Au Brésil, la répartition entre établissements d’enseignement publics et privés est de même nature que celle qui a été décrite par Fritz Ringer (2001 ; 2003) et Pierre Bourdieu (1979 ; 1989) dans leurs analyses des systèmes scolaires européens. Selon l’Institut brésilien de géographie et statistique (IBGE), 79 % des élèves de la ville de São Paulo sont inscrits dans des écoles publiques (ensino fundamental I et II [1]) et 21 % dans des écoles privées dites aussi « particulières [2] ». Cette répartition est très inégale selon les groupes sociaux concernés [3]. Que la très forte ségrégation scolaire, caractérisée en particulier par la prégnance du réseau privé, soit un aspect important des différences sociales observées à São Paulo par les urbanistes et les sociologues (Villaça 1998 ; Ribeiro & Lago 2000 ; Torres & Marques 2005) est l’hypothèse qui fonde cette recherche. On sait que les établissements privés recrutent la majorité de leurs élèves dans des familles de professions libérales, de cadres et de grands propriétaires de l’industrie et du commerce (Nogueira 1998 ; Brandão & Lellis 2003 ; Almeida 2009 ; Perosa 2009). Or, des écoles « particulières » ont récemment été ouvertes dans des quartiers comme Ermelino Matarazzo, un secteur [4] de la zone industrielle à l’est de São Paulo, et il est particulièrement intéressant de se demander pourquoi [5]. Ermelino Matarazzo s’est développé à partir de 1941, période d’intense industrialisation, quand São Paulo a atteint son premier million d’habitants. Cette banlieue ouvrière est située à 24 km du centre-ville auquel elle est reliée par train. En 2010, 39,5 % de ses habitants n’avaient pas achevé le niveau de l’ensino fundamental II ; 31,7 % avaient atteint l’ensino médio et 9,4 % seulement avaient fait des études supérieures. Selon notre hypothèse, les changements de l’offre scolaire à Ermelino peuvent s’expliquer par les transformations au sein des classes populaires urbaines. Le choix de l’école privée serait ainsi l’expression de l’intérêt d’une fraction supérieure des groupes populaires en situation d’accès, grâce à leur réussite scolaire, au marché du travail et au style de vie des classes moyennes : investir dans l’école, c’est espérer pouvoir obtenir un emploi plus qualifié, proche de ceux qui sont occupés par les familles issues des classes moyennes. Notre enquête sur l’enseignement privé permet de remettre en question l’idée reçue faisant d’Ermelino Matarazzo une « banlieue périphérique ». Comment expliquer, en effet, le développement de l’enseignement privé dans cette partie autrefois industrielle de l’agglomération ? Ce phénomène est-il lié à l’augmentation importante des revenus de la base de la pyramide sociale observée ces dernières années ? Ou bien s’agit-il (ce qui n’est pas incompatible avec la première explication) de stratégies scolaires mises en œuvre par des fractions des classes populaires qui sont en contact quotidien avec une population issue des classes moyennes ? Les salles de fitness, les nouveaux lotissements, les salles de fêtes et les magasins modernes des centres commerciaux d’Ermelino renforcent l’hypothèse d’une transformation morphologique de la population locale.
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