La fin de l’automne me fait penser à Pagu [1]. Malgré toutes les recherches et les livres que j’ai écrit sur elle. Patricia Rehder Galvão reste un personnage porteur de beaucoup de scénarios et de fins ouvertes pour qui décide de se plonger dans son histoire.
Patricia est née le 9 juin 1910 à São João da Boa Vista, dans l’intérieur de l’Etat de São Paulo. D’après les astrologues, la femme gémeaux aurait une curiosité très pointue et serait réceptive à la modernité, à la communication et à la connaissance au sens large.
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Patricia est devenue Pagu, Pagu est devenue Patricia et je crois que cette dualité a toujours été présente dans ses nombreuses vies. Aujourd’hui, Pagu fêterait ses 111 ans mais Pagu, je le sais, n’a pas d’âge. Les personnes qui croient en leurs rêves, assument leurs passions et leurs angoisses et sont à la recherche de leurs rêves ne vieillissent pas.
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Pendant toute sa vie, elle n’a cessé de se révéler et de se réinventer. Elle était une femme du siècle dernier qui, aujourd’hui, serait moderne, post-moderne. Ses idées sont toujours actuelles, plus actuelles que jamais.
Elle était à la recherche de ce qui lui manquait, de manière frénétique : la complétude que nous perdons toutes et tous et à laquelle nous aspirons. Finalement, tandis qu’une partie de nous cherche la liberté d’être un individu complet, l’autre partie est sans cesse à la recherche de quelqu’un, d’une cause à laquelle remettre sa propre liberté.
La biographie de Patricia Galvão est extraordinaire. Elle s’est donnée corps et âme dans différents combats culturels et politiques, animée par des idéaux comme la justice sociale et la transformation de l’individu par la culture. Nous nous battons toujours pour cela, n’est-ce pas ?
De muse moderniste, amour de Oswald de Andrade, jusqu’à ses derniers jours dans notre Santos, Pagu est passée par des souffrances dans des prisons politiques - à cause de son engagement communiste et ensuite pour avoir été dissidente de cette même politique – par de nombreux voyages et d’innombrables tentatives d’être heureuse grâce à ses rêves.
En tant que biographe de Pagu, je pense que l’une des périodes les plus intenses a été justement son militantisme culturel. Dans les années 50, son mariage avec le journaliste Geraldo Ferraz l’a conduite à Santos, où elle a maintenu une intense activité de chroniqueuse et de critique littéraire, outre une implication de plus en plus grande dans sa passion, le théâtre amateur.
De nombreuses douleurs physiques et mentales ont accompagné sa trajectoire. Ses quêtes de femme libertaire paraitront sans doute illusoires à ceux qui croient en la dictature de l’impératif de la jouissance, individualiste et hédoniste. En cette année 2021, ses rêves de mondes imaginaires qui nous ouvrent des chemins et nous animent, nous donnant des raisons de désirer et de partir à la recherche de réalités meilleures, sont plus nécessaires que jamais.
Elle a encore beaucoup à nous dire, au travers d’une parole qui recherche des racines dans le terrain incertain et dangereux des actes, des pratiques, de l’existence, toujours comme une synthèse imparfaite. Ainsi, elle nous accompagne dans la lutte, la croyance, les valeurs, la passion, le désir et l’émotion.
Je sens que son histoire se poursuit, 111 ans plus tard, en chacun de nous qui part à la recherche de sa survie au moyen des rêves, des idées, de l’affectivité et des désirs, qui sont, en fin de compte, ce qui nous donne les conditions pour exister.
Pagu croyait en la vie qui s’écoule, en l’art qui demeure. Moi aussi. Entre ce qui passe et ce qui reste, les hommes tracent leur grandeur et leur dignité. Parler de Pagu c’est, encore une fois, évoquer dans ce paysage gris dans lequel nous vivons, l’espoir, la bonté, l’amour, l’effort généreux qui jamais ne cherche de récompense.
Et, comme elle, je dis : « Rêvez, quitte à faire des cauchemars s’il le faut, mais rêvez ».
(*) Lúcia Teixeira est écrivaine, psychologue, éducatrice, biographe de Pagu, nominée au Prix Jabuti et également Présidente de l’Université Sainte Cécile de Santos (SP)