Scandales financiers au Brésil - Lula : tout compte fait (2)

Dans la tourmente

Qui viendra au secours d’un Lula mis en danger par les révélations sensationnalistes de corruption ? Le premier accusé du scandale de l’administration des Postes, le député Roberto Jefferson, s’est transformé en accusateur. Le PT, selon ses affirmations, aurait acheté au prix de 30 000 reais mensuels (mensalão) les votes des parlementaires de partis, le Parti libéral (PL) et le Parti progressiste (PP). Déjà 13 millions de dollars et leurs bénéficiaires ont été identifiés. Le PT nie qu’il s’agit d’achat de votes mais admet que les partis ont tous des caisses électorales parallèles.

Le PT est touché de plein fouet. Si les récents sondages font état d’une opinion publique toujours favorable à Lula, mais en baisse (40 % acceptable, 35 % bon ou excellent, 23 % mauvais), ces scandales éclaboussent un parti qui s’était fait une réputation de parti moderne, prônant l’éthique — au nom de laquelle il avait été à la tête du mouvement d’impeachment contre le président Collor en 1992 —, faisant de celle-ci sa règle d’or. Le trésorier, le secrétaire général et le président du PT ont démissionné.

Qui donc viendra au secours de Lula ? À droite, il y a le second plus grand parti brésilien (le PMDB, Parti du mouvement démocratique brésilien), auquel Lula a offert trois nouveaux portefeuilles ministériels de poids. Le PMDB s’est payé le luxe de les accepter du bout des lèvres. Au nom du principe de « gouvernabilité ». Le ministère des Villes a été retiré, contre son gré, à Olivio Dutra, un des artisans de la démocratie participative de Porto Alegre, au profit du PP (qui n’est progressiste que de nom).

Pour Lula, il s’agit de « blinder » le gouvernement de toute compromission dans les pratiques financières douteuses du PT et sauver ainsi sa réélection de 2006. Le PT, quant à lui, devrait inévitablement souffrir des scandales si la tendance se maintient. Mais si corruption il y a au sein du PT (64 % de la population sondée pense que oui), qui peut penser que Lula n’en avait pas connaissance ?

En fait, la classe politique brésilienne ne tient pas à s’engager dans une procédure d’impeachment. Par ailleurs, le PMDB a déjà un candidat majeur en lice — l’ancien gouverneur Anthony Garotinho, qui est arrivé en troisième position aux élections présidentielles de 2002. Par rapport à ce candidat, à la fois évangélique et populiste, une partie du PMDB (toujours très divisé) préfère en effet un Lula sans marge de manoeuvre.

À gauche s’organise maintenant une défense de Lula. Défense populiste ? Le terme de « chaviste » commence à circuler. Le Mouvement sans terre (MST) — du moins son leader, Joâo Pedro Stédile — et la CUT (devenue pour certains un véritable syndicat d’État) ont pris la défense de Lula, espérant ainsi contrer, avec la mobilisation des mouvements sociaux, l’aile conservatrice du PT.

Les intellectuels ont rendu la ligne du PT responsable du recours à des pratiques malheureusement habituelles. Les franges dissidentes du PT — y compris le parti des exclus, le Parti socialisme et liberté (P-SOL, notamment composé d’Heloísa Helena, Geraldo Mesquita, Luciana Genro e Babá) — dénoncent la corruption en même temps qu’ils s’associent dans la présente conjoncture aux fonctionnaires mécontents du quasi-gel de leurs salaires.

L’heure d’une revanche de la gauche aurait sonné. Un signe ? Lula adopte depuis peu un langage anti-élite qui plaît aux travailleurs.


L’échec de l’alliance

Depuis plusieurs mois, le PT fait état de la nécessité d’alliance et d’une politique qui n’atteindrait pas, par souci de modération, les objectifs déclarés, pourtant eux-mêmes modérés. Visiblement, les scandales qui éclatent montrent l’échec de la politique d’alliance.

Mais était-ce vraiment la priorité du gouvernement ? Lula, comme plusieurs dirigeants pétistes, croit en la magie de l’orthodoxie monétariste du ministre Palocci. Celui-ci n’a-t-il pas affirmé que le champ de l’économie devait être totalement distinct du champ de la politique ? Acte de langage, d’exclusion sociale, alors que le contenu du discours du PT est au contraire d’inclusion sociale.

Dans ce parti de nouvelle classe moyenne qu’est le PT, l’imaginaire institué de la mondialisation s’est imposé comme une loi naturelle. Et pour ces « modernes », la transformation sociale rapide est un rêve qu’il faut laisser aux gauchistes.

Dans ce chenal imposé par les oeillères de dirigeants imbus de modernité, le paquebot Brésil semblait néanmoins avancer. Deux moteurs le permettaient. Le premier est la politique nationaliste et tiers-mondiste du Brésil conduite non sans panache. Le second est le discours de Lula traduisant dans des formules inédites, en mobilisant les émotions et le quotidien, la tension constante entre l’imaginaire institué de la mondialisation et les imaginaires instituants.

Ces derniers émanent de ce que Lula a nommé, au lendemain de son élection, « le peuple brésilien qui souffre », au nom duquel il s’engageait de gouverner. Ce second moteur ne va-t-il pas tourner à vide lorsque, à grands coups de journaux télévisés spéciaux, seront étalés, devant les yeux de ce peuple qui souffre, les millions de reais roulant sur les tables ? En fait, dans les bidonvilles, les gens haussent à peine les épaules.


Par André Corten, membre du Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine (GRIPAL), Université du Québec à Montréal, de retour d’un voyage de recherche sur le terrain au Brésil.

Source : Le devoir - Édition du vendredi 29 juillet 2005

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