Qu’est-ce qui a changé après Lula ? (2)

L’AJUSTEMENT NEOLIBERAL SE POURSUIT

Pour mesurer l’action du gouvernement Lula sur la plan de la réduction de la dépendance - la deuxième dimension de cette évaluation -, l’analyse doit prendre en compte deux aspects : l’aspect économique et l’aspect politique.

Sur le plan économique, le fait essentiel et choquant est le constat de la continuité du processus d’ajustement structurel de l’économie brésilienne aux canons du modèle néolibéral : réforme de la Prévoyance Sociale, retrait de l’entrave constitutionnelle à l’autonomie de la Banque Centrale, réforme du Pouvoir Judiciaire, et Loi de Faillites. Toute cette législation structurante, sponsorisée sans retenue par le gouvernement pétiste, s’aligne rigoureusement sur la recette du Consensus de Washington - Etat faible et marché libre.

La politique économique a suivi les mêmes traces. Tout s’est subordonné au même refrain : « Construction de la confiance » (confidence building, comme on peut lire dans les manuels qui ont instruit l’équipe économique) des centres du capitalisme financier dans le gouvernement du Brésil. Pour obtenir cette confiance, ont été faites des concessions injustifiables aux multinationales de l’énergie et des télécommunications, ont été données des exemptions injustifiées aux spéculateurs et investisseurs étrangers. On a « fermé les yeux » sur les transgressions aux normes de protection des forêts par les entreprises étrangères exploitant le bois, et on a sanctionné le recul de la législation environnementale, afin de favoriser les multinationales des transgéniques. Sans parler du maintien d’un superavit primaire incompatible avec la réponse minimum aux demandes sociales et avec le besoin urgent de récupérer l’infrastructure économique du pays.

Cet inventaire des mesures structurelles et conjoncturelles nous amène à la conclusion que, après deux années de gouvernement Lula, l’Etat brésilien est devenu plus faible et moins équipé pour exécuter des politiques économiques, car un plus grand nombre de décisions importantes a été transféré vers des centres de décision externes.

Dans la dimension politique de la question de la dépendance, le gouvernement et l’Itamaraty (Ministère des Affaires étrangères, ndt) sont parvenus à « repousser l’ALCA avec le ventre », torpiller la cession de la base d’Alcântara, créer le G-22, mettre en échec, pour la première fois dans l’histoire des négociations commerciales, des propositions appuyées à la fois par les Etats-Unis et par l’Europe. Il est vrai qu’aucun des résultats obtenus n’est définitif, et que l’éclat de ces réussites a pali avec l’inexplicable envoi de troupes brésiliennes pour servir de paravent aux obscures manœuvres de la diplomatie étasunienne et française en Haïti.

FRAGMENTATOIN DE LA GAUCHE

Tout ceci étant dit, on peut passer à l’examen du troisième axe de l’analyse : l’organisation politique du peuple, un aspect essentiel, car nous savons tous que la réduction de l’inégalité et l’autonomie ne sont pas des cadeaux faits par les riches et les puissances étrangères. Bien au contraire, ce sont ces conquêtes arrachées à ces puissants au coût de nombreuses luttes et de nombreux sacrifices. Elles requièrent, donc, un peuple conscient, organisé et mobilisé.

C’est sur ce plan que se trouve, sans aucun doute, le pire résultat du gouvernement Lula en deux ans. Pour commencer, la conduite politique du gouvernement s’est soumise intégralement aux schémas traditionnels de l’élite brésilienne corrompue : connivences, petits arrangements, alliances illégitimes, financement obscure des campagnes électorales - en rien différents des pratiques condamnables du gouvernement Fernando Henrique Cardoso dans son rapport aux « bases d’appui » parlementaire et du parti. Ce comportement n’a fait que confirmer le scepticisme d’une grande partie de la population envers tous ce qui a à voir avec la politique (" ils sont tous à mettre dans le même sac « ), et démoraliser les avant-gardes populaires qui, pendant deux décennies, ont lutté pour convaincre le peuple que le PT était différent.

La déception face au comportement éthique a été suivie de la surprise face à l’absence de mesures qui ont toujours fait partie du programme du parti et du discours de Lula pendant tout sa vie politique. Les indigènes, par exemple, ne sont pas parvenus à comprendre pourquoi le gouvernement ne procèdait pas à la démarcation de la réserve Raposa Serra do Sol ; les 200.000 familles qui sont allées dans les campagnes dès qu’elles ont su que Lula était élu n’ont pas envie de rester aux bords des routes ou sur des terres occupées, sous les yeux des milices privées ; les écologistes ont vu s’effondrer leurs espoirs d’une action décisive de répression de la déforestation et de la pénétration des transgéniques ; les populations touchées par la construction de barrages ne sont pas parvenues à être indemnisées comme elles auraient dû l’être ; les syndicalistes authentiques protestent contre le montant du salaire minimum et contre la proposition pour la structure syndicale ; sans parler des personnes âgées, frappées par la nouvelle législation de prévoyance. Un rosaire de déceptions.

Considérant que toutes ces demandes constituaient les bannières de lutte des avant-gardes populaires, on peut conclure qu’aujourd’hui, le mouvement populaire est plus faible, plus confus, plus divisé qu’il y a deux ans. Pour s’en faire une idée, il suffit de d’observer le fait que toutes les tendances internes du PT » se sont lézardées « , et que plusieurs syndicats importants se sont détachés ou sont en voie de se détacher de la CUT. Les autres partis de gauche et les mouvements populaires ruraux et urbains n’ont pas échappé à ce processus. Ils se voient tous face au dilemme : rompre avec » leur gouvernement « , ou reculer, afin de ne pas l’affronter directement. Si le gouvernement Lula ne réprime pas la gauche ou le mouvement populaire, il en provoque la dilution et la fragmentation.

Cette évaluation apparemment ne correspond pas au sentiment du peuple, puisque les sondages d’opinion montrent une approbation à presque 70% de l’action du président Lula, et 45% de son gouvernement. Pourquoi alors la dureté de la critique, si le » gros du peuple « est satisfait ?

Il est encore tôt pour tirer des conclusions définitives de ces sondages. Indiqueraient-ils que Lula est en train de substituer sa base d’appui - le PT et les mouvements populaires combatifs - et de s’acheminer vers un nouveau type de » populisme « , basé sur son charisme personnel et sur la transformation du PT en une formidable machine électorale ? Ou bien les sondages montrent-ils une situation conjoncturelle qui peut se défaire rapidement, si 2005 n’amène pas les bénéfices que la masse populaire attend encore ?

Quelles que soient les réponses, une chose est sûre : le gouvernement Lula oblige tous ceux qui luttent pour accélérer la transition du » Brésil-colonie d’hier ver le Brésil-Nation de demain " à un profond effort de révision de leurs stratégies, de leur discours et de leurs pratiques.

*Plinio Arruda Sampaio est directeur du Correio da Cidadania (http://www.correiocidadania.com.br/). Il a été fondateur du PT, et leader du parti dans la Constituante (1987/1988)

Source : BRASIL de FATO, n° 97 - 5 janvier 2005

Traduit du brésilien par Isabelle Dos Reis

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