Une carte pour mieux comprendre la répartition du fonds d’aide d’urgence

Les capitales ont reçu la plus grande partie des fonds mais il y a un contraste évident : dans le Nord et le Nord-Est, les citoyens ont reçu en moyenne des moyens plus importants. Le pays a besoin d’une politique structurelle de lutte contre les inégalités ignorées par le gouvernement Bolsonaro-Guedes [1].

Traduction de Marie-Hélène BERNADET pour Autres Brésils
Relecture de Roger GUILLOUX

L’année 2020 est passée, mais sa marque indélébile hante le quotidien. Il n’y a rien à célébrer. Le fait de changer de calendrier et d’entrer dans la troisième décennie du XXIe siècle n’a pas été synonyme d’amélioration de la pandémie ni de l’économie dans une conjoncture traversée par les vestiges (durables) d’un Brésil du passé et l’incertitude du futur, à tous les niveaux de l’existence. Le « vampire néo-libéral [2] » du carnaval de Tuiuti en 2018 était bien plus qu’une seule personne.

Dans ce flot d’incertitudes, l’aide financière d’urgence [3] – d’abord écartée par le gouvernement fédéral avant d’être approuvée sous la pression du Congrès – a garanti un revenu minimum pour la survie de dizaines de millions de Brésiliens, ceci malgré les retards et de nombreux problèmes liés à sa mise en place. Avec sa suspension soudaine et le retour à des conditions de pauvreté généralisée, le débat sur le renouvellement de l’aide est de nouveau ouvert dans les conseils d’administration du Congrès ainsi que dans tous les foyers.

Il est toutefois nécessaire de préciser les termes de ce débat. La pauvreté au Brésil n’a pas été provoquée par la pandémie mais celle-ci l’a amplifiée. Le cynisme consistant à rendre la pandémie responsable de la pauvreté a pour but de cacher le vrai visage d’un pays historiquement marqué par cette condition. Traiter le problème structurel ne veut évidemment pas dire qu’on laisse de côté l’urgence de la crise, même si le gouvernement et l’équipe chargée du budget prétendent qu’aucun de ces problèmes ne relève de leur compétence.

L’autre aspect occulté dans ce débat est qu’il ne s’agit pas uniquement d’une aide d’urgence destinée aux particuliers ou aux familles. Ces derniers sont bien sûr concernés et bénéficiaires de ce versement direct, mais l’aide concerne aussi les territoires où l’on observe clairement un déploiement des versements en direction de l’économie réelle, du commerce local et même des fonds de réserve des municipalités.

Lire aussi Le Brésil en faillite, les plus pauvres privés d’aide sociale de Hugo Nin, La Croix

Par conséquent, nous lançons en ce sens une invitation à un exercice de méthode : analyser l’aide financière d’urgence à partir du territoire. La carte élaborée par le professeur Hervé Théry présente les chiffres de l’aide d’urgence en août 2020, au plus fort du programme, pour chacune des 5.570 municipalités brésiliennes représentées sur la carte par des cercles. La taille des cercles représente la somme totale des fonds versés à chaque municipalité durant le mois d’août 2020 ; les cercles les plus grands sont les endroits ayant reçu le plus d’argent. Les dégradés de rouge indiquent la somme reçue par habitant : plus le rouge est foncé, plus grand est le montant en réaux reçu par les personnes de la municipalité en question.

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Le premier résultat de cet exercice concerne le poids démographique des municipalités des capitales. En dépit des différences au niveau de l’emploi et des salaires entre les capitales et l’intérieur des Etats, les métropoles sont destinataires de la plus grande partie des fonds en raison de la population et de la concentration de pauvreté. Avec près de 2 milliards de réaux versés en août, São Paulo a été la municipalité qui a reçu le plus de fonds d’aide d’urgence, suivie par d’autres centres très peuplés comme Rio de Janeiro, Salvador, Fortaleza, Brasília et Manaus. Cette constatation permet de rejeter l’idée selon laquelle l’aide d’urgence aurait servi pour aider certains endroits pauvres au détriment d’autres. En fait, toutes les municipalités du pays ont eu recours à l’aide d’urgence.

Cependant, toutes n’ont pas reçu ces aides dans les mêmes proportions. Le second résultat à mettre en évidence est la persistante – et maintenant croissante – inégalité régionale brésilienne. La couleur rouge vif met en exergue les territoires les plus pauvres où les montants par habitant ont été les plus élevés, avec une mention spéciale pour les régions du Nord-Est et du Nord où la somme atteint jusqu’à 741,00 réaux par habitant. En revanche, de nombreuses municipalités d’autres régions, surtout le Sud et des parties du Sud-Est, ont présenté des besoins moindres dont la moyenne ne dépassait pas les 136,00 réaux par personne. Concernant les capitales, les versements les plus élevés se retrouvent à Fortaleza, Belém, Manaus, Teresina et São Luís, tandis que les plus faibles ont été enregistrés à Brasília, Curitiba, Porto Alegre, Florianópolis, Belo Horizonte et Vitória.

