Une fois de plus, le Brésil cherche une sortie vers le Pacifique

 | Par Igor Venceslau, Outras Palavras

Traduction : Roger Guilloux
Relecture : Martine Maury

Sur la carte, la proposition de l’Institut de recherche économique appliquée (Ipea) pour un corridor bi-océanique Brésil-Chili. Ambiguë, celle-ci peut aussi bien aggraver la « reprimarisation » de l’économie que développer l’intégration sud-américaine... Ses obstacles : la diplomatie dévoyée et l’ultralibéralisme de Bolsonaro.

Les 2396 km qui séparent Campo Grande d’Antofagasta, dans la région désertique du nord du Chili, ne semblent pas être un défi considérable pour les camionneurs habitués aux distances à l’intérieur du Brésil. Depuis la capitale du Mato Grosso do Sul, au centre d’une vaste région d’agro-industrie du soja, du bois et du bétail (générateurs de certains des principaux produits de la matrice d’exportation brésilienne), l’accès à la mer a toujours été une question incontournable pour les activités productives. Les ports brésiliens les plus proches, tels que Santos (SP), Paranaguá (PR) ou Itajaí (SC), se trouvent tous à plus de mille kilomètres, et empruntent des routes très encombrées. Le port fluvial d’Itaituba (Parana) est l’alternative actuelle. Pour avoir une idée de l’immensité du Brésil central, le corridor emprunté pour arriver à la mer à partir de ce port représente pratiquement la même distance que celui qui passerait par le Paraguay, l’Argentine, la Cordillère des Andes et l’Atacama, pour atteindre l’océan Pacifique en territoire chilien.

L’Institut de recherche économique appliquée (IPEA) a récemment lancé une étude proposant la création d’un corridor routier bi-océanique entre le Brésil et le Chili. Il constituerait une alternative viable pour écouler la production brésilienne via le Pacifique, ainsi que pour faciliter l’importation d’intrants. Le projet est le résultat de près d’une décennie de travail avec des groupes des quatre pays concernés et pourrait stimuler le commerce dans la région. La circulation sur les principales routes brésiliennes, notamment dans la région du Centre-Ouest, serait inversée : au lieu de se diriger vers l’Est à la recherche des ports de l’Atlantique, les camions effectueraient une sorte de marche vers l’Ouest.

Bien que ce projet spécifique vienne d’être présenté, il s’agit en réalité d’un vieux rêve de la géopolitique et de la diplomatie brésiliennes, qui depuis au moins un siècle, avec Mário Travassos, teste des alternatives pour un pays de grande dimension territoriale mais n’ayant pratiquement qu’une sortie par l’Atlantique. Ces idées sont souvent influencées par l’imaginaire d’une épopée du développement américain liée à la conquête d’un territoire bi-océanique. Elles ont également réapparu après l’ouverture du canal de Panama, qui a rendu inutile le contournement du détroit de Magellan, à l’extrémité sud du continent et a considérablement raccourci les trajets vers des pays comme le Pérou, le Chili et l’Équateur.

C’est précisément cette région septentrionale de l’Atacama qui était – et qui est toujours - au centre d’un imbroglio géopolitique impliquant le Pérou, le Chili et la Bolivie. Cette dernière ayant perdu son débouché sur la mer, continue à le revendiquer ses droits auprès des instances et des forums internationaux.

Le Brésil a élaboré plusieurs plans pour écouler ses matières premières via un port du Pacifique, dans le cadre de l’IIRSA (Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale sud-américaine). Au cours des deux dernières décennies, quelques tronçons ont été construits et plusieurs projets ont été élaborés : vers le Pérou via l’Acre, vers le Pérou via l’Acre et la Bolivie, vers le Pérou via Rondônia et la Bolivie, vers le Pérou via le Mato Grosso do Sul et la Bolivie, vers le Chili via le Paraná et l’Argentine, vers le Chili via le Rio Grande do Sul et l’Argentine. Le projet actuel de l’IPEA se veut une tentative de mise à jour de ce programme IIRSA, qui réunit les gouvernements du continent et qui est pratiquement à l’arrêt depuis 2017.

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Le Paraguay est un pays stratégique dans la mise à jour de ce projet puisque le corridor routier traverserait la voie d’eau qui intègre déjà les pays de la région. Mais c’est aussi là que se trouvent la plupart des tronçons qui doivent encore être construits et qui traversent de vastes zones de plantations de soja appartenant, en grande partie, à des propriétaires brésiliens, très intéressés par ce projet. Cet ensemble d’autoroutes serait également relié à un projet de corridor ferroviaire bi-océanique dans sa partie argentine.

La construction de ce corridor en Argentine présente des avantages certains pour le Mercosur. Il intègre trois de ses cinq pays membres, ce qui pourrait favoriser les relations commerciales internes au bloc. Cette connexion créerait une nouvelle articulation, qui ne passerait pas par les zones qui sont déjà les plus connectées entre elles, à savoir le sud-est et le sud du Brésil, la portion entre Buenos Aires et Cordoba en Argentine, ainsi qu’Asunción - Ciudad de Leste au Paraguay.

Toutefois, le plus grand intérêt réside dans la relation commerciale toujours plus importante avec la Chine qui est la principale destination des exportations agricoles brésiliennes et l’origine de produits manufacturés dont le volume ne cesse de croitre. Atteindre le géant asiatique via l’océan Pacifique raccourcirait considérablement le voyage actuellement effectué via les océans Atlantique et Indien et rendrait les produits brésiliens plus compétitifs. Avec le tournant géopolitique et géoéconomique actuel vers l’Asie, le Brésil, en tant que pays atlantique n’étant relié directement qu’à l’Europe et aux États-Unis, se trouve avec un fort handicap.

Mais ce projet est clairement aussi une opportunité pour avancer un peu plus dans l’intégration latino-américaine. Elle a fait plusieurs pas en avant au cours des deux dernières décennies et beaucoup de pas en arrière au cours de ces dernières années et, dans les deux cas, le Brésil a été un protagoniste important. Se connecter entre nous d’abord avant de se connecter au reste du monde, devrait être une priorité absolue dans l’agenda de nos pays pour tenter de surmonter nos héritages coloniaux extravertis. Ce resserrement de nos liens est d’autant plus nécessaire maintenant que notre déconnexion interne se présente comme un énorme problème et un désavantage compétitif presque insurmontable. Entre-temps, la Chine a fait de grands progrès avec la Nouvelle route de la soie, par voie terrestre et maritime.

Pour l’instant, il ne s’agit que d’un plan. Malheureusement, les désinvestissements du gouvernement brésilien actuel dans le domaine des infrastructures compromettent la réalisation du corridor routier bi-océanique. Les projets suscitent beaucoup d’intérêt mais la réalité est que les coupes budgétaires perpétrées par ce gouvernement néolibéral - qui retire l’État des grands projets, met à la casse et vend le patrimoine national - compromettent également le dialogue avec ses partenaires stratégiques, la Chine et l’Argentine notamment. Pour ces raisons, dans les années qui viennent, le Brésil va occuper une position de plus en plus marginale. Il suffit de se rappeler l’étonnement et la contrariété provoqués par l’inauguration, dans l’État de la Bahia en mars de cette année, d’un tronçon de l’autoroute BR-116 … de 16 kms seulement ! À ce rythme, nous ne pouvons que régresser !

Voir en ligne : Outra vez, o Brasil busca uma saída para o Pacífico

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