La première édition du Festival Slam AM a eu lieu au Centre Culturel des Peuples de l’Amazonie, à Manaus, le 15 mai. Il a permis au public d’apprécier la poésie d’artistes de la région. Idéalisé et organisé par le poète slameur Will Dero, activiste de la culture hip-hop depuis les années 2000 et leader du projet MHC, Mouvement Hip-Hop Crews, le projet a été financé par le décret Amazonas Créatif Amazonas 2021, du gouvernement de l’Etat d’Amazonas.
« Mon objectif, en faisant ce festival, est de diffuser cet aspect du hip-hop, quelque chose de nouveau pour beaucoup de gens. Et étendre la culture de la poésie slam en faisant connaître des anonymes, qui écrivent leur poésie mais n’ont pas l’occasion de l’exprimer », dit Dero.
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Vingt « slameurs », comme ils se surnomment, ont participé à la compétition. Trois d’entre eux ont remporté les premiers prix. Big Berg a obtenu la première place, viennent ensuite Elfo et Reborn. Les récompenses se composaient de sommes d’argent, de livres et de trophées.
Les poètes ont abordé des questions telles que l’inégalité sociale, la colonisation, la pauvreté et les scandales politiques pendant la pandémie de Covid-19. « Les briseurs de files, les mannequins et les filles de bonnes familles sont apparus, le vaccin a été détourné au profit de la bourgeoisie », déclamait le slameur Reborn dans une de ses rimes.
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Pour le poète Elfo, la participation au festival a été un véritable défi et sa préparation a duré plusieurs jours durant lesquels il a réécouté à plusieurs reprises l’enregistrement de sa poésie. « C’était un long processus et il était fréquent que je me retrouve dans un coin à parler tout seul. Finalement, tout s’est bien passé. Je peux dire que pendant que je jouais, il y a eu un moment de catharsis. J’ai remporté la deuxième place et j’étais heureux du résultat », déclare Elfo, qui considère cette expérience comme un coup d’envoi de sa vie d’artiste. « Je n’ai pas l’intention d’arrêter de faire de la poésie slam. »
Elfo est un slameur débutant, il dit que sa trajectoire a commencé à l’Université fédérale d’Amazonie (UFAM), où il était étudiant en Service Social. C’est là qu’il a commencé à s’intéresser à l’art engagé, avec un contenu politique et critique, produisant sa poésie et se présentant dans des soirées musicales et poétiques. Il s’est approché du mouvement slam avec le projet intitulé Slam sur la place, organisé par la poétesse slameuse Halaise Asaf.
"Jusqu’alors, je n’avais jamais participé à une compétition proprement dite, seulement à des interventions. Je n’avais jamais, non plus, présenté de poésie sans lecture sur papier, le Festival Slam AM était donc ma première présentation dans les règles", conclut-il.
Big Berg, lauréat de la première place, est un poète slameur qui compose depuis plus de dix ans. Natif de l’État du Pará, il a découvert la culture slam en 2016 à Boa Vista, Roraima, en participant à une soirée poétique. « Le festival Slam AM a ouvert des portes aux artistes. Tant pour ceux qui veulent commencer que pour ceux qui veulent exceller dans ce milieu », dit-il.
Identité et résistance
Considéré comme une pionnière du mouvement dans cette ville, la poètesse slameuse et étudiante en lettres à l’Université fédérale d’Amazonas (UFAM) Halaise Asaf, faisait partie du jury du festival. Halaise estime que le slam rompt avec le langage cultivé de la poésie traditionnelle et redonne de l’estime de soi aux jeunes habitants de la périphérie ; il offre aussi des possibilités d’accès à l’éducation.
"Je crois qu’il faut changer les vies et les perspectives du monde. Le slam transforme totalement l’esprit des jeunes. Il peut inciter les gens à s’arrêter pour écouter ces poésies. Le slam donne un nouveau sens à la vie des jeunes de la périphérie, des jeunes qui ne croient plus en eux-mêmes parce qu’ils ne sont ni vus ni entendus."
Selon la poétesse, les espaces traditionnels rejettent encore les productions venant de la périphérie, notamment le volet slam et la poésie marginale en général. « Les événements littéraires traditionnels, les soirées musicales et poétiques et les activités de ce genre ne sont toujours pas accessibles aux jeunes de la périphérie. D’abord parce que le public n’est pas accueillant et ensuite parce que tout le monde n’a pas les moyens financiers pour se rendre dans ces lieux », explique-t-elle.
Dans cette optique, Slam sur la place a été créé en 2019 comme projet d’extension de l’université . L’événement est organisé par Halaise dans le but de connecter les jeunes de la périphérie à l’éducation par le biais de ce type de poésie.
« Grâce au slam, je peux réunir les miens, les plus pauvres qui n’ont pas accès à la littérature et à l’éducation. Et c’est pour eux, une façon de travailler la poésie dans leur propre environnement, dans la périphérie même. J’emmène des poètes marginaux à l’université, et vice versa. Le slam est nécessaire parce qu’à travers la poésie, nous pouvons aborder des questions importantes pour changer la société. »
Les artistes de divers courants voient dans le slam la possibilité de traiter de questions sociales et politiques, mais aussi une façon d’utiliser des ressources accessibles, comme ce fut le cas du poète Marcos GF, qui fait du slam depuis 2015, par nécessité.
« Je suis rappeur et j’ai rejoint le slam parce que réciter de la poésie coûte moins cher que d’enregistrer un son dans un studio et a le même effet, car les deux ‘transmettent la vision’ et c’est mon objectif », explique-t-il. Pour lui, le festival représente une révolution pour les jeunes des périphéries, « les gens des bidonvilles font un bon usage de cette arme (la poésie marginale), prouvant que la révolution sera écrite et diffusée par la périphérie. »
Rayane Lacerda, également juge et slameuse, était déjà poétesse avant de s’engager dans le mouvement ; ses textes avaient été publiés dans des espaces de vente indépendants de poésie marginale de la ville, dans la revue Cirrose, par exemple. Rayane voit dans le Festival Slam AM, la possibilité d’attirer davantage de poètes d’autres États de la région lors de ses prochaines éditions, ce qui permettra de faire évoluer la scène et de promouvoir les artistes marginalisés. « Donner la parole aux poètes de la rue et de la périphérie, ceux qui sont en marge, est extrêmement important », opine-t-elle.
Nicoly Ambrosio
Elle est étudiante en journalisme à l’Université fédérale d’Amazonas (UFAM) et photographe et vit à Manaus. Elle s’intéresse à la culture, à l’art et à la politique. Elle fait partie du projet Formation au journalisme indépendant et d’investigation de l’Amazonia real, de 2020. (nicoly@amazoniareal.com.br)