Plus de 2500 femmes et jeunes filles autochtones en marche pour défendre leurs droits

 | Par Nathalie Pavelic & Sofia Cevallos

Jeunes filles du peuple Pataxó Hã Hã Hãi (Sud de l’État de Bahia) lors de la 1ère Marche des Femmes Autochtones - 13/08/19 / Crédit : Nathalie Pavelic.

Du 9 au 14 août 2019, la première marche des femmes autochtones du Brésil s’est tenue à Brasilia. Avec le drapeau « Territoire : notre corps, notre esprit », 2500 représentantes de 130 peuples autochtones du Brésil ont marché dans les rues de la capitale pour dénoncer la politique du gouvernement de Jair Bolsonaro et la régression en matière de garantie de leurs droits reconnus dans les textes juridiques nationaux et internationaux.

La Fondation Nationale des Arts « Funarte » a été le siège du campement de plusieurs délégations de femmes autochtones arrivées à Brasilia en provenance de différentes régions du pays. Certaines avec des enfants dans leurs bras, ont quitté leurs villages et ont traversé le pays pendant environ quatre jours pour rejoindre ce qui a été la plus grande concentration de femmes autochtones déjà organisée au Brésil.

Pendant cinq jours, plusieurs activités ont été menées, dont l’objectif principal était d’exprimer le désaccord des femmes autochtones sur la politique gouvernementale qui, comme elles l’ont souligné, ont aggravé les inégalités sociales et encouragé la violation de leurs droits fondamentaux. Beaucoup de ces femmes ont exprimé leur opposition aux activités extractives menées dans leurs territoires et aux politiques qui profitent aux grands producteurs agroalimentaires, indiquant qu’elles affectent principalement leurs vies et renforcent le système capitaliste et patriarcal responsable de la violence contre leurs corps et leurs esprits. Les femmes ont également souligné le droit à un système différencié d’éducation et de santé, à la résistance, à la participation à la vie politique ainsi que l’accès aux espaces décisionnels à niveau institutionnel. Elles ont également exprimé le besoin d’unir leurs forces et de collaborer avec d’autres organisations de femmes pour lutter contre le machisme et le sexisme qui menacent leur vie et celle de nombreuses autres femmes brésiliennes.

Les femmes autochtones d’Amérique latine s’unissent

Des femmes autochtones parlementaires d’autres pays du continent – tels que le Pérou, l’Équateur, le Guatemala, le Panama, le Honduras – ont participé à la 1ère Marche des Femmes Autochtones du Brésil. Tania Pariona congressiste autochtone péruvienne, a remercié Joenia Wapichana - première députée fédérale du Brésil – pour cet espace qui lui permet également de se renforcer, car, comme elle l’explique :

« Les forces des femmes autochtones sont la principale ressource que nous avons dans notre lutte au parlement péruvien et je suis certaine que mes sœurs se renforcent aussi chacune dans leurs parlements ».

Tania Pariona a souligné l’importance de s’unir et d’être solidaire dans ce contexte hostile :

« Les temps sont très complexes, très difficiles pour les peuples autochtones et en particulier pour les femmes du monde entier. La lutte pour la défense de notre territoire, de nos ressources, de nos environnements, de notre grande maison, concerne tous les peuples du monde. (…) Au Pérou, nous luttons pour que les ressources ne soient pas exploitées au détriment de la vie des peuples autochtones car nous n’avons plus d’eau, les rivières sont en train d’être polluées, il n’y a pas de véritable consultation des peuples autochtones et la vie des défenseurs communautaires pour le territoire est retirée. Et ici, au Brésil, le contexte est beaucoup plus difficile avec un président qui a pratiquement déclaré la guerre aux peuples autochtones. Cela n’est pas possible. Nous ne pouvons pas abandonner notre droit à la terre et au territoire. Nous sommes ici pour nous solidariser et marcher avec vous après demain et sachez que nous le faisons du fond du cœur car nous, les femmes autochtones, nous pouvons former un seul poing, une seule pensée, un seul cœur pour défendre notre maison, défendre ce qui nous soutient en tant que peuple et culture ».

Ensemble, ces femmes qui occupent des postes politiques, ont formé un réseau de parlementaires - Alianza de Parlamentarias Indígenas de América Latina- réunissant également des femmes autochtones du Canada et des États- Unis.

