Rio Doce : La négligence envers le bassin hydrographique dure depuis trop longtemps

 | Par Patricia Fachin

Interview de Fabiano de Melo par Patricia Fachin.
Pour l’Institut Humanitas Unisinos - Le 15 Juillet 2016
Traduction : Jean Saint-Dizier pour AutresBrésils
Relecture : Celine Ferreira

Ce qui attire l’attention dans la catastrophe de la Samarco, c’est que les gens ont fait comme si la catastrophe avait elle-même été responsable de la mort du Rio Doce, mais ce n’était pas le cas, car nous étions déjà petit à petit en train de dégrader le fleuve. Le désastre a constitué une situation extrême au cours de laquelle, une nouvelle fois, le fleuve s’est retrouvé dans une situation pire encore qu’auparavant”, dit Fabiano de Melo à IHU On-Line.

Selon le biologiste, qui connait de près la réalité du Bassin Hydrographique du Rio Doce, la région souffre depuis des années de l’intervention humaine et de la déforestation des berges du fleuve. Les Aires de Préservation Permanente – APP, par exemple, qui “devraient se trouver en plus grand nombre dans les réserves protégées, ont été totalement détruites et ce scénario de dégradation a conduit à l’appauvrissement du sol, ce qui a aussi, par conséquent, causé l’appauvrissement des sociétés et des villes qui se trouvaient là, dans le bassin”, explique-t-il.

Dans l’interview qui suit, réalisée par téléphone, Melo présente la situation actuelle de la région et attire l’attention sur la “chute vertigineuse de la qualité de l’eau”, sur le processus “d’envasement du fleuve et de ses principaux affluents” et sur la disparition de la surface forestière aux abords de la source. “Il s’agit de décennies de dégradations au cours desquelles nous avons littéralement assisté à la mort du Rio Doce”, se lamente-t-il.

Il ajoute encore, qu’avec l’aggravation des changements climatiques, les risques encourus par les Unités de Conservation qui existent dans les Etats de Minas Gerais et d’Espírito Santo, tels que le Parc Public du Rio Doce et la Réserve Biologique de Sooretama sont encore plus grand. “Les changements climatiques provoquent des périodes de sécheresse plus intenses et par conséquent, les risques d’incendies sont en augmentation. On a pu voir cette année, Sooretama prendre feu, ce qui est rare, si l’on considère le taux d’humidité attendu dans cette région de l’Espírito Santo. Le Parc Public du Rio Doce, est chaque année menacé par le feu à ses frontières, dans les zones qui entourent la réserve, en raison de cette période de sécheresse extrême que nous vivons aujourd’hui.”, avertit le biologiste.

Fabiano de Melo est diplômé en Sciences Biologiques de l’Université Fédérale de Viçosa - UFV, il possède un Master en Génétique et Amélioration de la même université et il est aussi Docteur en Écologie de l’Université Fédérale de Minas Gerais - UFMG. Il enseigne actuellement à l’Université Fédérale de Goiás – UFG.

En voici l’interview :

Photo : UFG

IHU On-Line – Quel est la situation du Rio Doce aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a été fait depuis la rupture du barrage ? Les pouvoirs publics ont-ils fait quelque chose pour la réhabilitation du Fleuve ?

Fabiano de Melo – Je suis né dans la ville de Governador Valadares, je connais très bien le Rio Doce et j’observe qu’étant donné le grand impact que le Bassin a subi tout au long des décennies, il a été fortement modifié par l’intervention humaine. Donc, avant l’accident de la Samarco, la situation était déjà critique, car le Bassin du Rio Doce, de façon générale, avait déjà fortement subi l’impact de l’activité humaine, ce qui l’avait fragilisé. L’accident fut la goutte d’eau. Nous sommes donc maintenant dans une situation encore plus critique que ce qu’elle était il y a peu de temps.

