Au Brésil, les mouvements sociaux semblent avoir appris comment agir avec Lula

 | Par Eliane Brum, Sumaúma

Les quelques 30 000 personnes qui ont occupé Belém pendant le Sommet pour l’Amazonie ont insufflé une bouffée d’air sur la nuque du Président, démontrant ainsi la différence entre soutenir le gouvernement sous conditions et être le gouvernement sans condition - une étape salutaire vers la maturation démocratique.

Traduction et relecture pour Autres Brésils : Philippe ALDON et Du DUFFLES

Autres Brésils propose une traduction par semaine, choisie par l’équipe éditoriale de Sumaúma. Pour mieux connaître Sumaúma voir en fin d’article

À quoi ressemblerait un troisième mandat de Luiz Inácio Lula da Silva après une interruption de 12 ans entre janvier 2011 et janvier 2023 et une autre interruption de six ans et demi sans le PT au pouvoir, période ayant compté une destitution, un vice-président putschiste et, quatre ans durant, le fascisme de Jair Bolsonaro ?

Le monde que Lula a quitté fin 2010 était très différent de celui dans lequel il est revenu au pouvoir en 2023. Comment ferait-t-il face à cela, dans les conditions précaires d’un retour au palais du Planalto, marqué par une victoire étriquée et le soutien d’une ample coalition qui porte bien son nom ? Comment négocierait-il avec un Congrès prédateur qui, sur la plupart des questions, peut être hostile ou non, en fonction des montants alloués aux parlementaires, et qui, de fait, se révèle plus idéologique dans son conservatisme des agendas culturels, en particulier ceux qui concernent le genre et l’appartenance ethnique ?

Lire aussi la série Belo Monte : Lula au pied du mur. Sumaúma, traduit par Autres Brésils

Il y avait beaucoup de points d’interrogation - et il en reste encore. Mais au moins, une réponse devient déjà plus claire : les mouvements sociaux semblent avoir appris à ne pas se laisser coopter, comme ce fut le cas avec les précédents gouvernements du PT. Les dirigeants autochtones, qui occupent pour la première fois des postes de premier et de second rang au sein du pouvoir central, se sont efforcés de faire la différence entre « être » au gouvernement et « être » le gouvernement.

Il est encore trop tôt pour savoir quelle direction ces relations prendront, mais la courbe d’apprentissage est claire. Le moment le plus explicite a été celui des Dialogues Amazoniens, qui ont précédé le Sommet de l’Amazonie et se sont tenus à Belém au début du mois d’août. Près de 30 000 personnes, issues de la société civile organisée et des mouvements autochtones, ont occupé la capitale du Pará qui accueillera la COP-30 en 2025. Ce fut une bouffée d’air populaire insufflée sur la nuque de Lula, qui vit peut-être un nouveau moment de sa longue carrière politique. S’il bénéficie du soutien de la majorité des mouvements populaires, celui-ci est beaucoup moins inconditionnel qu’il ne l’était sous les gouvernements précédents. Il s’agit d’un soutien tactique et prudent, d’un soutien jusqu’à la page 2, dépendant des actes propres au gouvernement.

On peut penser qu’aujourd’hui, alors que près de la moitié des électeurs brésiliens ont voté pour un fascisme fortement représenté au Congrès, Lula dépend plus des mouvements sociaux que les mouvements sociaux ne dépendent de lui. En maintenant avec le gouvernement une distance salutaire et ceci pour les deux camps - même s’ils le soutiennent, les mouvements montrent que leur expérience démocratique a mûri et qu’ils ont appris à résister dans des conditions extrêmes - celles acquises sous le gouvernement génocidaire de l’extrémiste de droite Jair Bolsonaro, lors d’une pandémie. Tout en étant brutale, cette expérience a appris à la société organisée à s’unir malgré les différences (même si, dans certains cas, elle est en train de l’oublier) et à trouver ses moyens propres de résister au gouvernement, de faire face à l’adversité, de créer d’autres instruments de lutte et, en fin de compte, de survivre.

Tout cet apprentissage semble se refléter aujourd’hui dans ce moment délicat pour le Brésil, où rien n’est garanti, alors que la guerre se poursuit sur le terrain en Amazonie et dans tout le Brésil, les forces fascistes se préparent à garantir leur continuité dans les structures de pouvoir des villes lors des élections de 2024 et leur retour au pouvoir central en 2026. La société civile organisée sait qu’elle ne peut pas baisser la garde, quel que soit le scénario. C’est le sens du reportage de fond de l’envoyée spéciale de SUMAÚMA, Claudia Antunes, qui a suivi de l’intérieur les gestes et les discours des Dialogues Amazoniens pour offrir dans cette lettre d’information à nos lecteurs, une analyse qui va au-delà de la couverture factuelle.

