Un siècle plus tard, le Brésil échoue encore dans son combat contre la discrimination

Le jour de la commémoration des 116 ans de la fin de l’esclavage, Justiça Global a diffusé un rapport sur les Droits de l’Homme qui dénonce les crimes racistes au Brésil, pratiqués surtout par la police. Le Mouvement noir exige l’approbation du Statut de l’Egalité Raciale.

L’année 2003 a été marquée par quelques conquêtes du Mouvement noir au Brésil. Selon le Secrétariat Spécial des Politiques de Promotion de l’Egalité Raciale (Seppir), il existe actuellement au moins huit institutions publiques où les quotas de population d’origine noire ont été instaurés ou sont en phase d’instauration, comme l’université de l’Etat de Rio de Janeiro, l’université de l’Etat de Bahia, l’université de Brasilia et l’université fédérale de l’Etat du Paraná. A São Paulo, un projet en faveur de l’implantation du système des quotas dans les universités de l’Etat (USP, Unesp e Unicamp) est en discussion à l’Assemblée Législative. On discute aussi au Congrès National un projet de loi qui prévoit de réserver 20% des places aux concours publics et dans les universités publiques et privées pour la population noire.

Pourtant, de telles mesures sont toujours accompagnées par des actions qui questionnent la forme de définition ou tentent de déclassifier les politiques publiques d’action affirmative. C’est une des conclusions du rapport sur les Droits de l’Homme - 2003, lancé à São Paulo jeudi 13 mai par le centre de Justiça Global. Dans le chapitre VII, le document aborde la discrimination raciale dans le pays et met en évidence que, bien que viable, la concentration de politiques d’action affirmative uniquement dans le domaine de l’éducation est insuffisante comme réponse aux revendications de la communauté noire. La raison : le préjugé racial en vigueur concerne beaucoup plus de domaines que le manque d’inclusion dans le système d’enseignement.

« La question raciale est l’un des grands défis du mouvement pour les Droits de l’Homme aujourd’hui au Brésil », affirme James Cavallaro, membre de la direction du centre de Justiça Global. « Le lancement du rapport aujourd’hui marque la lutte historique de la population noire pour l’abolition » explique-t-il.
Abolition qui, jusqu’à aujourd’hui, 116 ans plus tard, ne s’est pas concrétisée en égalité et en justice. Les Noirs forment 46% de la population brésilienne et, en même temps, représentent 61% des pauvres, selon une étude du Secrétariat du Développement du Travail et de la Solidarité de la ville de São Paulo. Selon des données du PRO-AIM ( Programme de Perfectionnement des Informations sur la Mortalité dans la ville de São Paulo) en 2003, on compte 4.157 homicides. La mortalité atteint de préférence les jeunes entre 10 et 24 ans, dont 68% sont noirs.

Les Noirs et les Métis sont aussi ceux qui souffrent le plus des abus de la police, principalement quand leur condition raciale s’ajoute à leur situation économique. Les statistiques sur la mortalité policière indiquent que sur quatre assassinats commis par la Police Militaire, au moins trois le sont sur des Noirs, ce qui montre l’option préférentielle que les agents de sécurité publique ont pour la population noire.

A l’occasion du lancement du rapport, un hommage a été fait à la famille du dentiste noir Flávio Sant’Ana, assassiné le 3 février par 5 policiers militaires, qui l’ont confondu avec un agresseur. En plus de tuer Sant’Ana, les policiers ont manipulé la scène du crime pour accuser Flávio. Selon les organisations de Droits de l’Homme, le crime a eu des répercussions car il s’agissait d’une personne de niveau social supérieur et non parce que c’était une personne noire. « Des événements comme celui-ci, ils en arrivent tous les jours, des dizaines dans tout le Brésil. Ce n’est pas la mort d’un être humain, victime de discrimination raciale. C’est la mort d’un dentiste », commente le document de Justiça Global.

