Une majorité des députés fédéraux vote pour rendre impraticable la démarcation des terres autochtones

 | Par CIMI

Traduction résumée par Patrick Piro - pour Autres Brésils - de l’article de Marina Luísa Oliveira et Tiago Miotto, du service communication du Cimi (Conseil indigéniste missionnaire). 26 mai 2023
Relecture : Roger Guilloux

Alors que les peuples autochtones résistent pour maintenir les forêts sur pied, les rivières propres et même pour protéger leur propre vie, les parlementaires du groupe ruraliste Bancada ruralista [1]tentent systématiquement d’effacer par la voie législative tout l’historique des violations exercées contre les peuples autochtones et leurs territoires, à contrecourant de la marche du monde.

C’est le cas du projet de loi (PL) 490/2007, rédigé par le député Homero Pereira (PR/MT) – parlementaire aujourd’hui décédé –, qui doit désormais être examiné par le Sénat après avoir été voté le 30 mai dernier, suite à une procédure d’urgence approuvée mercredi 24 par la Chambre fédérale des députés, par 324 voix contre 131 et deux abstentions.

Le Cimi a analysé le vote de cette procédure d’urgence. La totalité des députés des six partis suivants l’ont approuvé : Républicains (38 voix), PSDB (14), PSC (3), Patriot (4), Avante (4) et Novo (3). Ont donné plus de 90 % de leurs voix : PL (85), PSD (33), União Brasil (46) et PP (40). Le MDB (34) et Podemos (10) pour leur part ont appuyé cette démarche anti-autochtone avec plus de 80% de leurs voix.

À l’opposé, la totalité des députés des cinq partis suivants s’est opposée à l’examen en urgence du projet : PT (62 voix), PSOL (11), PCdoB (7), PV (5) et Rede (1) ainsi qu’une majorité des parlementaires du PDT (12, soit 71 %) et du PSB (11, soit 85 %).

Et concernant les directives de vote, il faut mentionner en particulier la position du gouvernement. Bien qu’ayant indiqué qu’il adopterait « une autre orientation » à l’occasion du vote sur le fond, le gouvernement a laissé la liberté à son camp de se déterminer concernant le choix d’un vote d’urgence. Il faut dire que les différents qui traversent actuellement le Congrès et les divergences internes que connaît le gouvernement, du fait de sa composition hétérogène, compliquent l’affirmation d’une position de la part de de l’exécutif sur la question de la défense des droits autochtones, ainsi que la portée pratique de ses orientations.

Ainsi, cinq des neuf partis qui occupent des postes ministériels de premier plan ont voté en faveur de l’urgence : PSB, PDT, PSD, MDB et União Brasil, totalisant 120 des voix contre les droits des peuples autochtones. Quant aux autres partis du gouvernement Lula, opposés à l’examen en urgence, (PSOL, Rede, PCdoB et PT), ils n’ont totalisé que 114 voix à la Chambre.

Pour Cleber Buzatto, membre du Cimi Régional Sul, le résultat du vote « est une photographie du rapport de forces à la Chambre des députés ». Il est important de mettre en évidence la prise de position des partis avec leur pourcentage : pour toute élection future, quiconque vote pour un des partis qui a soutenu le PL 490 doit être conscient que, directement ou indirectement, sa voix agit contre les peuples autochtones. Ce vote en urgence est un indicateur très objectif de l’inquiétude des ennemis des peuples autochtones concernant la décision que prendra le Tribunal suprême fédéral [STF]. » L’instance judiciaire doit en effet reprendre ses débats le 7 juin pour statuer sur une affaire de démarcation dans l’État de la Santa Catarina, qui définira par extension, le cadre constitutionnel des opérations de démarcation des territoires autochtones dans tout le pays.
Dans une note collective, un groupe d’organisations religieuses alerte sur la contradiction gouvernementale. « Nous sommes perplexes devant le fait que le gouvernement fédéral, qui portait l’engagement de sauvegarder les droits des peuples autochtones et faire progresser leur mise en œuvre, n’ait donné aucune consigne de vote aux parlementaires de la coalition gouvernementale lors du vote de l’urgence sur ce projet de loi extrêmement préoccupant ».

D’autant plus que ce projet de loi est inconstitutionnel, selon un avis des conseillers juridiques du Cimi, puisque la Constitution fédérale ne peut pas être modifiée par voie de loi. En effet, le PL 490 prévoit une série de modifications qui touchent aux droits des peuples autochtones garantis par la Constitution fédérale de 1988, et rendant irréalisable, dans la pratique, la démarcation des terres autochtones. En outre, il modifie le « Statut de l’Indien » (loi 6.001/1973) et reprend des mesures inclues dans la proposition d’amendement à la Constitution (PEC) 215, déjà été adoptée par le Congrès, et qui représente l’une des principales menaces aux droits originels de ces peuples.