Selon un article de Folha de S. Paulo, Lula se plaindrait du « climat tiède » des mouvements sociaux. Cela s’explique en partie par le fait que depuis les manifestations de juin 2013, il est devenu évident que le PT avait perdu la rue, en grande partie parce qu’il pensait que son maintien au pouvoir était garanti et qu’il n’avait plus besoin des mobilisations de base. La réalité montre cependant que le climat n’était pas du tout tiède lors des Dialogues Amazoniens, qui ont précédé le Sommet de l’Amazonie. Le problème tient au fait que, s’agissant de l’exploration pétrolière en Amazonie, la position majoritaire des mouvements sociaux est contraire à celle de Lula et d’une partie de son gouvernement. Si Lula attend des mouvements sociaux qu’ils se comportent comme des animaux de compagnie du gouvernement, il se trompe.

L’une des meilleures journalistes du Brésil, qui compte 40 ans d’expérience en tant que reporter et rédactrice de grands journaux et du magazine Piauí, Claudia s’est attachée pour SUMAÚMA à suivre les défis de la transition énergétique et les conflits autour de l’économie forestière. C’est elle qui a montré, dès le mois de février, que la question de l’exploration pétrolière dans le bassin situé à l’embouchure de l’Amazone, sur ce qu’on appelle la marge équatoriale, serait le premier affrontement majeur au sein du gouvernement Lula. Grâce à son souci du détail et à sa rigueur d’épuration, Claudia ne s’est pas laissé abuser, comme une grande partie de la presse spécialisée, par les manœuvres du ministre des Mines et de l’énergie, Alexandre Silveira. Avec la complicité du Ministère public fédéral, il a tenté de faire obstruction à la ministre de l’Environnement et du changement climatique, Marina Silva. Claudia Antunes explique également dans cette lettre d’information les subtilités de cette manœuvre politique visant à gagner le débat en coulisses.

La manœuvre a été réalisée deux jours seulement après divulgation de l’une des meilleures nouvelles d’une planète qui en manque et qui connaît actuellement de folles vagues de chaleur et de sécheresse en ce début d’El Niño qui accélère et aggrave le changement climatique : le peuple équatorien a dit non à l’exploration pétrolière dans le Parc national de Yasuní, dans la forêt amazonienne. Dans un article de ce numéro, Jonathan Watts, codirecteur de SUMAÚMA et directeur des relations internationales, montre que le choix du peuple équatorien en faveur de la vie doit être considéré comme un message adressé aux dirigeants de la Pan-Amazonie et en particulier à Lula. Si la question était soumise au vote au Brésil, le choix populaire serait probablement le même. La société brésilienne s’accorde de plus en plus à dire que si l’Amazonie et le pétrole peuvent faire partie de la même phrase, ils ne peuvent plus faire partie de la vie.

Parc national du Cap Orange, au large de la côte de l’État d’Amapá. Les mangroves, les forêts tropicales et le système de récifs amazoniens sont des biomes menacés par l’exploration pétrolière de l’embouchure de l’Amazone. Photo : Victor Moriyama/Greenpeace

Si Lula et l’aile pro-énergie fossile de son gouvernement ne veulent pas écouter le peuple, ils devraient au moins écouter la science. SUMAÚMA a publié le même jour que la prestigieuse revue Nature la nouvelle étude d’un groupe de scientifiques, dirigé par Luciana Gatti, de l’Institut national de recherche spatiale (INPE) : le gouvernement Bolsonaro a eu un impact équivalent au pire El Niño jamais enregistré - et la forêt amazonienne ne peut plus absorber les dommages causés par l’homme. Le fait qu’avec tant de preuves, dont la plupart sont visibles à l’œil nu, le débat central de ce gouvernement se réduise à un nouveau front d’exploration pétrolière en Amazonie constitue un crime contre les nouvelles générations - humaines et non humaines.

Jusqu’à récemment, la capitale symbolique de l’Amazonie légale était Manaus, dans l’État d’Amazonas. Aujourd’hui, ce titre a clairement migré vers Belém. Le mérite en revient en grande partie à l’actuel gouverneur du Pará, Helder Barbalho (MDB), qui a été réélu au premier tour des élections de 2022 avec plus de 70 % des voix. Très habile politiquement et ennemi implacable de ses adversaires, l’héritier de l’oligarchie Barbalho, l’une des plus notoires du Brésil, parvient à trouver un curieux équilibre entre les vieilles pratiques politiques développées par son père, le sénateur Jader Barbalho (MDB), et le discours « vert » du développement durable. Et ce, dans l’un des États les plus déboisés et les plus violents d’Amazonie. Soutien de Lula au second tour, le « roi du Nord » a obtenu l’appui du président pour amener la COP-30 à Belém. Dans ce numéro, la journaliste Malu Delgado, rédactrice en chef de SUMAÚMA, commence à dévoiler cette personnalité politique complexe, actuellement en pleine ascension au Brésil.


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Voir en ligne : Os movimentos sociais parecem ter aprendido a lidar com Lula

Forte mobilisation de la jeunesse autochtone, de la jeunesse quilombola, et autres mouvements sociaux lors du Sommet pour l’Amazonie. Photo : Carlos Borges/SUMAÚMA

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