Travail esclave : 12 mois pour l’éradiquer

 | Par Xavier Plassat

<img363|left> Au cours des trois dernières années, le Brésil est devenu une référence en matière de lutte contre le travail esclave contemporain. Mais les problèmes restent encore nombreux. En plus de la baisse du budget prévue pour 2006, le taux de traitement des dénonciations a chuté de 57% (2003) à 27% (2005), laissant en esclavage temporaire de 2.500 à 3.000 personnes chaque année.

L’impressionnant essor de la fièvre aphteuse dans les troupeaux du Centre Ouest du brésil a réveillé dans le monde une vague de préoccupation qui est allée bien au-delà du fait en lui-même. Plus de 50 pays ont déjà fermé les portes à l’importation de viande bovine brésilienne. Dans un secteur qui allait battre encore un record d’exportation, le climat a viré de l’euphorie au désespoir. Pour la première fois, le « marché » a extériorisé son manque de confiance en des termes qui vont au-delà de la simple précaution face au risque sanitaire. De grands journaux internationaux n’ont pas hésité à faire des gros titres réprouvant le désastre environnemental, la perte de contrôle sanitaire et la honteuse pratique de l’esclavage par les propriétaires de latifundio brésilien.

Pour avoir été l’un des premiers pays de la communauté internationale à reconnaître l’existence de cette plaie qu’est le travail esclave en ce début de XXIème siècle, le Brésil a assumé, au niveau intérieur et extérieur, une colossale responsabilité, explicitée par la politique de l’Etat, et également au niveau international : avec l’approbation du Plan National d’Eradication de Mars 2003, la lutte contre le travail esclavage devint un enjeu présidentiel à atteindre avant la fin du mandat en cours. Le même engagement fut pris devant la Cour des Droits de l’Homme de l’Organisation des Etats Américains (OEA) et l’Organisation des Nations Unies (ONU). Au cours des 10 dernières années et plus fermement encore ces 3 derniers mois, le Brésil est devenu une référence internationale en matière de lutte contre l’esclavage contemporain, adoptant des mesures considérées comme innovantes, et louées par l’OIT.

Ce qui est si innovant dans cet « effort louable » brésilien pour en finir avec le travail esclave est, pour la première fois, une prise en compte intégrale du problème, visant à prendre le mal par la racine au niveau de la chaîne systématique qui produit et reproduit le travail esclave. Ces populations dévastées par la misère, au service d’employeurs calculateurs obsédés par le profit à tout prix et se croyant au-dessus des lois. Face au vicieux triptyque de l’impunité, de la cupidité et de la misère, l’idée est de mettre en place comme contre-pied le vertueux triptyque de l’inspection, de la répression et de la prévention, et aussi d’articuler des actions au niveau de l’Etat et de la société. Pourtant, sur ces dernières pèsent encore les insuffisances du Plan approuvé (faute de propositions concrètes dans le domaine de la prévention et des politiques effectives d’intégration sociale), lesquelles restent au cœur du dispositif ébauché et en pleine construction, grâce aux efforts conjugués des diverses institutions de l’Etat et de la société civile.

Même si le Plan fut accueilli à bras ouverts par un grand nombre, les résultats sont mitigés. Pire : les résultats pourraient se renverser si les tendances négatives déjà observées n’étaient pas rapidement corrigées, à savoir la résistance du législateur à approuver des textes importants comme la proposition d’amendement constitutionnel déterminant la confiscation des terres où des pratiques esclavagistes furent constatées ; l’impuissance du judiciaire , prisonnier des jurisprudences dépassées, pour mettre en prison les criminels impliqués dans ce genre de pratique ; la pensée irrationnelle du patronat qui continue de nier l’évidence ; l’inertie de la machine bureaucratique tiraillée par la dictature de l’excédent budgétaire primaire et incapable de recevoir en temps réel la demande existante.

Le cas de l’inspection du travail est un bon exemple. Au cours de ces 3 dernières années ont été libérés environ 12.500 travailleurs se trouvant en situation d’esclavage dans plus de 400 fermes, généralement dénoncées par des fugitifs. Cela représente deux tiers des plus de 18.000 travailleurs sauvés depuis 1995, date à laquelle fut créé le Groupe Mobile d’Inspection. Il est certain que l’inspection a indéniablement gagné du terrain depuis 2003. Il est certain qu’environ 180 propriétaires ont fini par être inclus dans la redoutée « liste noire », le Cadastre des Employeurs pris en flagrant délit, créé par le Ministère du Travail et de l’Emploi (MTE) : durant 2 ans au minimum, ceux qui y figurent se voient refuser l’accès au financement public comme les subventions. Il est certain que nombre d’entre eux essuient un rejet mérité du marché dans la mesure où vient d’être mise à nue la chaîne de production esclavagiste. Il est certain qu’après avoir conclu la majorité des opérations de secours, le Ministère Public du Travail, présent au cours de toutes ces affaires, a mis à contribution la Justice du Travail plaidant et obtenant la condamnation du contrevenant à des dommages moraux collectifs avec versement d’indemnisation pas des moindres. Il est certain que cela a contribué sommairement à améliorer notre connaissance du profil et des demandes de ces victimes, jetant les bases en vue de futures actions positives de prévention et d’insertion. Il est certain que tout cela a réellement changé le climat préexistant de totale impunité, poussant les victimes de l’esclavage moderne à courir, avec une certaine expectative de résultats, le risque de dénoncer.

