffles Aldon

Traduction de Regina M. A. Machado
Relecture Luc Duffles Aldon

Qui accompagne la bataille qui se déroule depuis plus de 30 ans entre la compagnie du Théâtre Oficina et le Grupo Silvio Santos (SISAN), pour l’appropriation de son terrain au cœur du quartier du Bixiga, sait que le groupe dee théâtre a subi un important revers entre la fin 2018 et le début de cette année.

La mobilisation croissante des habitants du quartier et de la société civile s’intensifie aux côtés du Teatro Oficina [1], et le conseil municipal évalue un projet de loi qui transforme le terrain appartenant au groupe SISAN en parc public. Pourtant, un projet immobilier d’occupation du terrain par trois tours d’habitation d’une hauteur de 100m a déjà été approuvé par les organes responsables de la préservation du patrimoine historique, environnemental et architectonique aux niveaux municipal et régional (ou qui devrait l’être). Le CONPRESP, le CONCEPHAAT et l’IPHAN avaient eu cependant des projets de protection pour l’aire en question.

Gabriela di Bella / Folhapress.

En 1982, l’ouverture d’un processus de classement du Théâtre Oficina avait amorcé une longue stratégie de mobilisation des organes de protection du patrimoine pour préserver le théâtre et empêcher une développement immobilière prédatrice, s’attaquant non seulement aux terrains du Théâtre Oficina, mais aussi pouvant défigurer le tracé urbain et architectonique de tout le quartier, ainsi que son dynamisme social et son intense vie culturelle. L’approbation du projet dans les trois instances de décision a représenté un tournant définitif dans l’attitude de ces organismes.

Divers avis contraires à la construction des tours, émis par des techniciens et spécialistes, pointaient vers les risques que le projet impliquait pour le quartier et pour le patrimoine classé. Parmi eux, l’avis présenté au CONDEPHAAT par la professeure Sarah Feldman, représentante de l’Institut des Architectes du Brésil (IAB). Malgré tout, le projet a été approuvé par une majorité absolue. Comment est-ce possible ?

Les détails de chaque classement ont déjà été discutés ici et ne seront pas repris, mais il n’est pas exagéré de rappeler que ces dernières années on a assisté au démontage et à l’appareillement politique de la bureaucratie des organes responsable du patrimoine dans les trois instances, plus ou moins explicitement. Ces événements sont régulièrement reportés par les grands média, ayant parfois entraîné des actions civiles publiques, des interventions judiciaires et même des crises dans le pouvoir exécutif.

Le cas le plus connu est sans doute celui du ministre de la culture du gouvernement Temer, Marcelo Calero, qui en 2016 a accusé le ministre secrétaire du gouvernement, Geddel Vieira, d’exercer une pression sur l’IPHAN. Geddel aurait voulu obtenir l’approbation d’un luxueux projet immobilier dans une aire classée à Salvador, Bahia, dans lequel lui, Geddel, aurait acquis un appartement sur plan. Largement diffusée, l’affaire a abouti à la chute du ministre Calero.

Geddel est actuellemnt en prison, arrêté par l’opération Lava-Jato [2], mais ça c’est une autre histoire. Si cette affaire n’est pas en relation directe avec le Bixiga, elle apporte des évidences de ce qui se passe dans les coulisses où, en dehors du contrôle social, des décisions sont prises à l’intérieur des organismes fédéraux.

Dans l’Etat de Sao Paulo, le CONDEPHAAT a subi depuis 2017 deux altérations dans sa composition, réduisant le poids de la participation des universités et des entités de classe et augmentant le pouvoir de décision des organes publics dans les scrutins. La première a été proposée par le gouverneur d’alors, Geraldo Alckmin qui, avec la justificative d’offrir une meilleure qualification technique au Conseil, a rajouté trois chaires à la participation des organes publics dans le Conseil. Dans le cas du terrain du Bixiga, ça a permis que le projet de construction des tours, déjà rejeté en 2016, fût remis en scrutin et, cette fois-ci, approuvé.