Pour la famille de Flávio, la discrimination commence dans la formation des policiers et est présente jusque dans les Instituts Médicaux Légaux. « Mon cousin a presque été enterré comme un mendiant parce que nous n’obtenions pas d’informations à l’IML Central. Les cas de police raciste qui tire et ensuite demande sont très fréquents. La maison de mon oncle s’est transformée en une centrale de dénonciation de crimes comme celui-ci après la mort de Flávio », raconte Joel Sant’Ana.

Le plus difficile dans des cas comme celui de Flávio Sant’Ana est de qualifier le crime aussi comme un acte de racisme. Le document lancé ce jeudi dit que 95% des crimes de violence raciale souffrent d’indifférence et de manque d’intérêt et il y a une concentration des efforts pour « étouffer tout événement raciste qui aurait malencontreusement échappé à la nébuleuse d’indifférence et de banalisation quotidienne ». La manière dont est traité le problème de la discrimination raciale est donc, en soi, discriminatoire.

Enfin, le rapport de Justiça Global rappelle la situation des quilombolas, dont les terres sont revendiquées depuis l’époque de l’abolition de l’esclavage. A peine 36 des 743 quilombos restants sont régularisés comme il se doit. Ce mépris, affirme le mouvement noir, reflète en grande partie le peu de cas fait officiellement de la non-intégration historique du Brésilien noir. « La reconnaissance juridique de ces terres comme appartenant aux descendants des quilombolas retire la mémoire noire de l’obscure ostracisme, réaffirmant, au moins en partie, sa dignité et sa reconnaissance comme élément légitime du processus de formation sociale et nationale du Brésil » dit le texte.

La lutte pour l’égalité

Ce 13 mai, une vidéoconférence sur l’égalité raciale, à Brasilia, a réuni des représentants de la société civile de 26 Etats. Le thème central du débat a été l’approbation du Statut d’Egalité Raciale, du Sénateur Paulo Paim (PT-RS), qui transite depuis cinq ans au Congrès National. Déjà approuvé en commission spéciale, le Statut attend d’être voté en séance plénière du Congrès. Dans ses grandes lignes, la loi préconise la politique des quotas pour les Noirs dans les universités (20% des places), dans le service public et dans les médias, spécialement dans le théâtre et la télévision. Elle réserve des terres aux descendants des quilombos et crée des politiques publiques de combat contre le racisme.

La principale polémique autour du Statut est la création d’un Fonds de Promotion de l’Egalité Raciale, inclus par l’exécutif dans la proposition. Le rapporteur du dossier à la Chambre, Reginaldo Germano (PP-BA), dit qu’il ne votera pas le dossier sans que les ressources pour le Fonds soit garanti. Le Mouvement noir est en train d’organiser « une marche des 100 mille » qui doit arriver dans la capitale le jour de la Conscience Noire (20 novembre) pour exiger l’approbation du Statut.

« S’il n’y a pas de mobilisation, le Statut d’Egalité Raciale ne sera pas approuvé. Les tambours battent et les palais doivent entendre », rappelle Paim. Selon lui, l’approbation du Statut ne bénéficiera pas qu’à la population afro-descendante. « La lutte contre les préjugés concerne tous les Brésiliens. Le 13 mai de cette année doit être une lettre de dénonciation contre le racisme », affirme-t-il.

Par Bia Barbosa et Maurício Hashizume - Agência Carta Maior - 18/05/2004

Traduction : Emilie Sobac pour Autres Brésils

Suivez-nous

Newsletter

Abonnez-vous à la Newletter d’Autres Brésils
>
Entrez votre adresse mail ci-dessous pour vous abonner à notre lettre d’information.
Vous-pouvez vous désinscrire à tout moment envoyant un email à l’adresse suivante : sympa@listes.autresbresils.net, en précisant en sujet : unsubscribe infolettre.

La dernière newsletter

>>> Autres Brésils vous remercie chaleureusement !

Réseaux sociaux

Flux RSS

Abonnez-vous au flux RSS