Quatro Varas : la force d’une favela

 | Par Benoit Théau

Quatro Varas : la force d’une favela de Benoit Théau, 26’ (2002)

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Fortaleza, Nord-Est du Brésil. La ville abrite la deuxième plus grande favela du Brésil. Certains des habitants de ces bidonvilles se sont organisés en associations afin d’améliorer leurs conditions de vie. Quatro Varas, l’une de ces associations, travaille surtout à donner aux habitants une meilleure image d’eux-mêmes et à tisser des liens sociaux.

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LA FAVELA DE QUATRO VARAS

(Texte tiré du site Igapura)

Origine de Fortaleza

L’État du Cearà, situé au nord-est du Brésil. Aujourd’hui l’Etat vit grâce à l’agriculture, au tourisme et au blanchiment d’argent sale.

Au cours des dernières décennies, la population de l’intérieur de l’État a été confrontée à deux difficultés majeures : des cycles de sécheresse qui ont anéanti cultures et cheptel et l’absence de réforme agraire sans laquelle les perspectives de développement sont limitées. Cela a nécessité une modification profonde de l’économie ; le Cearà est devenu une des régions les plus touristiques du Brésil.

Les difficultés rencontrées par les populations rurales ont entraîné des vagues de migration vers les grandes villes comme Fortaleza, la capitale de l’Etat. Les migrants s’installent à la périphérie des centres villes, de façon précaire, instable, illégale, dans l’insécurité. Actuellement la ville compte 2 millions d’habitants. 1/3 vit dans des favelas. Pirambù, la plus importante favela, abrite 280.000 habitants, elle s’étale sur huit kilomètres le long de la mer.

Comment est né Pirambù

L’histoire de Pirambù remonte au début des années 1960. A cette période, une forte sécheresse dans le sertaõ contraint des dizaines de milliers de ruraux à fuir vers Fortaleza. Les premiers arrivants vivent un peu de pêche mais surtout de petits boulots, de commerce. Même si les revenus sont modestes et irréguliers, progressivement les quartiers spontanés se transforment en quartiers aménagés, qui disposent aujourd’hui de l’eau et de l’électricité. Des voies de circulation sont aménagées. Certains endroits de la favela sont transformés en quartiers populaires : la construction des habitations en dur s’accompagne de la création de services publics.

L’organisation du mutiraõ

Il est intéressant de remarquer que certaines habitations ont été construites selon le principe du mutiraõ. Historiquement le mutiraõ est une forme d’organisation sociale des Amérindiens qui, régulièrement, devaient faire des travaux pour la communauté, des réalisations qui bénéficiaient à tous, des sortes de travaux d’intérêt collectif. Ce principe a été repris et adapté par le mouvement urbain des sans terre, qui revendique de l’espace pour vivre et bien sûr des moyens pour construire des logements décents. Actuellement dans de nombreuses villes du Brésil, les États, s’ils le souhaitent, financent les matériaux et un encadrement technique et les populations fournissent la main-d’œuvre pour la construction. A Pirambù ce système a été utilisé pour construire de nombreuses habitations. Lorsqu’un lot de maisons est terminé, on tire au sort pour les répartir entre les familles. Une pratique traditionnelle - en l’occurrence celle des Amérindiens - a été transposée en milieu urbain pour résoudre, au moins partiellement, la question aigüe du logement.

L’évolution de la favela et la dégradation de la vie sociale

Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la favela, les équipements publics font défaut. Les nouveaux arrivants s’installent, soit le long de la mer où les habitations précaires ne peuvent résister aux intempéries, soit sur les collines qui surplombent la favela, où le sol sableux ne permet pas de construire en dur. Les exclus sont rejetés aux deux extrémités de l’espace favellisé.

Dans l’impossibilité de travailler régulièrement, les migrants ne peuvent plus préserver la position sociale qu’ils avaient auparavant. Aussi trouvent-ils des compensations dans l’alcool ou bien la drogue, ce qui rend encore plus difficile le processus de socialisation. Nombreux sont les pères de famille qui quittent le foyer laissant les enfants à la charge de leur femme. Ils vont construire une vie ailleurs où la stabilité de la famille n’est plus une valeur.

La frustration des hommes s’exacerbe aussi à travers la violence : violence conjugale, violence de la rue, souvent sous l’emprise des drogues. Les conséquences pour les enfants sont dramatiques. Ne pouvant trouver au sein de la famille un climat sécurisant, les jeunes rejoignent les gangs et adoptent leurs valeurs. De nombreux enfants, parfois dès quatre ans, se retrouvent à la rue, en proie à la délinquance, au racket, à la prostitution.

Les mouvements migratoires provoquent ainsi un appauvrissement culturel, une modification profonde des liens sociaux. On est passé d’une culture rurale avec des valeurs spécifiques et fortes qui ont permis de survivre en dépit de la situation économique difficile, à un environnement urbain désorganisé. En fait les gens perdent leur identité, la ville modifie leur personnalité, leurs repères. Les jeunes qui n’ont pas connu la culture du paysan du sertaõ ont l’impression d’être entre deux mondes.