Maintenant, en 2019, le gouverneur qui venait de prendre ses fonctions, Joao Doria, est allé encore plus loin. Il a émis un décret réduisant effectivement la représentation de l’Université de 12 à 4 chaires au sein du conseil et en altérant les règles pour l’indication de ses représentants. Auparavant chaque département représenté - Architecture et Urbanisme, Géographie, Histoire et Anthropologie ou Sociologie, pour les universités « paulistas » les universités fédérales de Sao Paulo (USP) et Campinas (UNICAMP) et l’université de l’état (UNESP) – indiquait son représentant au Conseil. Maintenant c’est le gouverneur qui choisit un représentant unique pour chaque université, sur la base d’une « liste triple » que chacune aura établie (la quatrième chaire revient à l’Université fédéral de l’État de Sao Paulo, désormais membre du Conseil). Cette intervention, assez autoritaire, a provoqué des réactions, telle une pétition par les membres de la communauté académique, avec plus de 2 milles signatures et une demande d’explication du Ministère Public de l’Etat de Sao Paulo (MPSP) a abouti dans un premier moment à une injonction abrogeant ces altérations, mais elle n’a été publiée qu’en juin, où la nouvelle composition était déjà effective.

Enfin, le CONPRESP a aussi fait l’objet d’une action du Ministère public, avec intervention judiciaire en 2017, où alors des représentants de l’IAB-de l’état de Sao Paulo se sont retirés du Conseil. Ils arguaient que les demandes de préservation du patrimoine étaient ignorées dans les scrutins, face à la hâte du pouvoir public à approuver ses projets. A l’époque, un reportage détaillé de la Revista Exame a montré comment, sous la nouvelle gestion municipale, l’ordre était donné à l’organe chargé du patrimoine de débloquer largement dans ce sens.

C’est dans ce décor/scénario politique que, entre décembre 2018 et février 2019, le projet des tours du groupe SISAN, jusqu’alors systématiquement refusé et questionné par les organes du patrimoine, a été finalement approuvé. E c’est aussi dans ce cadre, où les organes du patrimoine ne semblent plus remplir leur fonction, que le MPSP a décidé d’intervenir avec une action civile publique, demandant que les travaux dans le terrain ne soient pas approuvés par la mairie ou démarrées par les entreprises responsables, jusqu’à ce que leurs possibles impacts sur le quartier soient effectivement mesurés.

La mesure cherche à éviter une lésion au patrimoine historique, culturel, artistique, architectonique et urbanistique du Teatro Oficina, des quartiers de Bela Vista, Bixiga, Casa Dona Yaya, Castelinho da Brigadeiro, du Teatro Brasileiro de Comédia et de l’Ecole de Primeiras Letras, tous des biens classés par le CONCEPHAAT et proches du terrain. Selon le MPSP, ces bâtiments pourraient avoir un impact sur le voisinage, outre des risques pour l’intégrité physique du Teatro Oficina, en raison des excavations des sous-sols. En outre, l’avis du MPSP considère que la nouvelle entreprise entraînerait des altérations dans l’usage et occupation du sol dans le terrain et dans la surface classée du Bixiga.

La décision judiciaire a suivi la requête et, à travers une injonction, impose la peine d’une amende journalière de R$ 5 mille et la démolition et retrait des travaux en cas de désobéissance. Elle a déterminé aussi le besoin d’élaborer une étude minutieuse sur l’insertion du projet immobilier dans le terrain, « ouvrant la possibilité de réaliser des expertises directes et indirectes pour établir si, effectivement l’entreprise en vue provoquera des dommages à l’environnement et au patrimoine historique, culturel, artistique, architectonique et urbanistique de la ville de Sao Paulo ». La décision laisse ouverte la possibilité de, après études, conclure par l’autorisation de la construction ou non. Soit, ce qui est déterminé est que la décision ne soit pas prise à la hâte et sous la pression du pouvoir exécutif, sans égard pour le tissu urbain qui la recevrait.