Avec la rupture du barrage, qui a déversé beaucoup de sédiments et de boue dans le lit du fleuve, de nombreux organismes et plantes sont mortes et l’accident a laissé le bassin dans un état de santé encore plus précaire qu’avant. Je pense que l’on a maintenant une bonne occasion de le remettre en état et de le laisser en de meilleures conditions que celles dans lesquelles il a été par le passé. Cette catastrophe, même si elle a été terrible, même s’il a laissé le bassin dans une situation pire qu’avant, est aussi une opportunité.

Concernant le contrôle, les organes des mairies, principalement, sont préoccupés par la qualité de l’eau, pour le captage et pour la population. Ils suivent tout cela de très près et les propres organes environnementaux de l’Etat et de l’Union essaient à tout moment, non seulement d’éviter d’autres catastrophes, mais aussi d’évaluer l’impact financier de ce qui s’est passé dans le bassin. Ma crainte, c’est que, étant donné que nous sommes en situation de crise économique, cette situation puisse entraver une vérification plus chirurgicale dans la reconstruction du Bassin.

IHU On-Line – Parmi les situations qui ont causé la rupture du barrage de la Samarco, il y a le drainage insuffisant du barrage du Fundão, à Bento Rodrigues. Quelles sont les informations dont vous disposez concernant le barrage du Fundão ?

Fabiano de Melo – Nous avons été horrifiés par la divulgation des rapports aux employés des entreprises impliquées, conscients des risques qu’ils couraient en relation au barrage. Cela démontre que, bien qu’il y ait un contrôle et une surveillance, il y a apparemment encore des brèches qui permettent aux entreprises de suivre des procédures non-appropriées. On s’est aperçu, en lisant les derniers reportages, qu’un système de retenue avait été mis en place, à la demande de l’Ibama en personne, afin de stopper l’élimination des rejets du barrage, parce qu’il continuait à en déverser dans le fleuve une importante quantité. Ainsi, une partie du barrage a donc été reconstruite précisément pour empêcher qu’une quantité énorme de rejets continue à être charriée par le fleuve. Cette mesure est importante, car elle stoppe la contamination immédiate de l’eau et elle permet, grâce aux prochaines pluies, une amélioration substantielle de la qualité de l’eau.
« Aujourd’hui, avec ce scénario de changements climatiques, nous pouvons voir la situation empirer très rapidement : Le fleuve en lui-même, le problème de l’eau en lui-même, la pollution industrielle et celle des villes, tout va en se dégradant »

IHU On-Line – Dans un article récent, vous affirmez que la mort du bassin du Rio Doce a commencé il y a au moins un siècle et qu’elle est le fruit de processus désorganisé de l’intégration du pays, autrement dit, avant la catastrophe de la Samarco, le bassin du Rio Doce était déjà négligé. Pouvez-vous nous expliquer le déroulement de ce processus dans la région du Rio Doce ? Quel sont les facteurs qui ont le plus contribué à la destruction du Bassin au fil des années ?

Fabiano de Melo – Ça m’attriste de lire l’histoire de l’occupation de la Vallée du Rio Doce et je me rend compte que cette région, particulièrement celle qui s’étend du milieu jusqu’au bas Rio Doce – Région de la Vallée de l’Acier, allant de la ville de Governador Valadares jusqu’à la fosse du Rio Doce dans l’Etat du Espírito Santo -, fut une des ultimes frontières de l’occupation et était alors formée de massifs forestiers géants, monumentaux sur ce parcours-là, jusque dans les années 40, autrement dit, il y a 76 ans. À l’époque, il y avait une grande quantité de forêts, d’Indiens et une situation très proche de l’originale. Mais avec l’avancée de la frontière agricole et de l’occupation du territoire, ce paysage s’est dégradé très rapidement, les forêts ont laissé place aux pâturages et aux villes et, donc, il y eu impact immédiat illustré par l’appauvrissement des sols.

Je vois combien les domaines agricoles ne sont plus rentables aujourd’hui – ce sont des fermes typiques de vaches à viandes et, dans certaines régions montagneuses, de vaches à lait – autrement dit, elles ont un rendement bien inférieur précisément à cause de la dégradation du sol. Les Aires de Préservation Permanente – APP, et les forêts qui devraient subsister dans les réserves protégées ont totalement été détruites et cette dégradation a conduit à l’appauvrissement du sol, ce qui, par la suite, a conduit à l’appauvrissement des sociétés et des villes qui se trouvaient là, autour du bassin.

