Source : Le Monde Diplomatique Brasil - Avril 2016
Traduction : Jeanne de Larrard
Source : Le Monde Diplomatique Brasil
La campagne systématique des médias putschistes contre le gouvernement et le Parti des Travailleurs (PT), qui stimule l’antagonisme de la population contre les « petralhas » (partisans du PT), fait preuve d’une grande efficacité. Les esprits s’échauffent, la haine fait surface, la polarisation sociale et politique s’aggrave, ainsi que l’intransigeance, la violence et la répression. Des épisodes récents attestent que cette polarisation a été promue par la droite. Le coordinateur du MTST [1] , Guilherme Boulos affirme : « ce n’est pas nous, mais la droite qui incendie le Brésil ».
La crise économique, la paralysie du gouvernement devant les manœuvres de sabotage de la part de l’opposition qui font suite aux scandales de corruption donnent de la force aux grandes mobilisations contre le gouvernement et le PT, manifestations qui enflamment les rues pour demander « l’impeachment », la destitution de la Présidente Dilma. Ces mobilisations sont formées principalement par une classe moyenne, d’âge moyen. Le chômage et le mécontentement croissant face au gouvernement a fait basculer une partie des travailleurs dans ce champ de bataille. La réduction des programmes sociaux, comme Minha Casa Minha Vida (Ma Maison, Ma Vie), Pronatec [2], ProUni [3] et d’autres, constitue le principal facteur qui justifie l’engagement populaire en opposition au gouvernement ; facteur qui est très différent des raisons qui mènent les classes moyennes à descendre dans les rues. Ces dernières veulent protéger leurs privilèges ; les autres souhaitent un état puissant, capable de promouvoir des politiques sociales.
La campagne médiatique a fait descendre beaucoup de Brésiliens dans les rues, ceux-ci pensant que l’impeachment est la solution à tous les problèmes que le pays vit en ce moment. D’après les sondages de Datafolha [4] menés les 17 et 18 Mars, 68% des Brésiliens sont en faveur de l’exclusion de la Présidente de la République par le Congrès National. Ce chiffre correspond à celui qui renvoie aux Brésiliens qui trouvent le gouvernement mauvais ou très mauvais (69%). 39% trouvent que la corruption est le problème majeur du Brésil.
Tout indique, si l’on suit le postulat du « tout ou rien », ou du « Désormais, pas de retour en arrière », déclaré par les députés du PMDB, qu’un coup d’État est en marche. Le respect de la Constitution et de la légalité démocratique est relayé au second plan et s’ouvre désormais une période d’arbitraire et d’affrontements qui pourrait avoir des conséquences plus sombres que beaucoup ne le pensent.
Dans ce contexte, la polarisation sociale, gonflée de façon irresponsable par une partie des médias, ne peut être freinée. Cette polarisation pourrait continuer de s’étendre pendant longtemps. La démocratie sera-t-elle capable de la contrôler ou allons-nous entrer dans une nouvelle ère de l’arbitraire, de la violence, de la répression et des persécutions politiques ?
La semaine dernière, plus d’un million de Brésiliens est descendu dans les rues en défense de la démocratie, de la légalité et de la continuité du gouvernement de Dilma. Ils représentent l’expression d’une partie de la société qui n’accepte pas le coup d’État. Ces manifestations de la citoyenneté sont organisées par des syndicats, des mouvements sociaux, des associations professionnelles : une infinité d’entités qui font partie du riche tissu que forme notre société. Il nous faut relever particulièrement la présence de la jeunesse, qui voit clair dans l’hypocrisie des faux moralistes qui veulent nous convaincre que le PT est l’unique responsable de la corruption qui ronge les institutions de ce pays.
La menace du coup d’État entraîne la perspective de politiques de retours en arrière sur les droits, ce qui mènerait à une augmentation des mobilisations sociales et à une surenchère de la répression, qui élèverait la polarisation sociale et politique à d’autres niveaux.
Il s’agit de la lutte des classes, en sa forme la plus claire et la plus dure. Les partisans du coup d’État affirment que la Constitution, avec les droits sociaux qu’elle assure, n’est pas adéquate au budget de l’État brésilien. C’est une offensive pour baisser le coût de la main d’œuvre : promotion du chômage, coupes dans les réajustements des salaires et des retraites, dans la sécurité sociale, dans la santé, dans l’éducation, etc. Tout ceci, pour que le Brésil devienne « plus compétitif » sur les marchés mondiaux. La question sociale ne les intéresse pas.
Contre ces offensives envers les droits, des fronts populaires se sont déjà créés, comme le Frente Brasil Popular (Front Brésil Populaire) et le Frente Povo Sem Medo (Front Peuple Sans Peur), autant de manières d’organiser la résistance populaire et d’empêcher le coup d’État. Ces Fronts doivent créer un panel d’alliances sociales plus large, qui soit à même de rompre la polarisation sociale, qui englobe les secteurs des classes moyennes, et qui constitue une nouvelle majorité. La défense de la démocratie, de la légalité et de l’emploi sont des bannières qui sont déjà utilisées dans les manifestations et qui expriment des éléments fédérateurs d’une opinion publique plus ample.
Le coup d’État programmé est en cours, mais persistent des obstacles juridiques et politiques qui y font barrière. La continuité du gouvernement de la Présidente Dilma et le sort des actions en cours contre Lula dépendent de l’intensité des manifestations sociales et de la capacité de résistance des forces démocratiques.
Il est nécessaire de repenser à 2013 : combien les députés fédéraux, au Congrès National, étaient effrayés, encerclés par la population qui avait menacé d’envahir le bâtiment. La fragilité de l’idéologie et des programmes des partis politiques se manifeste dans le comportement de leurs députés, qui servent les intérêts individuels et non l’intérêt public. Une pression populaire directe contre eux a déjà pu produire des résultats immédiats. Plusieurs projets d’intérêt social ont été sortis du tiroir et approuvés dans la tentative de rétablir un lien entre le député et sa base politique, et particulièrement avec l’opinion publique.
Il est temps de remettre à l’ordre du jour le thème de l’Assemblée Nationale Constituante indépendante pour effectuer une réforme politique. Avec la faillite du système politique actuel, il est impossible de recomposer un espace de représentation et de négociation – l’espace politique – pour résoudre les conflits. Les règles du jeu doivent changer pour inclure la représentation des majorités.
Notes de la traduction