Au-delà de cette injonction, il faut noter que jamais auparavant le Teatro Oficina n’a été aussi fort et bien entouré dans la dispute pour le terrain. Dans les décennies précédentes, la compagnie théâtrale s’était trouvée seule dans la lutte contre les projets immobiliers du géant SISAN, ouvrant au public, aux média et portant sur la scène la dimension politique de cette dispute. Un exemple en est le montage historique du roman Os Sertões (Hautes Terres), de Euclides da Cunha, où le Teatro Officina a mis en scène la Guerre de Canudos comme une lutte pour la terre dans le quartier. Ces dernières années, d’importantes alliances se sont consolidées dans la défense non seulement du terrain, mais de tout ce territoire.

En premier lieu, le quartier entier s’est impliqué dans la lutte. Jusque là, d’autres groupes culturels, les habitants, les commerçants et des associations agissant aux alentours, s’étaient montrés vaguement réticents à ce premier projet du Groupe Silvio Santos dans le quartier. Désormais, la construction d’un centre commercial sur un terrain de 11 mille mètres carrés, est rejetée en bloc, avec les tours résidentielles projetées. Si dans les années 1990 et jusqu’au début des années 2000, l’idée d’un centre commercial pouvait séduire la communauté du quartier du Bixiga, comme quelque chose supposée créer des emplois et des options de loisir, un ensemble de luxueuses tours d’habitation avec plus de 1300 places de garage n’a déjà plus ce charme.

Il est arrivé aussi que ces dernières années Sao Paulo est passé par un processus de revalorisation des espaces publics, ce qui a mis en évidence l’absence d’espaces verts et d’espaces publics de qualité dans le Bixiga, un quartier densément peuplé, populaire et central. Dans ce contexte, face au refus du projet des tours par la communauté, et les questionnements sur quoi faire des terrains, le quartier s’est permis de rêver une destinée différente pour son unique aire libre : un espace ouvert et commun, un espace vert, un espace de socialisation et de rencontres, enfin, un parc – le Parc du Bixiga. C’est dans ces conditions que le PS 805/2017, rédigé par des membres de la communauté, a été envoyé par le conseiller Gilberto Natalini au Conseil Municipal, où la procédure n’a pas avancé depuis 2017.

Est venu s’ajouter à ce processus le fait que, pas très loin, au bout de la Rue Augusta, un terrain également privé a été transformé en parc public après des années de lutte menée par des groupes hétérogènes, qui se sont unis pour rejeter une proposition de construction d’immeubles privés dans une aire d’indéniable intérêt environnemental pour le quartier et pour la ville.

En résumé, ça fait des années que le débat sur le futur du terrain du Bixiga est bien plus qu’un objet de dispute entre le Teatro Oficina et le Groupe Silvio Santos. Une première version du projet du Parc du Bixiga, ébauchée en partenariat avec les architectes de la Escola da Cidade a été présentée au théâtre début juin. Ce projet, qui donne visibilité au ruisseau du Bixiga, qui ruisselle actuellement dans les canalisations des souterrains, a donné lieu à un beau rituel réunissant les habitants du quartier, des groupes culturels, des artistes, des architectes renommés, des mouvement écologistes, des mouvements pour le droit au logement, des géographes, des conseillers municipaux, des Père de saint, des éducateurs, les enfants du voisinage, des activistes pour d’autres parcs, enfin, un grand nombre de personnes motivés par l’idée que le dernier morceau de terre libre dans la région centrale pouvait devenir un bien commun si on luttait pour ça.

— 
Luanda Villas Boas Vannuchi est géographe, maître en Etudes d’Urbanisme par la Vrije Universiteit Brussel et doctorante en Planification urbaine et régionale par la FAU/USP.

Voir en ligne : LabCidade

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