Au Brésil, convergence vers la terreur - Capitalisme et Covid-19

 | Par Marildo Menegat

Les crises cycliques du capitalisme ont toujours produit des situations destructrices avec des régressions vers la barbarie. Mais ces crises ne sont pas seulement cycliques. Elles s’accumulent également et deviennent de plus en plus des crises systémiques et structurelles, où la régression vers la barbarie est de plus en plus permanente. Nous vivons déjà dans une situation de barbarie permanente, où le système capitaliste du patriarcat producteur de marchandises insiste pour fonctionner avec la même logique, même si l’humanité et la nature n’y survivent pas.

C’est l’une des thèses centrales du livre A Crítica do Capitalismo em Tempos de Catástrofe (La critique du capitalisme au temps de la catastrophe ; éditions Consequencia), de Marildo Menegat, professeur de philosophie à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), qui participe des débats autour du courant de la critique de la valeur-dissociation au Brésil. « Pour continuer à maintenir le travail, la production de biens et la circulation de l’argent comme fondements de cette société, nous devons détruire l’humanité et la nature », dit-il. Il analyse également la situation brésilienne dans ce scénario de barbarie permanente à l’échelle mondiale. Pour lui, la victoire de Bolsonaro est l’expression politique d’un effondrement social. Selon les critères des Nations unies, le nombre de violences au Brésil caractérise déjà une situation de guerre civile de faible intensité. Menegat attire l’attention sur le rôle des militaires dans ce scénario et sur leur expérience en Haïti :

« Alors que le capitalisme s’effondre dans le monde entier, y compris en Amérique latine - voir les cas du Venezuela, de l’Argentine et, dans une certaine mesure, du Brésil - il est nécessaire de garantir des espaces territoriaux où il peut encore s’accumuler. En Haïti, l’armée brésilienne s’est entraînée pour y parvenir non seulement au Brésil, mais aussi dans toute l’Amérique latine. Le Venezuela, éventuellement, sera une continuation de cette expérience ».

L’occasion fera définitivement de l’exception la règle. Le Covid-19 crée une mobilisation opportune pour un état de guerre. Il s’agit d’une situation d’urgence, bien qu’elle puisse être abordée sous un autre angle. La maladie exige des soins et une large divulgation de ses causes, et non des soldats et des lois martiales. Ce n’est pas un hasard si ce sont les armées et la police qui, avec le savoir médical, organisent et imposent l’ordre. De toutes les disciplines, la médecine est peut-être l’une des plus favorables au pouvoir et le partenaire des longs voyages au sein des marches militaires. Chaque fois qu’une situation catastrophique est ordonnée par la force, c’est le patriarcat moderne qui est en place et qui se recompose pour les étapes suivantes, même s’il est totalement impliqué dans les causes du fléau. De la Chine aux États-Unis, en passant par l’Europe, les lois martiales qui arrêtent ou mettent à l’amende ceux qui sortent de quarantaine n’ont rien d’un exercice d’autonomie dont les défenseurs du sujet de la modernité ont été si fiers dans le passé. Albert Camus, dans une de ses nouvelles, commente la différence entre une solitude choisie ‒ en l’occurrence, l’isolement comme meilleur moyen de préserver la vie ‒ et une solitude imposée ‒ à travers quelqu’un qui avertit subliminalement qu’il a le pouvoir de mort sur tous.