Mais comme le dit Adalberto Barreto, un psychiatre qui travaille dans la favela, la misère la plus profonde ce n’est pas la misère matérielle, celle qui accroche le regard, la saleté de la favela, c’est la misère internalisée : « Les gens qui vivent dans un espace d’exclusion finissent par croire qu’ils sont incapables, qu’ils ne réussiront jamais ». N’ayant plus confiance en eux-mêmes, n’ayant plus « d’estime de soi », ils renforcent leur exclusion.

Le projet de Quatro Varas

Adalberto Barreto, qui est aussi professeur d’université, a créé, à Quatro Varas, un quartier de Pirambù, le Centre de santé mentale communautaire. L’objectif de ce projet est de faire en sorte que les favelados retrouvent confiance en eux-mêmes. Chacun a les ressources nécessaires en lui pour affronter les difficultés de la vie.

Ce projet comporte plusieurs facettes :

Tout d’abord, un programme qui s’appelle l’éveil de l’estime de soi. Des séances communautaires permettent à des favelados de chercher à l’intérieur d’eux-mêmes les ressources dont ils disposent pour dépasser leurs souffrances, croire en eux-mêmes, développer leur capacité. De plus, lors de séances de thérapie communautaire, les gens peuvent exprimer leurs problèmes. La solution n’est pas donnée par le psychologue mais par des participants qui, souvent, ont vécu des situations analogues.

La pharmacie vivante. Il s’agit de la fabrication de médicaments à partir d’herbes médicinales cultivés sur un terrain de quatre hectares. Guérisseurs traditionnels et thérapeutes populaires ont accepté de délivrer leur savoir pour mettre au point des préparations qui sont mises sur le marché à des prix très abordables. Les bénéfices néanmoins réalisés permettent de financer le projet de santé mentale communautaire. Cet exemple montre la volonté des initiateurs de ce projet de puiser dans le capital culturel de la communauté.

L’atelier d’art thérapie. Des activités spécifiques ont été créées pour les enfants délinquants, en rupture avec leur famille. L’objectif visé est de leur donner confiance en eux et de valoriser leur potentiel de création. Un atelier d’art thérapie accueille des jeunes qui ont fui leur famille alcoolique et qui ont versé dans la drogue. Ils expriment dans leurs dessins la vie quotidienne dans la favela et l’avenir qu’ils voudraient se construire. « L’art thérapie est une espèce de révélateur pour éveiller les aptitudes de chacun et mieux socialiser le jeune fragilisé et timide », affirme Adalberto Barreto. Les jeunes ont fait des expositions de dessins, réalisé un livre qui raconte toute l’histoire de la favela (Du sertaõ à la favela : de l’exclusion à l’insertion) et ils sont même venus en France pour présenter leur travail. Pour réaliser ce livre un groupe de jeunes est allé dans le sertaõ pour découvrir les racines de leurs parents. Découvrir les valeurs culturelles qu’ont connus leurs parents les aide à mieux comprendre l’environnement social et culturel de la favela.

La radio communautaire. 42 adolescents animent bénévolement une radio communautaire qui diffuse des informations sur le quartier mais aussi des informations sur la santé, la prévention du Sida, l’éducation... D’autres jeunes font partie d’un groupe de danse les B-BOYS. Leur objectif est de préserver les jeunes de la violence de la rue. Les danses simulent le quotidien des jeunes et elles dénoncent la violence et la prostitution.

Une nouvelle identité culturelle

La survie dans la favela repose sur la préservation de liens sociaux forts et sur des formes de solidarité multiples. L’amélioration des conditions de vie des favelados dépend de leur capacité à forger une nouvelle identité culturelle.

Comme l’exprime Adalberto Barreto, c’est un long travail de reconstruction de la personne : « Le travail qui est fait ici, c’est un travail d’araignée. Il consiste à tisser des liens entre les gens, des liens invisibles mais très structurants pour les gens qui vivent dans un espace de fragmentation ».

A travers cette étude de cas, on voit bien, que la recherche d’une nouvelle identité culturelle est un facteur essentiel pour sortir de l’exclusion sociale et économique.

Pour poursuivre la réflexion :

Ouvrages :

  • De l’errance à l’insertion, from Sertao to the Favela, Projeto Quatro Varas, Universidade Federal do Ceara, 194 pages, 1999.
  • Un psychiatre dans la favela, Eliane Contini, Synthélabo, 180 pages, 1995.
  • L’indien qui est en moi, Jean-Pierre Boyer et Adalberto Barreto, Eds Descartes et Cie, 1996.

Documentaire vidéo :

Quatro Varas, la force d’une favela, 26 minutes, Benoît Théau et Christian Auxéméry, 2002.


Contact et informations : benoit.theau@igapura.org


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