Sortir de la vulnérabilité

Au Brésil, les femmes autochtones constituent, selon le recensement de la population de 2010 élaboré par l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE), 51,3% de la population, avec une présence prédominante en dehors des dénommées « Terres Autochtones ». Il existe peu de documentation sur leurs conditions de vie et la violence qui leur est infligée. Dans un rapport publié par HuffPost Brésil de novembre 2016, Ana Beatriz Rosa explique que, dans l’État du Mato Grosso do Sul, où se situe la deuxième plus grande population autochtone du pays, la violence à l’égard des femmes autochtones a augmenté d’environ 495% depuis 2010. Ainsi, le ministère de la Sécurité publique du même État a montré que le nombre de signalements de violences à l’égard des femmes avait augmenté de 23,1% au premier semestre de 2016 par rapport à la même période en 2015.

Les situations de violence à l’égard des femmes autochtones ont eu tendance à s’aggraver ces dernières années, selon Sonia Guajajara, coordinatrice de l’Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB) :

« Ces dernières années, le gouvernement Bolsonaro a représenté la plus grande menace pour nos corps. Et nous sommes ici ni pour être menacées, ni violées, nous sommes sur cette terre en tant que peuples originaires qui doivent être respectés. C’est ce que nous sommes venus faire à Brasilia : exiger la démarcation de nos territoires, car notre territoire est notre corps et notre esprit ».

Historiquement, les peuples autochtones du Brésil et en particulier les femmes ont été les protagonistes de la lutte pour la défense de leurs droits. Il convient de rappeler que cette lutte s’est traduite par la reconnaissance des peuples autochtones et de leurs droits territoriaux dans la Constitution brésilienne de 1988. Par ailleurs, le pays est signataire du cadre juridique international régissant les droits des peuples autochtones, comme c’est le cas dans la Convention 169 de l’OIT et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Pour Célia - l’une des représentantes du peuple Tupinamba du sud de l’Etat de Bahia et membre de l’ONU Femmes - la Première Marche des Femmes Autochtones vise à garantir le respect de ces droits dans un contexte de renforcement de leurs violations, mais aussi de persécution et d’attaque grandissantes contre et les défenseurs du territoire :

« Nous, les femmes, on a eu une présence et nous continuons de nous battre. Aujourd’hui, vous pouvez voir le résultat ici dans cette marche. Le thème - territoire : notre corps et notre esprit - souligne l’essence de la vie, tout est connecté. C’est très riche pour nous, c’est un point fort de la lutte des femmes autochtones, en montrant ici toutes les femmes présentes qui ont réussi à se mobiliser (...). Et maintenant que nous sommes avec ce gouvernement, avec cette violation de nos droits, avec cette persécution, ce déni, avec l’attaque contre les territoires autochtones, qui est les plus touché ? Nous, les femmes, les enfants. Donc, pour garantir ces droits, les femmes doivent être en marche, en première ligne ».

« Il n’y a pas d’âge pour lutter »

En plus des femmes, la participation de jeunes filles autochtones a été importante dans la lutte pour leurs droits et leur futur. Environ trente d’entre elles, principalement des peuples Tupinamba et Pataxó Hã Hã Hãe du sud de l’État de Bahia ont garanti leur présence par le biais du projet Cunhataí Ikhã [1] (jeunes filles en lutte), une initiative de l’ANAI [2] - ONG dont le but est de discuter et promouvoir des alternatives de relations plus justes entre la société brésilienne et les peuples autochtones du pays – soutenu par la Fondation Malala – entité internationale créée par la jeune lauréate du prix Nobel de la paix Malala Yousafzai. Le projet Cunhataí Ikhã a pour objectif de promouvoir l’accès et la qualité de l’enseignement secondaire aux jeunes filles autochtones de l’État de Bahia.

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Les jeunes filles autochtones ont participé de toute la programmation organisée par la 1ère Marche des Femmes Autochtones. Elles se sont séparées pour participer le dimanche 11 août aux différents groupes de travail organisés sur le campement pour traiter de thématiques diverses concernant la garantie et la défense des droits des femmes autochtones. Pour Karolainy Pataxó Hã Hã Hãi (18 ans), « pouvoir parler d’empowerment avec des femmes de d’autres régions, avec des modes de vie différents a été merveilleux ».

Le lundi 12 août au matin, elles ont accompagné les femmes autochtones dans une marche jusqu’au siège du Secrétariat spécial de la santé des populations autochtones (Sesai), pour participer à l’acte contre le démantèlement de la santé des populations autochtones. Durant la marche et l’acte au siège du Secrétariat, il était possible d’écouter des chants rituels dans différentes langues autochtones comme l’a également remarqué Laura Tupinamba (12 ans) :

« J’ai aimé voir les rituels des autres peuples ». Clarisse Pataxó Hã Hã Hãi (16 ans) – petite fille de Galdino, représentant de son peuple qui, lors de revendications à Brasilia en 1997 pour la défense du territoire, a été brulé vif par cinq jeunes de l’élite brésilienne alors qu’il se trouvait dans un arrêt de bus – « les femmes ont fait les rituels du toré [3] pour avoir plus de force pour lutter ».