Aujourd’hui, avec les changements climatiques, on peut voir les choses empirer très rapidement : le fleuve lui-même, la question de l’eau, la pollution industrielle et celle des villes, tout est en train de se dégrader. En même temps que la qualité de l’eau baissait de manière vertigineuse, l’envasement du fleuve et de ses principaux affluents et même en amont du bassin qui se trouve être dans la zone la plus proche de la Région Métropolitaine, où sont situées quelques-unes des principales sources, il y a eu un grand impact aussi sur la couverture forestière. Autrement dit, il s’agit de dizaines d’années de dégradations au cours desquelles nous avons littéralement assisté à la mort du Rio Doce. Ce qui attire l’attention par rapport à la catastrophe de la Samarco, c’est que les gens faisaient comme si la catastrophe était coupable de la mort du Rio Doce, mais pas du tout, parce que le fleuve était déjà en train de mourir lentement depuis longtemps. Le désastre c’est cette situation extrême qui, une nouvelle fois, a laissé le fleuve dans des conditions encore pires.

Alors on doit regarder dans le miroir et voir que l’on était en train de faire quelque chose de grave dans le bassin, autrement dit, nous ne lui portions pas l’attention nécessaire et cet accident nous a littéralement montré à quel point nous avions été négligents et insouciants vis-à-vis du bassin.

« Au fil des années, nous aurons plus de difficultés à combattre le feu, une des grande menace qui pèsent sur ces territoires »

IHU On-Line – Dans l’article, vous dites aussi que la région du Rio Doce est devenue plus vulnérable aux effets négatifs des changements climatiques en cours, plus spécialement dans le Parc du Rio Doce (MG) et dans la Réserve Biologique de Sooretama (ES). Qu’en est-il de leur situation environnementale ?

Fabiano de Melo – La question des changements climatiques pose un sérieux problème aux Unités de Conservation, parce qu’ils conduisent à des périodes de sécheresse plus intenses et augmentent donc les possibilités de départs de feux dans la végétation. On a vu cette année Sooretama prendre feu, ce qui est très rare au vu des conditions d’humidité que l’on serait en droit d’attendre dans cette région de l’Espírito Santo. Chaque année qui passe, le Parc public du Rio Doce, est menacé par le feu sur ses frontières, dans les zones qui entourent la réserve, à cause de cette période de sécheresse extrême que nous vivons chaque année, en fonction des changements climatiques.

C’est une situation très grave, à laquelle nous devons faire très attention parce qu’au fil des années, nous aurons de plus en plus de difficultés à combattre ces feux qui constituent une grande menace pour ces territoires. Dans le Parc du Rio Doce cette situation est encore plus évidente car il y a plusieurs villes aux alentours. De plus, les deux Réserves souffrent aussi beaucoup de la chasse. Dans l’Espírito Santo, sont enregistrés de multiples cas et des rapports constants d’équipes de l’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité – ICMBio et d’autres organisations, chargées du contrôle, nous permettent de constater qu’il existe encore une forte présence de chasseurs illégaux à l’intérieur de ces réserves, qui abattent des animaux sauvages. C’est très grave car certaines de ces espèces sont déjà menacées d’extinction.

En termes de terrains, il y a un grand problème parce que la BR 101 (qui longe le littoral du sud au nord du pays) coupe les Unités de Conservation, les réserves, et à cause de l’importance du trafic, beaucoup d’espèces rares telles que les jaguars et les pumas se font écraser. L’autre jour une harpie, une sorte d’aigle menacé d’extinction, le plus grand des rapaces existants au Brésil, a été capturée.

IHU On-Line – Suite à touts les constats que vous avez faits sur le processus de destruction du bassin du Rio Doce, est-il encore possible d’inverser la situation ?