La PL 490/2007 ignore également le principe de la consultation « libre, préalable et informée », garantie aux peuples autochtones par la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), laissant la porte grande ouverte des territoires autochtones déjà délimités, à des entreprises prédatrices telles que l’agro-industrie, l’exploitation minière, la construction de routes et l’hydroélectricité.

Et par ailleurs, le projet entend imposer la thèse du Marco temporal (Seuil temporel), défendue par les ruralistes et les secteurs politiques et économiques intéressés par l’exploitation des territoires autochtones. Il s’agit d’une interprétation juridique de l’article 231 de la Constitution, portée par le front parlementaire de l’agroindustrie et défendant que les peuples autochtones n’auraient droit qu’aux seules terres qu’ils occupaient, ou qui étaient en litige avéré, en date 5 octobre 1988 – jour de la promulgation de la Constitution.

Non seulement on ne trouve aucune trace de cette interprétation dans la Constitution, mais cette thèse ne prend pas en considération l’ensemble des violences subies par les peuples autochtones tout au long de l’histoire du pays. Sans oublier que, jusqu’à la fin de la dictature militaire, les peuples autochtones étaient sous tutelle de la Fondation nationale des peuples autochtones (Funai) et auparavant sous celle du Service de protection des Indiens (SPI), ce qui ne leur laissait aucun moyen de faire valoir leurs droits devant les tribunaux.

L’analyse juridique souligne également que, dans la mesure où il s’agit de droits humains et de droits fondamentaux des peuples autochtones, l’article 231 de la Constitution est une disposition très robuste qui ne peut être modifiée. Cette position est également celle que défend le juge Edson Fachin, rapporteur du STF sur les territoires indigènes de l’État de Santa Catarina, qui va statuer sur ce seuil temporel et dont l’avis s’étendra à toutes les terres autochtones du pays. C’est aussi celle que défendent les peuples autochtones et les partisans de leur cause, qui attendent que la thèse du Seuil temporel soit définitivement rejetée.
L’affaire que le STF va juger concerne une demande de dépossession du peuple autochtone Xokleng du territoire Ibirama-Laklãnõ qu’il occupe, dans l’État de la Santa Catarina, au prétexte de la thèse du seuil temporel. La procédure, en cours depuis 2019, a pris une dimension nationale, car le STF a décidé que son jugement vaudra sur le fond pour tous les cas similaires concernant les peuples autochtones du Brésil. Deux ans plus tard, en juin 2021, six mille personnes et des dirigeants de 170 peuples autochtones de tout le pays se sont rendus à Brasília, la capitale fédérale, pour suivre le début du procès de ce conflit, érigeant pour l’occasion le camp « Debout pour la terre ». Ce fut la plus grande mobilisation autochtone depuis l’adoption de la Constitution. Plusieurs peuples autochtones s’organisent pour être présents à Brasília à l’occasion de la reprise du procès.

À ce stade, les intentions de vote du STF indiquent un ballotage : si le rapporteur Edson Fachin a pris position contre le seuil temporel, le 9 septembre 2021, le magistrat Nunes Marques - nommé par le gouvernement Bolsonaro - a défendu un vote en faveur. Le procès est paralysé depuis le 15 septembre 2021, lorsque le juge Alexandre de Moraes en a demandé la suspension.

Pour compléter le tableau des actions en cours, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) vient de solliciter du procureur général de l’Union (AGU) qu’il révoquer l’avis 001/2017 « anti-démarcation » - et qu’il inverse la position tenue par l’instance sous le gouvernement Bolsonaro à propos de ce procès.

L’avis, par ailleurs suspendu par le STF, est un autre instrument visant à rendre impraticable, de fait, la démarcation des terres autochtones. Car il stipule, de manière inconstitutionnelle, que l’ensemble de l’administration publique fédérale adopte des restrictions à la démarcation des terres autochtones. Ainsi, les arguments utilisés pour la délimitation du territoire Raposa Serra do Sol (État du Roraima) découlaient précisément de la thèse du seuil temporel.

Voir en ligne : Maioria dos deputados federais insiste em inviabilizar demarcação de terras indígenas por meio de projeto de lei

Crédit photo : Marina Oliveira/Cimi
Ato simbólico denuncia a agenda anti-indígena do governo federal e do Congresso Nacional, em 2021.
Acte symbolique dénonçant l’agenda anti-autochtone du gouvernement fédéral et du Congrès National (chambre des députés au niveau fédéral), en 2021

[1Le front parlementaire ruraliste est le plus important et le mieux organisé. Il est actuellement composé de 251 députés (sur 513) et 31 sénateurs (sur 81) soit près de la moitié des membres du Congrès. Très organisé, il défend les intérêts de l’agrobusiness. Son poids et son efficacité expliquent la rapidité avec laquelle il a pu faire passer à la Chambre des députés ses deux grands projets (démarcation des terres indigènes et disparition du ministère de l’environnement et du changement climatique).

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