Source : Revista Forum, le 1er mai 2014
Traduction pour Autres Brésils : Roger GUILLOUX (Relecture : Pascale VIGIER)
ʺIl n’y a pas eu de changement dans la structure des classes au Brésil", nous dit-il. Selon lui, le processus d’affaiblissement de l’industrie et l’externalisation du travail sous l’influence du néo-libéralisme ont conduit au déclin de la classe moyenne, segment de la population aux rémunérations élevées, entre la classe des travailleurs et les propriétaires.
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L’économiste Márcio Pochmann, professeur titulaire à l’Unicamp [1], estime que la classe des travailleurs au Brésil s’est développée ces dernières années et peut être fière de la situation de l’économie en ce jour du 1er mai. ʺLe Brésil vit une situation très différente des autres pays qui discutent pertes, chômage et déclinʺ, affirme-t-il.
Selon lui, le maintien de taux bas de chômage, la croissance de l’économie et la revalorisation du revenu de travail par rapport à celui du capital au cours de ces dernières années, placent le pays dans une situation meilleure par rapports aux pays riches.
L’économiste souligne, par exemple que les enfants des plus pauvres commencent à travailler plus tardivement en raison des études. ʺDe cette manière, ils entreront sur le marché du travail avec une meilleure qualification et pourront postuler à des emplois meilleursʺ estime-t-il.
ʺLa nouvelle classe laborieuse représente plus de 80% de la population au travailʺ affirme Pochmann, qui s’est consacré à l’étude des changements sociaux résultant des politiques économiques et sociales mises en place avec l’arrivée à la Présidence de Luiz Inácio Lula da Silva.
La croissance de la classe laborieuse, dit-il, se doit à la chute du chômage, à la politique de valorisation du salaire minimum et aux politiques sociales en faveur des plus pauvres. Cependant, le renforcement du marché interne avec l’incitation à la consommation a brouillé la perception des groupes sociaux.
Pochmann remet en cause l’expression de ʺnouvelle classe moyenneʺ utilisée pour classifier ce groupe social de travailleurs pauvres qui a amélioré ses revenus. Ce groupe est formé de travailleurs qui étaient sans emploi ou qui travaillaient dans le secteur informel et qui ont obtenu un emploi déclaré, la majorité d’entre eux dans le secteur des services et avec un revenu allant jusqu’à deux salaires minimums.
ʺLa nouvelle classe moyenne est une inventionʺ, affirme l’économiste qui publie en mai, un nouveau livre dont le titre est ʺO mito da grande classe média : capitalismo e estrutura social [2]ʺ chez Boitempo. Il occupe actuellement la présidence de la Fondation Perseu Abramo, liée au PT. A l’époque du gouvernement Lula, il dirigeait l’Ipea (Institut d’Etudes Economiques Appliquées).
ʺIl n’y a pas eu de changement dans la structure de classes au Brésilʺ affirme-t-il. ʺIl existe une tendance à une plus grande polarisation au sein de la structure socialeʺ. Selon lui, le processus d’affaiblissement de l’industrie et l’externalisation des activités sous l’influence du néolibéralisme, ont provoqué le déclin de cette classe moyenne, segment de population à hauts revenus, se situant entre la classe laborieuse et les propriétairesʺ.
De 2003 à nos jours, 22 millions de personnes sont rentrés dans le marché du travail légal. ʺIl s’agit d’une croissance énorme mais qui représente une consolidation de la base de la pyramide socialeʺ explique-t-il. Ce segment de la population est différent de la classe moyenne qui a un revenu lui permettant d’épargner, qui peut payer une éducation et les soins médicaux du secteur privé et qui investit beaucoup dans les biens culturels et le tourisme.
La classe moyenne, formée de travailleurs salariés ayant un revenu assez élevé et de propriétaires de petits commerces, s’est développée au Brésil dans les années 50, lors du Plano de Metas [3] du Président Juscelino Kubitschek, selon Porchmann. Cependant, elle a commencé à se réduire dans les années 90 avec les politiques néo-libérales.