Fabiano de Melo – Bien sûr ! Il faut lancer un projet de reforestation et la première chose à faire c’est de respecter les lois, parce que le Code Forestier exige de nous l’entretien des forêts dans les vallées tout au long des fleuves – peu importe la taille du fleuve – et autour des sources. Si l’on respectait déjà ça, ce simple devoir, on aurait une toute autre réalité dans le bassin. Le plus important maintenant, c’est donc d’essayer de promouvoir la reforestation, en soutenant les propriétaires ruraux intéressés et en allant même plus loin que ce qui est exigé par la loi en terme de reforestation. Nous avons aujourd’hui besoin de plus de forêts. Si nous n’en retrouvons pas une bonne surface dans un futur proche, cette situation de changements climatiques atteindra cette région de façon beaucoup plus dramatique.

Par conséquent, il nous faut protéger, non seulement les populations humaines qui vivent dans les villes, mais aussi en particulier les populations d’animaux sauvages qui se trouvent dans la région, étant donné que toutes les espèces sont, d’une manière générale, très menacées. L’ariranha – une espèce de loutre géante -, par exemple, est le plus grand représentant des mustelidae dans le monde et il n’en existe plus que deux dans toute la Mata Atlântica, pour la région du Rio Doce. C’est un fait, personne n’en a aperçu d’autres dans toute la zone forestière à l’est du Brésil. Cela démontre bien la force et la richesse des espèces qui se trouvent dans le bassin et qui ont aujourd’hui disparues parce que nous n’avons plus de forêts. Alors, je crois que la chance que nous avons et une vraie chance. Nous avons besoin de politiques sérieuses qui soutiennent cette reforestation et encouragent les propriétaires à avoir cet objectif.

Source : ronalddealmeidasilva.blogspot.com.br

IHU On-Line – En terme de législation environnementale et de politiques publiques, outre la reforestation, qu’est-ce qui devrait et pourrait être fait pour restaurer les bassins hydrographiques ?

Fabiano de Melo – Dans le Minas Gerais il existe un débat très intense autour du fait que toute action de surveillance ou de permis environnemental mis en œuvre, le soit en faveur du Bassin Hydrographique. Parce que le Bassin est théoriquement l’élément du paysage qui représente le mieux la synergie des impacts tout au long de la chaine de production, autrement dit, des usines hydro-électrique, des industries, des villes et des propriétés rurales. C’est-à-dire qu’en plaçant le cadre du bassin sur une échelle, on puisse, de façon plus claire et chirurgicale, intervenir positivement sur les impacts environnementaux qui l’agressent.

Nous avons donc besoin d’un changement de paradigme au sein de la société brésilienne et des organes de contrôle. Quand on fait une analyse de l’impact environnemental, il faut y inclure toutes ces questions. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut en faire une routine de manière à analyser le Bassin comme en tout, pour savoir exactement quels sont les impacts qu’il subit.

IHU On-Line – Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Fabiano de Melo – J’aimerais que la société se réveille et comprenne que la question environnementale a toujours été liée à notre survie, mais que l’on n’y avait jamais fait attention parce que le Brésil, par exemple, a toujours été un pays ayant des ressources naturelles en abondance. Nous n’avons jamais manqué d’eau et ce n’est pas l’espace qui nous manque pour la production d’aliments, bref, nous avons toujours eu la sensation que les ressources sont inépuisables, mais non, tout ce que nous avons et que nous consommons a une limite et une fin. Alors j’aimerais que la société se rende compte que nous devons faire attention, nous devons être plus attentifs à ces questions environnementales. Je n’aimerais pas que l’on apprenne dans la douleur, je crois que la société peut apprendre des expériences vécues, y compris des civilisations passées qui ont fait face à des situations semblables d’épuisement de leurs ressources naturelles et d’extinction littérale de leurs civilisations. En d’autres termes, nous n’avons pas besoin d’en arriver à ce point-là pour faire notre devoir, pour que l’on puisse vivre en harmonie et assurer notre survie.

Voir en ligne : IHU On-Line

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