Des leaders autochtones Yanomami dénoncent depuis des mois la grande précarité qui affecte leur peuple. Au-delà des violences que subit leur territoire du fait de l’extraction minière illégale (orpaillage), les centres de santé y souffrent d’un manque de médicaments et de soins. Mercredi 30 novembre 2022 au matin, la Police fédérale déclenchait à Boa Vista l’opération « Yoasi » en vue d’enquêter sur une fraude dans l’achat de médicaments destinés au District spécial de santé autochtone yanomami (Dsei-Y).
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Les districts de ce type, administrés par le Secrétariat spécial de santé indigène (Sesai), sont dédiés aux populations autochtones — prise en charge sanitaire, consultations, distribution de médicaments. Selon les investigations de l’opération Yoasi, le détournement de fonds aurait privé de médicaments au moins 10 000 enfants yanomami. Il aurait débuté en octobre 2021, quand le Dsei-Y a signé un contrat d’approvisionnement en médicaments avec la société privée Balme Empreendimentos. Selon le ministère public [2] fédéral, moins de 30 % des produits pharmaceutiques prévus ont été livrés, ce qui représente un détournement d’une valeur de 600 000 reais (environ 105 000 euros) de fonds publics.
« Ça fait deux ans que nous manquons de médicaments, et c’est une cause notable de mortalité chez les Yanomami. Beaucoup de personnes malades du paludisme sont laissées sans aucun traitement », témoigne Junior Yanomami, président du Conseil de district pour la santé autochtone Yanomami et Ye’kuana (Condisiyy), qui se dit « très inquiet ». « Aujourd’hui, il n’y a plus aucun médicament ni stock, que ce soit au Dsei-Y ou dans les communautés. Nous appelons à l’aide pour sauver le peuple Yanomami, nous ne voulons plus mourir ni pleurer ».
Parmi les autres médicaments qui font cruellement défaut, il y a les vermifuges. Selon une note diffusée par la Police fédérale, « les formes graves d’infections et de leurs manifestations se sont multipliées, on voit même des enfants expulser des vers par la bouche ». Alisson Marugal, procureur du ministère public fédéral en charge de l’affaire, confirme une « pénurie pharmaceutique généralisée » dans les unités sanitaires. « Les factures ont été payées à l’entreprise alors même que les médicaments n’étaient pas livrés », poursuit-il. Les photos reçues par le bureau du Procureur général montrent aussi de graves signes de malnutrition chez des enfants yanomami.
« La situation est extrêmement délicate, en raison de l’orpaillage, d’une gestion incompétente, ainsi que d’une diminution des investissements dans la santé autochtone », s’élève Amanda Frota, militante du Frente Cearense em Defesa do SUS (Système universel de santé)- (mouvement social de défense du système de santé public brésilien). Visées : les coupes opérées par le gouvernement Bolsonaro dans le budget de la santé autochtone, et dont l’impact se prolonge en 2023. « C’est particulièrement révoltant, parce que les Yanomami ont multiplié les alarmes, appelant à la fourniture de médicaments et d’intrants agricoles, au renforcement des équipes d’appui, ainsi qu’à une assistance au sein même des communautés. Mais rien n’a bougé ».
Au-delà de l’enquête en cours et de sanctions envers les auteurs de la fraude, Junior Yanomami espère que le retentissement de l’affaire conduira la société civile à faire pression pour que le gouvernement fédéral agisse en faveur de la santé des autochtones dans le territoire Yanomami. « Le paludisme et l’infestation par les vers, qui sont des maladies guérissables, tuent beaucoup d’adultes et d’enfants. Nous demandons au gouvernement d’agir de toute urgence. Nous avons besoin de médicaments, de professionnels — et notamment de médecins —, ainsi que d’une assistance aux communautés », insiste-t-il.