Pour Vargas Llosa des « Pitreries », pour nous du « sang » Réponse à Mario Vargas Llosa

 | Par Eliane Brum

Mario, ce que tu qualifies de « pitreries », nous l’appelons du « sang ».

Un édito d’Eliane Brum, dont elle a autorisé la traduction.

Texte originellement publié le 18 Mai 2022 sur El País,
Traduction pour Autres Brésils : Philippe Aldon
Relecture : Du Duffles

Lors d’une conférence à Montevideo, le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa a pris position sur les élections brésiliennes d’octobre prochain. L’écrivain péruvien a déclaré : "Les pitreries de Bolsonaro sont très difficiles à admettre pour un libéral. Mais, entre Bolsonaro et Lula, je préfère Bolsonaro". Ce n’est pas la première fois que le célèbre écrivain fait des déclarations politiques controversées, ayant recours cette fois à un euphémisme. Mais défendre Jair Messias Bolsonaro contre Luiz Inácio Lula da Silva, c’est un peu exagéré même pour les standards de Vargas Llosa. Il n’a jamais été aussi important de différencier un libéral d’un extrémiste de droite. De telles déclarations tendent à brouiller les frontières et contribuent à la corrosion de la démocratie.

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L’écrivain péruvien de 86 ans, entré à l’Académie française en fin d’année dernière, vient de déclarer sa préférence pour Bolsonaro face à Lula. Cette nouvelle prise de position politique reflète un parcours intellectuel de plus en plus contesté, marqué par des soutiens à des figures d’extrême droite en Amérique mais aussi de la droite dure en Espagne. Une enquête du n° 20 de la « Revue du Crieur », disponible en librairie.

Voyons ce que le soi-disant libéral Mario Vargas Llosa, personnage ayant fréquenté, durant des décennies, les cercles intellectuels raffinés en Europe, considère comme "les pitreries de Bolsonaro" : l’attaque persistante contre le vote électronique et contre le processus électoral, afin de justifier un coup d’État au cas où il ne serait pas réélu ; l’agression récurrente des institutions qu’il n’a pas réussi à contrôler, telles que le Tribunal supérieur électoral et la Cour suprême ; les près de 700 000 décès de la Covid-19, résultat de l’exécution avérée d’un plan de diffusion du virus afin d’obtenir une " immunité collective ", avec l’attaque systématique du port du masque et de la vaccination ; le soutien aux exploitants miniers illégaux, aux bûcherons et accapareurs de terres (voleurs de terres publiques) responsables de la contamination des rivières par le mercure, de la déforestation record et du recours à la violence contre les défenseurs de la forêt, ainsi que, en ce qui concerne l’exploitation minière, du viol des femmes autochtones ; le démantèlement de la législation environnementale construite au fil des décennies, la liquidation des agences de protection et le relâchement des sanctions à l’encontre de ceux qui détruisent la nature ; les attaques constantes contre les femmes, les autochtones et les Noirs ; les relations de plus en plus évidentes avec les milices qui contrôlent le crime organisé et la défense de l’armement de la population civile. La liste des "pitreries" ne tient pas dans l’espace de cette colonne, il faudrait pour cela une édition complète, toutes sections comprises, d’El País du dimanche.

Ainsi le supposé libéral Mario Vargas Llosa préfère Bolsonaro à Lula parce que l’ancien président, favori des sondages, "a été emprisonné", condamné " en tant que voleur " par les juges. Vargas Llosa ne doit pas savoir que Lula a effectivement passé 580 jours en prison, mais que la Cour suprême a par la suite annulé les condamnations et ordonné de reprendre la procédure depuis le début en raison d’erreurs de procédure, ce qui le rend innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée. Si les condamnations avaient été confirmées, Lula ne pourrait pas être candidat.

Ce qui est en jeu dans les élections brésiliennes d’octobre, c’est la démocratie elle-même. Quelles que soient les critiques que l’on puisse formuler à l’encontre de Lula et de ses gouvernements - et elles sont nombreuses - il est un démocrate. Bolsonaro, contre lequel il existe plusieurs dénonciations pour génocide à la Cour pénale internationale, est un partisan de la dictature militaire, qui a pour héros avoué le principal tortionnaire du régime, et qui a fait du Brésil un pays en situation de coup d’État.

Pour un authentique libéral, les actions de Bolsonaro ne devraient pas être "difficiles à admettre", mais plutôt impossibles à accepter. Les admettre comme un moindre mal, c’est manquer de respect à la vie des plus fragiles et à la démocratie elle-même. Qu’entre la civilisation et la barbarie, une personne ayant la résonance publique de Vargas Llosa se prononce publiquement en faveur de la barbarie, réduisant à des " pitreries " des actes qui ont coûté la vie à tant de personnes et amènent au point de non-retour la plus grande forêt tropicale du monde, explique en grande partie pourquoi les démocraties sont en crise et laisse entrevoir les instincts autoritaires et racistes d’une partie importante des élites intellectuelles d’Amérique latine. À Vargas Llosa, nous devons dire : ce que tu qualifies "de pitrerie ", nous, qui subissons la violence quotidienne imposée par Bolsonaro, nous l’appelons du sang.

Voir en ligne : El Pais Espana

Abertura Fronteiras do Pensamento São Paulo 2013
Conferência : A civilização do espetáculo

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