L’après-midi, elles ont accompagnée un comité de femmes autochtones à la Cour Suprême Fédérale qui avaient une réunion avec sa ministre, Cármen Lucia au cours de laquelle, la comité de femmes autochtones a revendiqué la garantie à ce qu’aucune réinterprétation rétrograde de la Constitution de 1988 concernant les droits des peuples autochtones soit acceptée, particulièrement en ce qui concerne la démarcation des terres traditionnelles ». La ministre n’a fait qu’écouter sans donner de garanties formelles selon les représentantes autochtones qui ont participé à la réunion tout en reconnaissant, que la réunion a valu la peine pour la visibilité de la Marche.

Le mardi 13 au matin, a eu lieu à proprement parlé, la 1ère Marche des Femmes Autochtones, qui est partie du campement (Funarte) juqu’au Congrès national du Brésil. Comme lors de la marche pour l’acte contre le démantèlement de la santé des populations autochtones, femmes et jeunes filles autochtones, portant toutes un haut rouge, ont entonné des chants rituels et des cris pour la défense de leurs droits.

« J’ai trouvé la Première Mache des Femmes Autochtones très importante pour montré notre force et que nous n’avons pas peu de lutter pour nos droits » souligne Ingrid Pataxó Hã Hã Hai (16 ans). Selon Maikelle Tupinamba (18 ans) [4], l’une des représentantes du projet Cunhataí Ikhã, “notre participation a été essentielle (...) pour représenter d’autres jeunes et les encourager à lutter pour nos droits”. Jenifer Pataxó Hã Hãe Hãi ajoute : « on a été présentes, on a lutté et on a montré notre force ».

Maikelle Tupinamba a également pu entrer avec le comité de femmes autochtones au Congrès national où elle a constaté qu’elles ont présenté leurs demandes concernant principalement la défense de leurs territoires, de l’éducation et de la santé différentiées mais « les députés non autochtones sont parties rapidement, la table était alors composée seulement de femmes autochtones qui ont continué à parler entre elles ». Malgré cette réalité, Alana Tupinamba (15 ans), a perçu que « les femmes autochtones peuvent faire la différence en politique ».

La rencontre avec les Margaridas

Les activités des femmes autochtones à Brasilia ont été complétées, le 14 août, par la sixième marche des Margaridas, manifestation qui réunit depuis 2000 des femmes activistes rurales de tout le pays. Le nom de la Marche a été donné en hommage à Margarida Maria Alves, syndicaliste rurale, assassinée en 1983 alors qu’elle se battait pour les droits des travailleurs ruraux dans l’État de Paraiba.

Ensemble, Margaridas et femmes autochtones, ont réuni plus de cent mille femmes dans les rues de la capitale du Brésil pour lutter contre la violation de leurs droits par le gouvernement du président d’extrême droite Bolsonaro.
Pour Hamangaí Pataxó Hã Hã Hãi (22 ans), ce fut « émotionnant de voir deux marches se rencontrer en faveur d’un unique objectif : le droit de vivre et d’être respectées ».

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Pour lire la Déclaration finale de la 1ère Marche des Femmes autochtones du Brésil, cliquez ici.

Lecture du document final de 1ère Marche des Femmes Autochtones « Territoire : notre corps, notre esprit » - 14/08/19 / Crédit : Nathalie Pavelic.

Juliana Tupinamba peint le visage de Célia Tupinamba avec de l’urucum, extrait des graines de l’arbre au même nom, très utilisé par les peuples autochtones d’Amérique latine pour les peintures corporelles - 11/08/19 / Crédit : Nathalie Pavelic.

Femmes et jeunes filles des peuples Tupinamba et Pataxó Hã Hã Hãi (Sud de l’État de Bahia) lors de la 1ère Marche des Femmes Autochtones - 13/08/19/ Crédit : Sofia Cevallos

[1Voir profil Instagram : https://www.instagram.com/meninas.naluta/

[2Associação Nacional de Ação Indigenista (ANAÍ) : http://anai.org.br

[3Le toré est un rituel religieux et politique des peuples autochtones du Nordeste brésilien. Il unifie en même temps qu’il distingue les peuples autochtones dans la lutte, chacun utilisant des peintures, des parures, des chants spécifiques. En fonction de la région du Nordeste et du peuple autochtone, le toré est connu sous le nom de porancim, awê, praiá, ouricuri, entre autres dénominations.

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