Si vous menacez nos existences nous deviendrons résistances

 | Par Luc Duffles Aldon

Au-delà du scrutin du 28 octobre 2018, défendre la démocratie signifie faire front contre toutes les références explicites au fascisme

Un barrage a lâché et une marée brune a englouti, asphyxié et empoissonné la vie en aval. Ensuite, sans écosystème opérant, c’est une épidémie de Zika sans égale qui envahit le pays. Plutôt que l’incendie du Musée National de Rio, elle est là l’allégorie de l’actualité politique au Brésil.

Station de métro à Botafogo, Rio de Janeiro, Juin 2013. Crédits : Luc Duffles Aldon

Les coups de théâtre successifs la rendent complexe. La première illusion est de croire en un jour, un lieu et un fait. La seconde est de ne pas voir, notamment dans les grands groupes médias, des groupes d’intérêts avides de retrouver leur statut d’antan, avant que la fréquentation des aéroports ne ressemblent par trop à celle des gares routières. Alors, à diagnostiquer les pathologies d’une démocratie prometteuse, il ne faut pas confondre la réalité brésilienne avec ce que lui reflète le miroir de l’Occident. La focalisation sur le scrutin présidentiel et le candidat de l’extrême-droite n’est qu’un miroir aux alouettes, les nids de serpents et les plus violents symptômes de la montée du fascisme sont ailleurs.

Derrière la « punchline » tout bon bandit et un bandit mort se cache en fait une idéologie d’éradication de tout ce qui est différent. Au Brésil, c’est une référence explicite et banalement quotidienne aux escadrons de la mort, responsables des meurtres de masse qui perdurent depuis la fin de la Dictature (1964-1985) dans les quartiers périphériques ou des enfants de rues - comme le dénonce les mouvements sociaux et les associations des mères des différentes victimes.

Si la démocratie brésilienne est jeune, il est dérisoire de le rappeler sans comprendre en quoi.

Dans un pays où la Dictature a maintenu l’ordre esclavagiste, la Constitution de 1988, n’est pas un bout de papier marquant l’ouverture d’une nouvelle République avec le droit de vote à l’ensemble de la population, jusque là exclue pour analphabétisme. Elle est l’ensemble des possibles contre lesquels les oligarchies travailleront sans relâche pour que peu de droits et libertés ne soit réglementés dans les faits, notamment le Droit à la ville et la valeur sociale du sol, permettant aux mouvements sociaux de lutter contre l’exclusion et d’occuper espaces laissés à la prédation de la spéculation. Le Parti des Travailleurs n’aura pas réussi à leur tenir tête et a perdu sa relation symbiotique avec ses bases ; néanmoins, depuis 2003, les portes de la Casa Grande se sont entre-ouvertes, notamment celles de l’Université publique, aux domestiques et dans les périphéries.

Les journées de juin 2013 peuvent être interprétées comme une mobilisation pour les promesses de la Constitution. Elles sont comprises comme un essoufflement des coalitions locales et une remise en question de la légitimité du Parti des Travailleurs. Les expériences démocratiques, proposées depuis par exemple pour défendre l’école publique laïque, sont accueillies par des méthodes répressives. La nouvelle loi anti-terroriste est belligérante et criminalise les mouvements sociaux. Les élections de 2014 donnent ensuite le pouls : le parlement élu cristallise le tournant ultra-libéral, l’avènement des acteurs fondamentalistes et les nouvelles coalitions de l’industrie agro-alimentaire.

L’instabilité institutionnelle et l’insécurité juridique, l’arbitraire fasciste, ne sont donc pas le résultat d’un suicide, mais d’un projet de prise du pouvoir à travers un coup d’État maquillé en destitution de la Présidente de la République, surfant sur la misogynie collective. L’ordre institutionnel étant grandement garanti par un soutien des Forces Armées. Ayant longtemps relayé les lobbys brésiliens sur la stabilité macro-économique et leur rhétorique juridique, les grandes rédactions françaises se réveillent pour découvrir que « le dinosaure est encore là. »

Dans ce contexte et au vu de l’histoire du Brésil, c’est irresponsable d’affirmer que l’opération Lava Jato a démasqué le plus grand cas de corruption de l’histoire du pays. Cette opération est devenue une rampe de lancement des chevaliers blancs. Sous couvert d’éthique et enrobée de morale, les juges multiplient les vices de procédure tout en gagnant de la force politique au travers des média. L’opération s’abat sur le projet développementaliste au moment le plus opportun pour les intérêts financiers internationaux : la fin d’un cycle d’investissement pour ouvrir les vannes de pétrole pré-saliennes. En ça, le financement de micro-partis d’extrême-droite par les frères Kotch ne peut pas être déconnecté des intérêts stratégiques internationaux.

L’investissement dans une ferveur misogyne, raciste et dans les appels répétés à la violence contre les personnes LGBTI

Comme lors d’élections récentes, ailleurs, les fermes à robots et usines à algorithmes ont enfermé l’électorat dans un rhétorique de haine virtuelle. Les élections de 2018 confirment une victoire encore plus importante des coalitions fondamentalistes et militaristes. Depuis le 30 septembre, plus de soixante-dix agressions et assassinats politiques ont été répertoriés. Certains de ces investissements directs étrangers ont été ce 7 octobre 2018 élus députés fédéraux. Cette violence politique est surement exacerbée du fait des élections, mais, dès le lendemain d’une possible victoire du candidat de l’extrême droite, rien n’interdit des violences déchaînées contre toutes les personnes qui n’auront pas le profile du candidat victorieux.

Mosaïque, école publique dans le quartier de Maré à Rio de Janeiro. Guernica carioca. Crédits : Luc Duffles Aldon

Depuis 2003 l’élite politique et économique ronge son frein. Après son échec du scrutin de 2014, elle a mis en place une stratégie d’asphyxie du pouvoir et de rupture de la Démocratie qui semble lui avoir échappée ouvrant une boîte de pandore de laquelle sort le Parti Social Libéral porte étendard de « l’ordre nationaliste et de la morale chrétienne ». Il revient désormais aux mouvements sociaux et aux communautés de bases dont les existences sont menacées d’organiser la résistance.

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