Le mouvement a semé la panique au sein de la population de plusieurs villes de l’État du Ceara [1]. Il y a eu 241 morts pendant la grève qui s’est terminée par une négociation : le gouvernement de l’État s’est engagé à réajuster les salaires mais n’amnistiera pas les grévistes.
Les organisations de la société civile rassemblées autour des enjeux de la sécurité publique dénoncent et manifestent depuis de nombreuses années, sur la base de données de recherche sérieuses, les graves problèmes de notre police, qui contribuent à en faire l’une des plus violentes et des plus meurtrières au monde [2].
Les conditions de travail des corps de police sont mauvaises, les salaires sont bas [3] et la structure est anachronique [4]. Par ailleurs, il est important de comprendre la formation des policiers et le modèle opératoire adopté. Au Brésil, les deux polices dites "communes" – car l’on considère que la Police fédérale mérite un débat à part - constituent les deux moitiés d’une activité unique.
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L’une fait la confrontation dans les rues (Police militaire) et l’autre enquête (Police civile). En pratique, cela aboutit à une très faible solution des crimes graves. La moyenne nationale des affaires d’homicides résolues n’atteint pas 10 %.
Une partie de la raison de cette inefficacité est précisément la division du modèle opératoire. Elle alimente l’hostilité persistante entre les deux moitiés de la Force de police qui, en règle générale, ne partagent pas les informations entre elles, ne mettent pas leurs ressources en commun et se livrent à d’interminables querelles de juridiction.
Il est important de préciser que le modèle brésilien est unique au monde. Dans d’autres pays, chaque institution policière opère du service de patrouille jusqu’à l’enquête. C’est ce qu’on appelle le cycle complet du maintien de l’ordre.
Par ailleurs, le modèle de hiérarchie interne, propre à chaque institution, est également unique au monde. Elle s’exprime notamment par une énorme inégalité de statut et de salaire. Dans le cas de la Police civile, ce rapport inégalitaire est entre les commissaires et les « les autres ». Dans la Police militaire brésilienne, c’est entre les officiers gradés et les non-gradés.
La relation controversée entre les organismes fédéraux et ceux des États, telles que l’attribution des litiges entre la police (État) et le bureau du Procureur (fédéral), découle d’un paragraphe 7 de l’article 144-A de la Constitution Citoyenne de 1988, jamais réglementé. Elle constitue également un autre goulot d’étranglement. La discussion sur les pouvoirs d’investigation est intense.
L’ex-sénateur Lingbergh Farias a présenté, en 2013, le projet d’amendement à la Constitution (PEC) n° 51, qui permettrait aux États et aux municipalités d’être protagonistes de la définition de leurs forces de police, établissant le cycle complet d’enquête et une carrière unique. Il y a eu des débats très pertinents pour l’époque, mais la proposition n’a pas bougé depuis. Ce débat a amené un faux discours d’unification de la police, de fin de la police militaire, de dévalorisation des carrières. Les mérites du projet ont été engloutis par le corporatisme et la fausse propagande.
Les milices
D’autre part, il est impossible d’échapper au fait que plusieurs membres de la police sont impliqués dans la corruption et la violence. Beaucoup s’engagent dans les organisations paramilitaires connues sous le nom de milices, qui ont gagné en visibilité et en importance dans le débat politique ces dernières années notamment en raison de l’implication des miliciens avec le clan Bolsonaro.
Les milices ne sont pas un phénomène nouveau. Des universitaires tels que le sociologue José Cláudio Souza Alves de l’Université Fédérale Rurale de Rio de Janeiro (UFRRJ) travaillant sur la question depuis plus de 26 ans, soulignent qu’ils sont apparus comme des groupes d’extermination à la fin des années 60, en pleine dictature militaire. Les milices sont composées de policiers militaires et d’autres agents de sécurité qui agissaient comme des tueurs à gages.
En d’autres termes, les milices sont apparues en même temps que la police militaire telle qu’elle existe aujourd’hui, formée pour la guerre et non pour protéger les citoyens. Dans les années 1990 et 2000, les milices étaient directement liées à l’occupation des terres urbaines.
Pouvoir parallèle
A Rio de Janeiro, les milices agissaient dans la Baixada Fluminense, dans les zones où auparavant les organisations du trafic de drogues étaient présentes. Elles s’affrontent et établissent une structure de pouvoir, prélevant des taxes et vendant des services et des biens.
Les milices offrent de la sécurité et de la protection. Elles contrôlent la distribution de l’eau, du gaz, des boissons et participent à de nombreuses activités illicites. Elles exécutent sommairement toutes les personnes qui expriment une opinion divergente ou perturbent leurs négoces. C’est un pouvoir parallèle. Et, dans certaines localités, elles opèrent en accord avec les organisations du trafic de drogues, tout comme la police.
Les milices ont aussi des membres élus dans les structures de l’État ; ce qui n’est pas le cas des organisations du trafic de drogue. Elles adoptent toutes des pratiques illicites, opèrent dans les territoires caractérisés par des conflits, où la société assiste impuissante et soumise.
Pour en prendre la dimension, savoir où la police et la milice se séparent et où elles convergent, il faut faire une analyse au cas par cas. Les miliciens sont partout, dans toutes les structures de l’État, surtout parmi les forces de police.
Dans tous les cas, ce qui semble raisonnable de dire, à ce stade, c’est que les actions orchestrées visent à étendre l’action de la police et à l’utiliser dans le sens de déstabiliser les gouvernements des États fédérés qui ne s’alignent pas avec le pouvoir central.
Mutinerie au Céara
Le cas du Ceará est emblématique. [5] La dimension de la politique s’y est imposée comme la forme de perpétuer et renforcer les pratiques, tant de la police qui tue dans l’impunité que de la milice.
Ce pays où les policiers militaires deviennent des héros de la nation en faisant une grève et en tirant sur un sénateur de la République ; où ils sont reconnus comme des “géants, courageux” par le chef du corps de la Force Nationale de Sécurité Publique [6] ; est le même où le grade est associé au nom social des élu·es assis sur les bancs du Congrès National ; le même où un ancien militaire ayant reçu un hommage du fils du président du Brésil est tué par la police militaire dans une ferme d’un conseiller municipal du Parti Social Libéral [7], le parti avec lequel le président, ses fils et de nombreux parlementaires gradés ont été élus.
Nous sommes encerclé·es. Il n’y a pas de coïncidences mais des faits, des faits qui doivent être enquêtés et clarifiés. Il y a une opération au sein des structure politique officielle. Elle est extrêmement dangereuse, tentaculaire et nous nous doutons à peine des endroits qu’elle atteint.