C’est justement là où le bât blesse.

Durant les 3 dernières années, les dénonciations de travail esclave ont concerné plus de 20.000 travailleurs (contre 34.000 travailleurs impliqués depuis 1996), dans 700 cas identifiés par le biais de dénonciations formelles ou de contrôles. Ce furent 412 contrôles réussis du Ministère du Travail et de l’Emploi, libérant 12.500 travailleurs. Sachant que la majorité des dénonciations (deux tiers) ont transité par les acteurs sociaux, essentiellement par la Commission Pastorale de la Terre (CPT) qui, depuis des années, est responsable de la Campagne Nationale de Lutte et de Prévention du Travail esclave (« Les Yeux Ouverts pour ne pas Devenir Esclave »). Les autres cas sont détectés par le biais de la dénonciation au moyen d’autres canaux ou, éventuellement, à l’occasion de contrôles de routine.

Un constat étrange et indignant : le taux de traitement des dénonciations (c’est-à-dire le fait d’y donner suite par contrôle effectif) a diminué au cours des 3 dernières années de 57% (2003) à 33% (2004) et 27% (en 2005) - ce qui correspond à une moyenne de 40% sur cette période. Cela montre que de plus en plus de cas sont restés sans inspection (72 en 2003, 97 en 2004, 107 en 2005), maintenant en probable situation d’esclavage temporaire et inacceptable entre 2.500 et 3.000 personnes chaque année. Ceci porte préjudice aux initiatives désespérées et risquées tentées par les dénonciateurs (en majorité des fugitifs) pour appeler à l’aide, s’exposant de nombreuses fois à des menaces, des persécutions et, s’ils sont interceptés par les gardes de la ferme, soumis à des représailles, humiliés, battus et même tués.

Chaque dénonciation non traitée mine la crédibilité de l’Etat, rend inutiles les coûteux efforts de centaines d’acteurs sociaux et des Eglises pour accueillir et protéger les victimes, et ébranle l’espoir de ces dernières de sortir de l’enfer qui leur est imposé, contrariant précisément l’appel de toutes les campagnes - promues par l’Etat, l’Organisation Internationale du Travail, la Commission Pastorale de la Terre - qui tentent de populariser au sein des travailleurs les maîtres mots : « Dis non à l’esclavage ! Dénonce ! ».

Le motif de ce manque de considération ?

L’effort du secrétariat de l’Inspection du Travail du Ministère du Travail et de l’Emploi, qui coordonne les opérations du Groupe Mobile, est au-dessus de tout soupçon, comme le sont les inspecteurs - tous volontaires et s’acquittant de leur louable mission avec abnégation. Ils composent 7 équipes d’inspection (pour info, 3 de plus qu’avant 2003). Des difficultés récurrentes demeurent, concernant la disponibilité et l’habileté de la Police Fédérale, qui jusqu’à présent n’est pas structurée de manière à donner la priorité à ces actions, et n’a même pas de budget spécifique pour cela. Mais le problème essentiel est celui de l’énorme fossé entre la hauteur de la demande et l’étroitesse des moyens mis à disposition par l’Etat. Une mesure minimale à court terme serait d’élever à 70% le taux de traitement des dénonciations acheminées par le Groupe Mobile. Pour cela, une structuration adéquate des services responsables et une dotation conséquente des ressources humaines, matérielles et financières sont nécessaires.

Le scandale de cette fin 2005 est que, ne restant que 12 mois pour « éradiquer « le travail esclave en accord avec l’objectif présidentiel, les ressources budgétaires du Ministère du Travail et de l’Emploi destinées à la lutte contre ce délit, actuellement en cours d’appréciation au Congrès, connaissent un net recul de 20% (de 3.426.868,00 R$ en 2005 à 2.845.000,00 en 2006). Nous découvrons aussi que le nombre d’inspecteurs du travail auditionnés au concours de 2006 est de 300, mais seuls 100 ont été prévus par le calcul budgétaire - un nombre qui ne compense même pas la moitié des sorties naturelles du cadre fonctionnel. Et aussi, qu’après de nombreuses années de demande pour un réajustement, les coûts opérationnels de l’inspection devront incorporer une hausse de 50% de la valeur des (déjà précaires) salaires journaliers des inspecteurs dans l’exercice de leur fonction.

L’architecture du Plan d’Eradication est un ensemble cohérent. L’action répressive à elle seule est incapable d’éliminer les pratiques esclavagistes. Il est évident que la prévention - et avec elle l’éducation, la création d’emplois et une réforme agraire complète - exerce un rôle prépondérant du point de vue du traitement des causes structurelles. Mais il est clair que la base de tout l’édifice réside dans l’effectivité de l’inspection. Avec elle seule, on ne peut éradiquer ; sans elle, on ne peut plus rien.


Par Xavier Plassat - Carta Maior - 28/11/2005

Traduction : Caroline Don pour Autres Brésils


Xavier Plassat est frère dominicain et membre de la coordination nationale de la Campagne Nationale de Lutte et de Prévention de la Commission Pastorale de la Terre.

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