Cette inégalité, mise en évidence par la pauvreté, apparaît également à l’intérieur des Etats. Soulignons que les grands cercles blancs des capitales où il y a le moins de pauvreté sont entourés d’autres cercles plus sombres, ce qui montre que la situation est toujours préoccupante dans les municipalités des régions métropolitaines [4] ; ceci vaut autant pour le Grand Recife ou Belém que pour les environs de Curitiba, Goiânia ou Rio de Janeiro. La carte montre aussi que les régions traditionnellement plus pauvres à l’intérieur des Etats les plus riches (ou moins pauvres) sont toujours les plus vulnérables en situation de crise comme celle que nous vivons actuellement : le Vale do Ribeira (SP), le Vale do Jequitinhonha et la Zona da Mata (MG), le Norte Fluminense (RJ) ou le Pampa (RS). [5]

Dans ce contexte, il est urgent de réinstaurer l’aide financière d’urgence. La réticence de l’équipe chargée du budget au gouvernement est inacceptable et révèle que le Ministère de l’Economie ne se préoccupe à aucun niveau de la situation économique des individus et des territoires, ne répondant qu’à des intérêts externes et lointains. Il est impossible d’occulter que ceci est également la position de la présidence de la République, qui tantôt soutient le retrait de l’aide d’urgence, tantôt l’attribue aux gouverneurs ou, encore, cède aux pressions du Congrès en cooptant et en dénaturant l’ordre du jour.

Au-delà de la question de l’aide d’urgence qui n’aurait jamais dû être interrompue, le territoire brésilien fait entendre, brutalement et une nouvelle fois dans cette pandémie, le cri des inégalités à tous les niveaux, depuis les métropoles jusqu’aux cinq macro-régions. Le pays a besoin d’élaborer une politique structurelle de lutte contre les inégalités régionales et de développement sans faille auprès des différents territoires [6].

Ce n’est que de cette façon qu’il sera possible d’affronter les situations de vulnérabilité à venir. Sous la pression du néolibéralisme, les crises telles que celle-ci se reproduiront régulièrement. Le territoire en tant qu’environnement géographique où se déroule la vie demande de l’aide.

* Hervé Théry est chercheur émérite au CNRS – Centre National de la Recherche Scientifique, en France, et professeur du programme de Géographie Humaine de troisième cycle à l’Université de São Paulo (USP).

Voir en ligne : Outras Palavras : « Mapa para enxergar urgência do Auxílio Emergencial »

Image de couverture : Carte présentant la distribution de l’aide financière d’urgence – août 2020

[1Ministre de l’économie du gouvernement Bolsonaro.

[2Référence à un char du défilé de l’école Paraíso do Tuiuti sur lequel se trouvait un vampire paré d’une écharpe présidentielle. L’école de samba a conquis le public avec une caricature de "vampire néolibéral" et la référence explicite au Président putschiste lui a valu de ne pas défiler avec l’écharpe présidentielle lors du tour d’honneur

[3Le Brésil forcé de mettre en place un programme social d’urgence inédit par Julien Dourgnon et Christine Jacquet dans Alternatives Economique28/10/2020. Cette mesure pris fin dès Janvier 2021. Selon les estimation du Trésor Français : "Si le programme d’aide d’urgence (auxilio emergencial) a été décisif durant la crise en assurant le pouvoir d’achat de près de 66 millions, son arrêt en janvier jette le Brésil dans l’incertitude. En effet, la fin de ce programme d’urgence pourrait pénaliser la consommation privée, moteur historique de l’économie brésilienne (67% du PIB),et donc freiner la reprise économique post-Covid. Certains observateurs craignent d’ailleurs qu’elle puisse retarder la résorption du chômage voire même provoquer une nouvelle vague de licenciements." Le Gouvernment Français annonçait une mobilisation de 200 M€ de prêts au gouvernement brésilien pour contribuer au financement de programmes d’aide d’urgence pour les populations défavorisées, ainsi qu’à l’extension du programme de transferts sociaux « Bolsa familia » à 1,2 millions de familles vulnérables identifiées par les autorités brésiliennes. Au total, le programme bénéficiera à plus de 70 millions de personnes.

Lire le Communiqué pour un Revenu universel de base. Cette initiative pour un revenu universel est menée par l’Institut des études socio-économiques (Inesc), la Coalition Noire pour les droits, Nossas, l’Institut Ethos et le Réseau brésilien pour le revenue universel. Elle est soutenue par plusieurs organisations de la société civile. Dans Le Covid-19 au Brésil : Répertoire des manifestes de la société civile brésilienne

[5Il convient de vous inviter toutefois à une réflexion plus complexe sur la situation dans les périphéres. Cela commence par l’Autodéfense sanitaire dans les favelas de São Paulo et continue

[6René Silva, fondateur de Voix des communautés (Voz das Comunidades) rappelle dans un entretien à El Pais Brasil, que l’aide d’urgence venant du gouvernement fédéral a réduit la demande d’aliments à partir de la fin avril mais cela n’a pas été suffisant. Car un "bon nombre de personnes de la favela n’ont pas de document d’identité, pas accès à Internet, ni la possibilité de s’enregistrer sur des programmes d’aide, elles n’ont pas les moyens de faire quoi que ce soit. Et alors, beaucoup de personnes dans le besoin n’ont pas eu accès à ces aides. La demande d’aide continue et nous nous sommes retrouvés avec cette mission d’aider les familles. La campagne continue".

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