La trajectoire de la classe moyenne brésilienne a suivi un chemin différent de celle de l’Europe où ce secteur social a lutté aux côtés des travailleurs en faveur de l’universalisation des services publics tels que l’éducation et la santé. En France, par exemple, il n’est pas rare de voir un fils d’un chef d’entreprise étudier dans la même école que celui d’un vendeur dans un magasin.
Selon l’économiste, la classe moyenne brésilienne s’est forgée dans l’idéologie conservatrice et a fait alliance avec les plus riches pour avoir accès au ʺmonopole des avantagesʺ de ceux d’en haut. L’exemple le plus évident est l’accès à l’enseignement supérieur qui, jusqu’à l’arrivée du gouvernement Lula, était un privilège des riches et de la classe moyenne. De là, provient le rejet de ce segment de la population, envers Président Lula qui ʺa mis le doigt sur la plaieʺ de cette structure sociale brésilienne, selon Pochmann.
La question centrale qui différencie, du point de vue politique, la classe laborieuse de la classe moyenne est la conception du rôle de l’Etat. Alors que la classe moyenne rejette l’Etat qui prélèverait beaucoup d’impôts et ne fournirait pas des services de qualité, la classe laborieuse dépend du renforcement du système public de la santé et de l’éducation.
Pour cela, l’assimilation de ce secteur de la population qui a amélioré ses conditions de vie grâce aux politiques des gouvernements de Lula et Dilma, à une ʺnouvelle classe laborieuseʺ ou à ʺnouvelle classe moyenneʺ renvoie à des visions idéologiques différentes concernant le rôle politique de cet énorme contingent de population.
ʺCe segment de la population qui a amélioré son revenu, est l’objet de débats sur le plan politique. Il n’est toujours pas relié au programme d’universalisation des droits des organisations des travailleurs qui fut assumé par le gouvernement Lulaʺ estime Pochmann.
Ainsi le débat qui se profile et qui peut avoir un impact lors des élections[4], est-il lié au programme politique que ce segment va assumer : celui de la majorité des travailleurs qui a besoin de la garantie des droits assurés par l’Etat ou bien celui d’une minorité qui rejette le bien public et opte pour des services privés ?
La question qui en découle est la suivante : si la classe moyenne rejette les politiques des gouvernements de coalition dirigés par le PT qui a remis en cause la structure sociale, pourquoi Lula et Dilma classifient-ils alors de ʺnouvelle classe moyenneʺ ce segment de population qui a représenté la rupture de ce ʺmonopole d’avantages ?
Pochmann ne critique ni Lula ni Dilma et comprend les raisons politiques d’une telle posture : tous les deux prennent cette option afin d’éviter la radicalisation politique et de renforcer le centre politique, affaiblissant les extrêmes. Une nouvelle question se pose : sera-t-il possible de conquérir ce segment de la population sans conflits ?
L’économiste est optimiste en ce qui concerne l’évolution de l’économie et tout particulièrement l’ensemble des investissements réalisés au cours du gouvernement Dilma. Avec la victoire, lors des prochaines élections, de l’ample coalition qui gouverne le Brésil, il estime que le pays deviendra au cours des prochaines années la 5ème économie mondiale et qu’il verra la fin de la misère et la consolidation de la démocratie.
Notes de la traduction
[1] UNICAMP Université d’Etat de Campinas. Elle accueille près de 40.000 étudiants et est considérée comme l’une des meilleures d’Amérique latine
[2] Le mythe de la grande classe moyenne : capitalisme et structure sociale
[3] Plano de Metas. Grand programme d’industrialisation et de modernisation de l’économie brésilienne mis en place par le président Juscelino Kubitsheck en 1956
[4] Les prochaines élections (présidence, sénat, chambre des députés et gouverneurs) ont lieu en octobre 2014