En principe, les lois martiales visent à sauver des vies mais la raison de fond de ces contraintes c’est de préserver les meilleures conditions pour le rétablissement et la continuité du mécanisme d’ accumulation du capital. Par conséquent, ce ne sont pas les vies humaines qui importent. Ce même système, qui, momentanément affiche une apparente bienveillance, poursuivait peu avant sa politique de démantèlement total des systèmes publics de santé. Les masses superflues de misérables que le capitalisme produit savent depuis longtemps que, pour lui, leurs vies ne valent rien, et que, si elles méritent quelques soins maintenant, c’est pour que leurs corps affamés ne servent pas de moyen de propagation au virus. La société bourgeoise n’a pas pour but de réaliser une quelconque finalité plus élevée de la condition humaine ; au contraire, la manière dont cette société utilise les êtres humains est totalement orientée vers les nécessités de l’argent et de sa domination impersonnelle. La mobilisation et l’extension de l’anxiété à la totalité sociale, comme un moyen d’action par le passage d’un état nerveux à un autre, sans jamais aboutir à une réflexion, remplit précisément la fonction qui était autrefois occupée par l’idéologie, celle de préserver le système du chaos que la mort en masse produirait, grâce la vigilance déployée par des dispositifs d’intelligence artificielle. Entre l’aveuglement du virus, qui est un agent de la nature, et l’aveuglement du système producteur de marchandises, s’est créée une convergence pour laquelle toute la terreur sera légitime.

Le conflit entre les défenseurs de la quarantaine horizontale, promulguée par lois d’exception, et les défenseurs de la quarantaine verticale, pour lesquels l’épidémie est abandonnée à son sort, représente les deux faces de la même médaille. L’effort pour donner un aspect humain à l’imposition de la quarantaine ne cache pas son hypocrisie : les mêmes Italiens, Espagnols, Français, etc., qui défendent désormais ces mesures, n’hésitaient pas il y a quelques semaines à renvoyer des bateaux bondés de réfugiés qui fuyaient, précisément, la mort. D’un autre côté, ceux qui défendent le retour immédiat à la production (même s’il ne s’expriment pas pour l’instant, il est bon de rappeler qu’ils existent et qu’ils sont nombreux) pensent que le futur scénario de guerre, avec des millions de morts dans le monde entier, est un sacrifice à prix raisonnable pour que le capitalisme ne s’effondre pas une fois pour toutes. Ce qui les hante ce n’ est pas le nombre de morts, mais plutôt les données économiques récentes de l’année précédente (2019), donc ce qui précède l’épidémie de Covid-19. La tendance à la récession mondiale était évidente même pour les moins avertis. Les difficultés grandissantes et insurmontables de l’économie chinoise ne datent pas d’hier. Le niveau d’endettement de l’État et de la plupart des entreprises n’a plus de chance d’être financé par les jeux de bulles spéculatives. Cette même réalité laisse l’Europe et les États-Unis sans sauvegarde ‒ et par conséquent le reste du monde. La dette publique de tous les États touche les 280 000 milliards de dollars, dans un monde où le PIB ne dépasse pas les 80 000 milliards de dollars… Tous vivent au-dessus de leurs moyens. Le point crucial c’est que c’étaient la Chine et l’endettement de tous qui portaient sur leurs épaules depuis la crise de 2008 l’économie mondiale moribonde.

Les trains de mesures pris dans ce contexte par l’Union européenne et les États-Unis, visent essentiellement à sauver les marchés de l’éclatement de « la bulle des bulles » (qui s’est formée immédiatement après la crise de 2008) – c’est également cet événement que les experts de service ont qualifié de récession. En marge de cette économie de guerre (pour l’instant, semble-t-il, seul le virus est l’ennemi), la pauvreté augmente et continuera d’augmenter brutalement et le chômage, qui a gagné récemment les formes du travail précaire, reviendra sous son ancienne forme en tant que masse de sujets monétaires sans argent. Même les maladies des gens, indépendantes de l’action du virus Covid-19[1], atteignent des chiffres alarmants. La consommation d’anxiolytiques au Brésil, par exemple, atteint le niveau le plus élevé d’Amérique Latine. La vie était déjà malade avant l’arrivée du virus. Le Covid-19 n’est que le révélateur qui nous permet de comprendre que le capitalisme n’a rien d’autre à offrir à l’humanité.

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Voir en ligne : Palim-psao _ Convergence vers la terreur

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